Le LBO, la financiarisation de l’économie surfant sur la vague de la Covid-19.

Par Armia Ata et Robin Gouyet.

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Explorer : # lbo # financiarisation # crise économique # fonds d'investissement

Le LBO [1] parangon de la financiarisation de l’économie, apparaît comme vecteur de difficultés financières pour la société cible, et même comme précipitant le recours à des procédures collectives. Servir l’actionnariat est l’objectif assumé des fonds d’investissement, et leur opportunisme apparaît encore plus clairement sur fond de crise économique.
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

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Le LBO est un des symptômes d’une financiarisation de l’économie qui s’insinue dans le monde des affaires à des fins délétères. En cause, les fonds d’investissement qui ont su user de ce montage qu’est le LBO pour prendre le contrôle d’entreprises et rediriger leur stratégie vers la création de valeur actionnariale, objectif anciennement inavoué devenu la seule ligne directrice des groupes LBO.

Suite à son acquisition, la société acquise doit traiter en priorité une question financière de premier plan : le remboursement de la dette d’acquisition de la holding, afin de permettre aux actionnaires de réaliser la plus-value espérée qui motive toute l’opération. Cet objectif représente le travers majeur de la financiarisation de l’économie : pour les investisseurs, tout l’enjeu n’est pas celui de la survie de l’entreprise opérationnelle, mais la sauvegarde de leur investissement de départ, phénomène exacerbé en période de crise économique. La crise de la Covid-19 est l’occasion de révéler les limites du montage LBO, en particulier ceux pratiqués par des fonds d’investissement.

L’industrie des fonds d’investissement est cyclique, tributaire des cycles de l’économie. En période de prospérité économique, les fonds d’investissements profitent de la valorisation de leurs actifs. En période de crise économique, leurs filiales ne permettent plus le remboursement de la dette LBO, nécessitant une restructuration financière. Parallèlement, toujours en période de crise, c’est aussi l’occasion de réaliser les LBO les plus rentables, les prix de rachat étant au plus bas.

La holding, à la dette LBO élevée, gangrène la société cible (I), lui ponctionnant ses cash flows et la précipitant dans des procédures collectives. Parallèlement, les crises économiques exacerbent la financiarisation de l’économie autant qu’elles forcent à sa tempérance, les fonds d’investissement se retrouvant tiraillés entre opportunisme et réalisme (II).

I) La holding, gangrène de la société cible.

La société holding gangrène la société cible, en ce qu’elle érige l’intérêt des actionnaires au rang d’intérêt social de fait du groupe LBO (A), et en ce qu’elle entraîne le groupe LBO en procédures collectives par effet domino (B).

A) L’intérêt des actionnaires au rang d’intérêt social de fait du groupe LBO.

Le LBO, ingénierie juridico-financière, est devenu le symbole de la financiarisation de l’économie [2]. Mais il doit veiller à ne pas « se muer en vampirisme financier » selon les termes du professeur Renaud Mortier [3].

Le LBO pose la question de la légitimité sociale de la holding à gouverner la société opérationnelle, en particulier lorsque l’opération est pratiquée par des actionnaires professionnels. En principe, une société a son intérêt social propre, distinct de l’intérêt des actionnaires. Or, la holding ayant pour objet de servir le portefeuille des actionnaires, servir l’actionnariat est son intérêt social.

Dans cet intérêt social assumé, « certains y verront la fin d’une hypocrisie et d’autres au contraire, la rupture d’une certaine forme de contrat social » comme le souligne le professeur Franck Bancel [4]. Toute la problématique de la légitimité sociale réside dans la confrontation de l’intérêt social de la holding avec celui de la société cible. La holding se métamorphose en sangsue, accrochée à sa cible, ponctionnant le moindre bénéfice qu’elle réalise afin de générer les dividendes dont elle a besoin pour rembourser sa dette LBO. La société cible se retrouve réduite au rang d’ilote au service de la holding, au seul profit des actionnaires.

La problématique du respect de l’intérêt social des entités opérationnelles par la société holding est encore plus importante dans un contexte économique difficile. A titre d’illustration, dans un arrêt du 9 septembre 2020, la chambre commerciale a caractérisé une distribution fautive des dividendes, ayant entraîné le redressement judiciaire pour insuffisance d’actifs de la société opérationnelle.

Afin de tempérer l’effet parasitaire de la holding, la cour de cassation protège les cash flows de l’opco de leur accaparement par la holding. Pour la cour

« la décision de verser les dividendes d[oit] être prise au regard de la situation de l’entreprise et de sa trésorerie, quand bien même ces dividendes devraient être affectés dans le cadre d’une opération de LBO » [5].

Au-delà de ces problématiques d’intérêt social, l’on doit également se poser la question de la légitimité des repreneurs à diriger la société opérationnelle lorsqu’ils ne sont que des actionnaires professionnels : ces derniers ne disposent pas des compétences pour gérer les cibles acquises. Il est d’ailleurs plus prudent de conserver dans le processus décisionnel les dirigeants de l’entreprise acquise.

B) Le groupe LBO en procédure collective par effet domino.

En règle générale, un simple ralentissement de l’activité n’est pas synonyme de catastrophe pour une société. Encore viable, elle pourrait aisément obtenir un nouvel emprunt. Mais dans les groupes LBO s’observe un effet domino : le simple ralentissement de l’activité induit une baisse des remontées de dividendes suffisante à entraîner le défaut de paiement de la holding.

Ainsi, le banquier ne se retrouve plus face à une société en perte de vitesse, mais face à une société en défaut de paiement, dès lors, il devient beaucoup plus réticent à octroyer de nouveaux crédits. La holding devient le Cerbère de la société opérationnelle, prisonnière de ses difficultés.

Les fonds d’investissement, particulièrement, ont de commun qu’ils surévaluent souvent leur cible, tout en ayant recours à un levier financier trop tendu, rendant la crise de liquidité inévitable.

De façon tout à fait antinomique, le groupe LBO risque d’être forcé à la procédure collective alors même que la société opérationnelle est encore bénéficiaire, et ce du simple fait que la holding est en état de cessation des paiements. Voilà la conséquence de prévisions trop optimistes sur les bénéfices futurs de la société cible, prévisions sur lesquelles était étroitement calibré le remboursement de la dette LBO.

II) La crise économique, entre opportunisme et réalisme.

En période de crise économique, les fonds d’investissement prennent place entre opportunisme et réalisme. Opportunisme, en ce que les crises sont un terreau fertile pour les LBO (A). Réalisme, en ce que la financiarisation de l’économie est rattrapée par la réalité (B).

A) Les crises économiques, terreau fertile pour les LBO.

Les répercussions de la covid-19 se font particulièrement ressentir au sein des entreprises sous LBO, très sensibles aux effets conjoncturels de l’économie.

Une étude menée par eFront [6] souligne une baisse de rentabilité des fonds de private equity au premier semestre de 2020. La réhausse de la rentabilité au second semestre fut brève, en cause la seconde vague de la Covid-19.

Les LBO, déjà soumis « au poids d’une dette dont le levier a été calibré pour un contexte euphorique où les valorisations tutoyaient des records » [7] selon les termes de Francis Lefebvre, vont se retrouver soumis à une crise d’activité.

Certes, la rentabilité des LBO est en berne, mais paradoxalement, les crises économiques profitent aux LBO. Elles s’avèrent être de véritables mines d’or à entreprises à bas prix, filon qui attire les regards opportunistes des investisseurs professionnels. Ce phénomène a déjà pu être observé à l’occasion du krach de 1987, de la bulle internet et de la crise des subprimes : la baisse de valorisation des entreprises a permis aux fonds de private equity d’acquérir nombre d’entreprises à des prix jusqu’alors inaccessibles, leur permettant d’obtenir une rentabilité accrue post-crise [8].

Les prix de rachat diminuent, mais parallèlement les banques sont plus réticentes à accorder des crédits. Ainsi, ce sont les fonds de private equity qui devraient tirer leur épingle du jeu, en réorientant leurs actifs pour compenser la baisse de rentabilité, et, pour les plus aisés, procéder à des rachats avantageux. En effet, les fonds de LBO ont pu accumuler d’importants actifs à la faveur de la remontée de performances des années 2015 à 2019 [9].

B) La financiarisation de l’économie rattrapée par la réalité.

Les investisseurs, forts de leur expérience héritée de la crise des subprimes, ont déjà révélé une certaine prudence dans la baisse du niveau des risques et de la durée moyenne de leurs investissements.

Ces derniers sont incités à revoir leurs priorités, conformément aux recommandations de l’Association française des investisseurs (Afic) en 2008, les actionnaires devront s’afférer à préserver la société opérationnelle de l’impact de la dette de la société-mère [10]. Les sociétés de capital-investissement, après évaluation des conséquences dommageables que la crise allaient avoir sur leurs portefeuilles, se voient obligées de reconsidérer leurs objectifs, et même - de façon presque contre-nature - à se professionnaliser.

En effet, la crise sanitaire risque d’entraîner la professionnalisation forcée des investisseurs. Ils ont pu profiter de leurs équipes dédiées à l’accompagnement de leurs filiales opérationnelles, jusqu’alors dans une perspective de croissance de ces dernières, à présent dans une perspective de lutte contre les effets de la crise. Dans cette même perspective, ils se sont entourés de conseils juridiques et financiers [11].

Les fonds d’investissement, n’ayant à cœur que l’accroissement de leurs portefeuilles, ont fait du LBO leur outil favori, qui en est devenu un symbole de la financiarisation de l’économie [12]. Leur démarche strictement pragmatique en est une illustration : les fonds de private equity examinent différents critères objectifs afin de déterminer le meilleur candidat, celui susceptible de rapporter le plus de profits, à savoir les sociétés déjà développées et ayant une position de leader sur un marché stable. Ils évitent avec soin les sociétés nécessitant un quelconque investissement futur (en recherche et développement, etc.).

Le LBO, lorsque pratiqué par des actionnaires professionnels, a pour objet de favoriser l’effet de levier dans le seul et unique but d’accroître les rendements. Mais la réalité rattrape les investisseurs, qui se voient obligés de se professionnaliser, devant abandonner leur casquette d’actionnaire pour enfiler celle de dirigeant de société opérationnelle.

Comme le dit Francis Lefebvre :

« Les fonds de private equity, qui ont érigé le soutien opérationnel à leurs participations en slogan, ont aujourd’hui une triste occasion d’apporter la preuve que ce n’est pas un simple affichage marketing » [13].

Armia Ata et Robin Gouyet

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Notes de l'article:

[1N.D.L.R : Leveraged buy-out ou rachat avec effet de levier. C’est un montage financier permettant le rachat d’une entreprise par le biais d’une société holding. Source : https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/F31713.

[2Franck Bancel - Efficacité et légitimité du modèle LBO - Revue française de gestion 2009/8-9 (n° 198-199), pages 241 à 257.

[3R. Mortier, H. Hovasse et D. Marcheteau, Les LBO (leverage buy out), Actes prat. ing. sociétaire 2008, n° 99.

[4Franck Bancel - Efficacité et légitimité du modèle LBO - Revue française de gestion 2009/8-9 (n° 198-199), pages 241 à 257.

[5Maitre C. Thomas - LBO en temps de crise : éclairage sur les risques de responsabilité, (Lexis 360).

[6eFront Quarterly Report “Private Equity Performance Overview Returns, risks and liquidity of LBO Funds in Q2 2020”.

[7LBO : Quel rôle des fonds auprès de leurs participations pendant cette crise ? Francis Lefebvre formation - 28/04/2020.

[8Léonard Chardin - Crise de la Covid-19, quel impact pour le financement des LBO - Alumneye.

[9eFront Quarterly Report “Private Equity Performance Overview Returns, risks and liquidity of LBO Funds in Q2 2020”.

[10Christophe Blondeau - “L’objectif du LBO n’est pas de s’inscrire dans du long terme” - semaine Sociale Lamy, Nº 1434, 22 février 2010.

[11LBO : Quel rôle des fonds auprès de leurs participations pendant cette crise ? Francis Lefebvre formation - 28/04/2020.

[12Franck Bancel - Efficacité et légitimité du modèle LBO - Revue française de gestion 2009/8-9 (n° 198-199), pages 241 à 257.

[13LBO : Quel rôle des fonds auprès de leurs participations pendant cette crise ? Francis Lefebvre formation - 28/04/2020.

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