Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, le système bancaire était largement administré par la puissance publique, c’est l’État qui déterminait la politique du crédit. La loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 a marqué le début d’un déclin progressif de l’État. Mais on assiste depuis deux décennies à son retour dans le financement de l’économie [3].
La crise de 2008 a été un véritable tournant [4]. Face au durcissement des conditions de prêt, elle a montré que le crédit n’était pas un produit comme un autre [5].
La question s’était posée : « la banque doit-elle réduire ses crédits puisque les emprunteurs sont dans une moins bonne situation financière ou les augmenter pour soutenir l’activité, d’autant plus que les entreprises ont de plus grands besoins de crédit de trésorerie ? » [6]. La carence des banques privées a contraint l’État à agir en créant la Banque publique d’investissement (BPI) en 2012 [7]. L’intérêt de l’État pour l’accès des entreprises au financement n’était pas nouveau, il avait déjà conduit dès 2008, à la mise en place de la médiation du crédit [8].
La crise des subprimes n’a pas épuisé le débat sur la posture contemporaine de l’État en période de crise [9]. La pandémie de Covid-19 a suscité une réaction rapide du législateur qui a pris de nombreuses mesures. Le fait que le PGE soit une des premières est révélateur de l’importance du crédit en période de crise [10]. La banque - par les crédits qu’elle octroie - « est porteuse de paix sociale et c’est à la réalisation de cette mission que l’État l’investit. Il entend même se tenir à ses côtés » [11].
« Le PGE est un exemple puissant d’instrument de politique économique qui lie l’État et les banques » [12]. Il facilite l’accès au financement et actualise la question de la consécration du droit au crédit [13]. Dans la mesure où l’État a octroyé aux banques un droit à garantie (II), il n’est pas anormal que le droit au crédit ait été renforcé (I).
I - Renforcement du droit au crédit.
Le concept de service public du crédit n’était jusqu’à récemment qu’une vue de l’esprit. C’est la crise de 2008 et la pénurie de crédits qui l’a accompagnée, qui ont montré les limites de la perte de contrôle par l’État de la politique du crédit et des moyens de financement [14].
La nécessité pour l’État de mener sa politique s’est traduite par la création de la BPI en 2012. La nationalisation des banques, trop coûteuse, était inenvisageable [15]. La création de la BPI n’en reste pas moins « le symbole du retour au premier plan du service public » [16]. Son objectif n’est pas purement financier [17], elle a pour « mission prioritaire de veiller à l’intérêt général » [18] notamment lorsqu’elle accorde des crédits et des garanties [19].
La BPI - et OSEO avant elle - a joué un rôle particulièrement important dans le financement de l’économie lors de la crise des subprimes.
La crise de la Covid a une nouvelle fois été révélatrice de la « contradiction qui fait des banques à la fois des entreprises comme les autres et des délégataires de service public » [20].
La loi n° 2020-289 du 23 mars 2020 de finances rectificatives pour 2020 n’a qu’un objectif, réconcilier ces deux conceptions a priori antinomiques. Elle s’inspire de la stratégie payante de 2008 consistant à l’octroi de prêt et de garantie par la BPI [21].
Mais le dispositif est différent, c’est l’État qui, de façon singulière, s’est substitué à la BPI dans son rôle de garant. Au vu de l’importance des sommes mobilisées, le risque est supporté par l’État et non la BPI [22].
La volonté pour l’État de se donner les moyens d’agir sur la politique du crédit apparaît plus claire sur fond de crise - et de reprise - économique. Le PGE est pour l’État, un moyen détourné de mener une telle politique du crédit [23].
Certes, le dispositif du PGE ne remet pas totalement en cause le caractère discrétionnaire de la décision bancaire. Il n’y a pas un droit au PGE, mais un droit à garantie pour les banques [24]. Mais le PGE tend vers la reconnaissance d’un droit au crédit entendu comme le fait de « minimiser le caractère discrétionnaire de la décision de l’établissement de crédit et le caractère intuitu personae de la relation de crédit. Autrement formulé, cela signifie qu’une personne qui remplit des décisions objectives ne peut se voir refuser un crédit. Elle doit pour cette raison connaître les raisons du refus (d’où l’exigence de motivation des refus déjà instaurée) et elle doit disposer de recours soit devant le médiateur, soit devant le juge si le crédit est refusé sans raison objective » [25].
Les entreprises peuvent en effet bénéficier d’un PGE dans des conditions fixées par la loi, dont les modalités d’application ont été précisées par une note gouvernementale. L’engagement des établissements de crédit, auquel la note gouvernementale fait référence, a également été déterminant. Les banques se sont notamment engagées à octroyer très largement le PGE aux professionnels et aux entreprises qui en ont besoin, et dont la dernière notation Fiben ou équivalente, avant l’épidémie de Covid-19 était forte, correcte ou acceptable, ce qui correspond à plus de 85% des cas [26].
En cas de refus, la banque indiquera, dans la mesure du possible, les éléments qui ont conduit à sa décision.
Le dispositif mis en place porte donc atteinte au droit discrétionnaire du banquier, qui doit s’en tenir à des critères objectifs [27]. Le PGE s’inscrit dans le mouvement d’objectivation de la relation de crédit [28]. Dans cette perspective, la médiation du crédit a joué un rôle important dans l’octroi des PGE. Elle a été fortement mobilisée au début de la crise. D’avril à septembre 2020, l’équivalent de 10 fois le volume de saisines de l’année 2019 a été enregistré. Dans plus de la moitié des cas, une issue positive a été apportée [29].
Cette forte mobilisation du médiateur n’est pas anodine lorsqu’on sait à quel point la médiation du crédit participe de l’objectivation de la relation de crédit. Fruit de la crise des subprimes [30], la médiation du crédit doit être anticipée par la banque. En cas de refus de prêt, elle sait qu’elle devra se justifier. Comment apporter de telles justifications sur des éléments purement subjectifs ? C’est presque impossible. L’établissement de crédit est donc « forcé » d’intégrer des données objectives dans sa prise de décision [31].
Les mesures prises durant la crise de la Covid s’appuient ainsi sur des outils qui ont fait le succès de la relance économique de 2008. L’une des particularités réside dans le renforcement du droit au crédit. Mais l’objectivation de la relation de crédit a obligé l’État à se porter garant [32].
II – Reconnaissance d’un droit à garantie de l’État.
Pour les prêts qui respectent un certain cahier des charges, les banques disposent d’un droit à garantie de l’État.
Les prêts éligibles à la garantie de l’État en bénéficient à hauteur de 70 à 90%, selon la taille de l’entreprise. La quotité garantie par l’État s’élève à 90% pour les PME, à 80% pour les autres entreprises qui, lors du dernier exercice clos, réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et inférieur à 5 milliards d’euros, et à 70% pour les autres entreprises.
L’État garantit donc une part très significative des prêts consentis. Il s’agit de rassurer les banques afin qu’elles distribuent largement des crédits, sans s’attarder sur des appréciations trop subjectives.
Mais le dispositif mis en place s’est aussi, et surtout, attaché à fournir aux banques la capacité opérationnelle leur permettant de répondre à la demande de crédits. À cette fin, il est prévu que la garantie de l’État est « irrévocable et inconditionnelle » [33].
Ces termes sont dictés par la réglementation prudentielle, en particulier le règlement sur les exigences de fonds propres (CRR) [34], c’est ce que démontre la professeure Myriam Roussille [35].
Pour les banques, crédit signifie risque de crédit et besoin en fonds propres. Plus un établissement détient d’actifs à risques, plus ses fonds propres doivent être élevés.
La garantie de l’État n’est ni plus ni moins « une technique d’atténuation du risque de crédit selon laquelle le risque de crédit associé à l’exposition d’un établissement se trouve réduit par l’obligation d’un tiers de payer un montant en cas de défaut de l’emprunteur ou en cas de survenance d’autres événements de crédit prédéterminés » [36]. Autrement dit, c’est une « protection de crédit non financée » au sens du CRR.
Les protections de crédit non financées doivent remplir certaines conditions selon le CRR.
La garantie doit ainsi être irrévocable. En ce sens le contrat ne doit ni permettre au fournisseur de la protection - i.e. le garant - de dénoncer unilatéralement celle-ci, ni lui permettre de s’exonérer de l’obligation de payer rapidement, en cas de défaut de paiement du débiteur d’origine [37].
En sus, dans le cas de garanties délivrées par l’État, le CRR répute cette protection intervenir sans délai si l’établissement de crédit a le droit d’obtenir rapidement du garant un versement provisionnel [38]. « Miroir de cette exigence, […] les banques ayant consenti des PGE pourront obtenir, au plus tard dans les 90 jours suivant la date de la demande, un versement provisionnel » [39].
En limitant le risque de crédit - et donc le besoin en fonds propres -, on fournit aux banques la capacité opérationnelle, sans laquelle elles auraient été dans l’impossibilité de largement prêter tout en respectant la réglementation prudentielle. L’objectivation de la relation de crédit serait restée lettre morte.
Parallèlement, la BCE a temporairement réduit les exigences de fonds propres des banques [40]. Elle leur a également facilité l’accès au crédit en baissant le taux directeur. Les banques commerciales ont besoin de cet accès facilité pour elles-mêmes octroyer des prêts [41], a fortiori à prix coûtant.
En conclusion, la volonté pour l’État d’agir sur la politique du crédit s’est traduite, en 2008 comme en 2020, par des avancées majeures vers la reconnaissance d’un droit au crédit. On assiste peut-être aux dernières heures d’un droit discrétionnaire que la prochaine crise aura fini d’achever. La crise ukrainienne a d’ores et déjà justifié l’annonce d’un nouveau PGE.