En l’espèce, un salarié a saisi la juridiction prud’hommal afin d’obtenir le paiement de rappels de primes d’ancienneté et de 13ème mois ainsi que l’annulation d’une mise à pied disciplinaire notifié le 19 février 2015 et de deux avertissements notifiés le 11 et 28 janvier 2016.
La Cour d’appel a débouté le salarié de l’intégralité de ses demandes. La Cour d’appel a rejeté la demande de paiement des primes au motif que le salarié percevait une rémunération supérieure au cumul du salaire de base et de la prime d’ancienneté.
Quant à l’annulation des sanctions disciplinaire objet de mon analyse, la Cour d’appel a refusé de faire droit à la demande du salarié au motif que :
« si, à la date des élections professionnelles de mai 2011 l’agence Reporters économiques associés avait un effectif de vingt salariés inscrits sur les procès-verbaux, à celle des élections de juin 2015, les procès-verbaux ne faisaient état que de dix-sept électeurs inscrits et qu’il n’est pas démontré que l’effectif de l’entreprise était demeuré au moins pendant une durée de six mois égal ou supérieur à vingt salariés dans des conditions obligeant la société à établir un règlement intérieur. Il ajoute que la mention apparaissant, à compter du mois de décembre 2015, sur les bulletins de salaire produits, de cotisations au fonds national d’aide au logement (FNAL) pour vingt salariés et plus, ne permet pas davantage d’établir que cet effectif avait été atteint depuis six mois au moins à la date de la mise à pied du 19 février 2015 ou enfin à celles des avertissements des 11 et 26 janvier 2016 ».
Le salarié a alors formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 9 janvier 2019. Il allègue à l’appui de son pourvoi que l’entreprise ne possédait pas de règlement intérieur au moment du prononcé des sanctions disciplinaires alors que le seuil d’effectif était atteint. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et renvoi les parties devant la Cour d’appel de Paris. La Cour de cassation se place sur le terrain probatoire pour fonder sa décision. Elle estime que la preuve de l’effectif incombe à l’employeur.
Il convient de rappeler que l’obligation tenant à l’établissement d’un règlement intérieur par l’employeur ne concerne que certaines entreprises (I) et que la Cour de cassation précise qu’en cas de litige la preuve que le seuil d’effectif de l’entreprise, au jour du prononcé de la sanction contre un salarié, était inférieur à celui imposant la mise en place du règlement intérieur incombe à l’employeur (II).
I. Un règlement intérieur exigé pour les entreprises ayant une certaine taille.
En vertu de l’article L1311-2 du Code du travail, le règlement intérieur est obligatoire dans les entreprise employant au moins 20 salariés. Depuis le 1er janvier 2020, le seuil a été relevé à 50 salariés. Au moment des faits soumis à notre analyse, le seuil exigé pour la mise en place d’un règlement intérieur était de 20 salariés.
Le règlement intérieur peut être défini comme
« le document par lequel une autorité publique ou privée, par exemple la direction d’une entreprise, fixe des règles de gestion ou d’administration ou des prescriptions qui doivent être suivies par les salariés ou une catégorie d’entre eux ».
Le règlement intérieur, obligatoirement écrit, fixe exclusivement :
les règles générales et permanentes relatives à la discipline (conditions de circulation dans ou en dehors de l’établissement, respect de l’horaire de travail…) et notamment, la nature et l’échelle des sanctions (avertissement, mise à pied, …). Une sanction ne peut alors être prononcée à l’encontre d’un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur ; s’il s’agit d’une mise à pied disciplinaire, celle-ci ne sera licite que si le règlement fixe sa durée maximale [1] ;
les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement, notamment les instructions prévues à l’article L4122-1 du Code du travail ;
les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises.
Le règlement intérieur rappelle :
« les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés (procédure disciplinaire) définis aux articles L1332-1 à L1332-3 du Code du travail ou par la convention collective applicable ;
les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le Code du travail ».
En l’occurrence, l’entreprise a prononcé une mise d’une mise à pied disciplinaire ainsi que deux avertissements à l’encontre du salarié et en dehors de tout règlement intérieur. Il ressort de la jurisprudence que dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement [2]. En l’espèce, l’entreprise n’a pas édicté de règlement intérieur considérant ne pas être soumis à l’article L1311-2 du Code du travail. Il convient donc de déterminer si il revient au salarié de rapporter la preuve que son entreprise remplissait les conditions en terme d’effectif pour la mise en place du règlement intérieur.
La Cour de cassation semble considérer que la charge de la preuve pèse dans ce domaine sur l’employeur.
II. La charge de la preuve en matière de règlement intérieur.
Le salarié contestait les sanctions disciplinaires prononcées à son encontre par l’employeur.
Les juges du fond ont refusé de faire droit à sa demande au motif qu’il ne rapportait pas la preuve que l’effectif de l’entreprise était au moins égal à 20 salariés au moment du prononcé de la sanction. Or, un tel seuil est exigé pour la mise en place d’un règlement intérieur. Ainsi, pour qu’une sanction disciplinaire soit prononcé par l’entreprise à l’encontre du salarié, il faut que celle-ci soit prévu par le règlement intérieur. La Cour de cassation saisi par le salarié qui alléguait une violation de l’article L2143-3 du Code du travail a retenu une toute autre solution. Elle considère que les juges du fond ont renversé la charge de la preuve.
Elle décide qu’ : « Il appartient à l’employeur, en cas de litige, de faire la preuve que le seuil d’effectif de l’entreprise était, au jour du prononcé de la sanction, habituellement resté inférieur pendant plus de six mois, à celui imposant la mise en place du règlement intérieur ».
La Cour de cassation casse donc l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 9 janvier 2019 et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Paris autrement composée. La Cour d’appel de renvoi devra déterminer si l’employeur apporte les preuves suffisantes permettant de démontrer que le seuil exigé pour la mise en place d’un règlement intérieur au sein de son entreprise de sorte que les sanctions prononcées à l’encontre de son salariés ne peuvent être remises en cause.
Cette solution semble être en adéquation avec la jurisprudence de la Chambre sociale. En effet, la jurisprudence se montre exigeante quant au respect du formalisme en matière de règlement intérieur. Il convient de rappeler au préalable que le règlement intérieur doit être établi par écrit et doit être soumis avant sa publication à la consultation des représentants du personnel ( aux membres du comité social et économique). Il doit être rédigé en français. Toutefois, il peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères. Il doit notamment être déposé au secrétariat du greffe du conseil des prud’hommes et communiqué à l’inspection du travail, après consultation des représentants du personnel.
Les magistrats de la Cour de cassation ont rappelé récemment l’importance du formalisme quant à la publicité du règlement intérieur, établi à l’initiative de l‘employeur [3]. Les hauts magistrats ont ainsi décidé que :
« le règlement intérieur, qui doit être déposé au greffe du conseil des prud’hommes du ressort de l’entreprise ou de l’établissement, est affiché à une place convenable et aisément accessible dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux et à la porte des locaux où se fait l’embauche ; qu’il appartient à l’employeur, qui se prévaut de l’opposabilité au salarié du règlement intérieur de l’entreprise, de rapporter la preuve de l’exécution de ces formalités ».
On peut donc ainsi considérer qu’a contrario, en l’absence de règlement intérieur et en cas de contestation d’une sanction disciplinaire, il revient à l’employeur de rapporter la preuve que son entreprise ne remplit pas les conditions en terme d’effectif pour être contrainte de mettre en place un règlement intérieur.
Néanmoins, la portée de cet arrêt interroge. En effet, il s’agit d’un arrêt diffusé.