Procédure d’autorisation décentralisée pour un générique et protection des données : nouvel arrêt de la CJUE.

Par Barbara Bertholet et Rachel Devidal, Avocats.

1799 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # protection des données # médicaments génériques # autorisation de mise sur le marché (amm) # procédure décentralisée

La Cour de Justice (CJUE 14 mars 2018, Aff.C-557/16 HELM AG) précise les compétences des autorités réglementaires et juridictionnelles quant à l’appréciation de la période de protection des données dont bénéficie le médicament de référence.
Elle s’est penchée sur la question de l’étendue du contrôle administratif et juridictionnel des Etats membres dans l’appréciation de la période de protection des données du médicament de référence dans le cadre d’une demande d’AMM d’un médicament générique par la voie de la procédure décentralisée (« DCP »).

-

Les faits à l’origine de la procédure sont les suivants :

Le laboratoire Astellas est titulaire, depuis 2005, d’une autorisation de mise sur le marché (« AMM ») pour le médicament Ribomustin et depuis 2010, d’une AMM pour le médicament Levact, ayant tous deux la Bendamustine comme principe actif pour traiter différents lymphomes.

En 2012, plusieurs laboratoires ont déposé des demandes d’AMM pour des génériques de ces médicaments. En 2014, l’autorité réglementaire finlandaise, le FIMEA, a accordé au Laboratoire Helm AG une AMM pour le produit Alkybend générique du Levact à l’issue d’une DCP.

Afin de contrer l’arrivée de ces génériques, Astellas a engagé, en Finlande et dans plusieurs autres Etats membres, des procédures en annulation des décisions d’AMM accordées aux génériqueurs. Une procédure est d’ailleurs actuellement pendante en France devant le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise.

La demande d’annulation de l’AMM finlandaise du générique Alkybend présentée par Astellas est fondée sur le fait que le FIMEA n’aurait pas dû prendre en compte, comme point de départ de la protection des données le médicament Ribomustin mais le Levact. Or dans la mesure où pour ce deuxième médicament la période de protection des données n’était pas expirée, FIMEA aurait dû refuser de délivrer l’AMM. 

De leurs côtés, Helm AG et le FIMEA considèrent que l’AMM du LEVACT formait, avec celle du Ribomustin, une seule AMM globale et qu’en application de la jurisprudence traditionnelle de la Cour [1], la période de protection administrative des données [2], qui court à compter de l’AMM initiale, en l’espèce celle du Ribomustin, était bien expirée.

La Cour administrative suprême de Finlande, saisie de la question, a sursis à statuer et a posé à la CJUE les deux questions préjudicielles suivantes :

1- Dans le cadre d’une demande d’AMM pour un médicament générique par voie de DCP, les autorités réglementaires des Etats membres concernés par la procédure décentralisée sont-elles compétentes pour déterminer le point de départ de la protection des données du médicament de référence ?

2- Une juridiction d’un Etat membre concerné par une procédure décentralisée d’AMM pour un médicament générique, saisie d’un recours formé par le titulaire de l’AMM du médicament de référence, contre la décision d’AMM du générique, est-elle compétente pour contrôler la détermination du point de départ de la période de protection des données du médicament de référence et pour vérifier si l’AMM initiale du médicament de référence est conforme à la Directive 2001/83 ?

1. Le contrôle du point de départ de la période de protection des données de l’AMM du médicament de référence par chacun des Etats membres concernés par une procédure décentralisée.

Rappelons d’abord que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’AMM générique (procédure abrégée), l’autorité réglementaire saisie doit, pour instruire la demande, vérifier que les conditions de délivrance de l’AMM sont remplies [3]. Au nombre de ces conditions figure la justification de ce que le médicament de référence a été autorisé depuis au moins 8 ans (période dite de « protection des données »). Si tel n’est pas le cas, elle doit refuser de délivrer l’AMM [4].

Par ailleurs, lorsque la demande d’AMM concerne plusieurs Etats membres, et que sont appliquées les procédures d’autorisation décentralisées et de reconnaissance mutuelle, l’examen de la demande débute par une étape de concertation au cours de laquelle les Etats membres concernés étudient et approuvent les documents relatifs au produit préparés par l’Etat membre de référence (projets de rapport d’évaluation, de résumé des caractéristiques du produit, d’étiquetage et de notice). Ils peuvent refuser d’approuver ces documents uniquement en cas de risque potentiel grave pour la santé publique. Une fois l’ensemble des documents relatifs au produit approuvé par chacun des Etats membres, l’Etat membre de référence constate l’accord général. Les Etats membres concernés adoptent ensuite individuellement une décision d’AMM nationale [5].

La question de fond posée ici est en réalité celle de savoir si au cours de l’examen d’une demande dans le cadre de ces procédures (DCP ou MRP), les Etats membres « concernés » doivent vérifier si les conditions de délivrance sont remplies ou s’ils doivent limiter leur appréciation à l’examen des documents du dossier et refuser leur accord dans le seul cas d’un risque potentiel grave pour la santé publique.
Autrement exprimé, les Etats membres « concernés » ont-ils une compétence autonome pour vérifier l’expiration de la période de protection des données du médicament de référence ou doivent-ils se fier à l’appréciation faite par l’Etat membre de référence sur ce point ?

Pour répondre à cette question, la Cour de justice a procédé en deux temps :

- Elle a d’abord jugé que la contestation, par les Etats membres concernés, des documents relatifs au produit transmis par l’Etat membre de référence est admise uniquement jusqu’à l’accord général. Une fois cet accord général obtenu, les Etats membres concernés ne peuvent plus revenir sur leur accord et ne peuvent qu’autoriser le produit en question sur leur territoire ;

- Ensuite, s’agissant de l’appréciation du point de départ de la période de protection des données, elle a considéré que tous les Etats membres concernés doivent vérifier, préalablement à leur accord sur les documents relatifs au produit et avant l’accord général, que la période de protection des données du médicament de référence est expirée.

Ainsi selon la Cour, la phase d’approbation des documents relatifs au produit préparés par l’Etat membre de référence comprend une étape préalable de vérification, par les Etats membres concernés, de l’expiration de la période de protection des données. Un Etat membre peut donc refuser d’approuver les documents relatifs au produit en cas de désaccord sur le respect de la période de protection des données.

Ainsi, en qualifiant la vérification de l’expiration de la période de protection des données de « condition préalable à l’octroi d’une AMM du médicament générique », la Cour a procédé à une conciliation des dispositions relatives à l’examen des demandes d’AMM selon la procédure abrégée avec les dispositions relatives à l’examen des demandes d’AMM selon la DCP. Les Etats membres « concernés » ne peuvent donc se contenter de se référer à l’examen des conditions de délivrance de l’AMM effectué par l’Etat membre de référence. Ils doivent individuellement procéder à cet examen et le cas échéant, refuser de délivrer l’AMM. 

Il convient néanmoins de rappeler que la Cour raisonne ici dans le cadre d’une DCP. La transposition de ce raisonnement à une procédure de reconnaissance mutuelle (« MRP ») se pose.

En effet, la MRP est caractérisée par la préexistence d’une AMM délivrée dans un Etat membre de référence qui doit être reconnue par les autorités compétentes des autres Etats membres concernés (là où une logique de co-décision prévaut en matière de DCP). Comme l’a déjà relevé la Cour en matière de MRP, soumettre une AMM déjà délivrée dans un Etat membre, à une nouvelle appréciation de la part de chaque Etat membre concerné, « reviendrait à priver de tous sens la procédure de reconnaissance mutuelle instituée par le législateur communautaire et à compromettre sérieusement la réalisation des objectifs de la Directive 2001/83, tel que, en particulier, la libre circulation des médicaments dans le marché intérieur » (CJUE 16 oct. 2008, Aff. C-452/06, Synthon, §32).

2. La garantie de l’effectivité de la protection des données par chacune des juridictions des Etats membres concernés.

Outre la question de la protection administrative des données de l’AMM d’un médicament de référence par les autorités réglementaires, la Cour était également interrogée sur l’étendue de la protection juridictionnelle des données d’AMM dont bénéficient les titulaires.

La Cour avait déjà posé dans son arrêt Olainfarm (CJUE 23 oct. 2014, Aff. C-104/13, Olainfarm, §37-38) que le titulaire de l’AMM d’un médicament de référence dispose d’un droit de recours contre la décision de l’autorité compétente octroyant une AMM pour un médicament générique, spécifiquement pour non-respect de son droit à la protection des données.

La question ici résidait donc dans la compétence juridictionnelle des Etats membres concernés pour une AMM générique délivrée dans le cadre d’une DCP.

Après avoir relevé l’absence d’acte préalable à la décision d’AMM susceptible de faire l’objet d’un recours (la procédure de DCP ne débouchant que sur la délivrance d’AMM nationales), la cour en a conclu que « la protection juridictionnelle effective des droits dont dispose le titulaire de l’AMM du médicament de référence quant à la protection des données de ce médicament ne peut être assurée que si ce titulaire peut faire valoir ces droits devant une juridiction de l’État membre dont l’autorité compétente a adopté une décision d’AMM du médicament générique et s’il peut notamment invoquer devant celle-ci une erreur relative à la détermination du point de départ du délai de la période de protection dont cette décision serait affectée  ».

Le titulaire d’une AMM d’un médicament de référence peut donc contester les AMM génériques délivrées à l’issue de la procédure de DCP en violation de son droit à la protection des données devant les juridictions nationales dont dépendent les autorités réglementaires ayant délivré les AMM correspondantes.

En revanche on relèvera que la Cour limite les effets des décisions des juridictions nationales. Elle considère en effet que le contrôle de la légalité d’une AMM générique accordée dans chaque Etat membre participant à la DCP incombe aux juridictions respectives desdits Etats membres, lesquelles peuvent seules remettre individuellement en cause l’AMM accordée sur leur territoire au motif que la période de protection des données n’est pas expirée.

Elle précise par ailleurs que ces juridictions ne peuvent pas vérifier si l’AMM initiale du médicament de référence délivrée par un autre Etat membre l’a été conformément à la directive, (autre sujet de fond du débat non traité dans le présent article).

Cette position qui juridiquement se comprend peut toutefois conduire à ce que pour une même spécialité bénéficiant d’une AMM délivrée selon la voie DCP, celle-ci voit son AMM retirée dans certains pays et pas dans d’autres. L’Avocat Général avait sur ce point relevé dans ses conclusions que les Etats membres ont l’obligation de s’informer mutuellement, ce qui pourrait mener au réexamen des autorisations accordées en application de la DCP dans les autres Etats Membres. Néanmoins, une telle situation est de nature à fragiliser la libre circulation des médicaments à usage humain et ne va pas vraiment dans le sens de l’harmonisation pourtant souhaitée.

Si le raisonnement de la Cour ne nous parait pas contestable sur le plan juridique et des principes de droit, sa mise en œuvre pratique pourrait s’avérer dès lors problématique. Il pourrait être opportun que le législateur européen en tire les conséquences à l’occasion d’une prochaine modification du code communautaire des médicaments à usage humain.

A suivre, donc.

Barbara BERTHOLET
Avocat Associée
Rachel DEVIDAL
Avocat
Cabinet Adaltys

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Notes de l'article:

[1Voir récemment la décision de la CJUE, 28 juin 2017, Aff. C-629/15 P et C-630/15 P, NOVARTIS.

[2Pour rappel, les laboratoires princeps bénéficient d’une période de protection administrative des données d’AMM de 8 ans et d’une période d’exclusivité commerciale de 10 ans, pouvant être portée à 11 ans, à compter de la délivrance de l’AMM (Article 10.1 de la Directive 2001/83). L’expiration de cette période fait l’objet d’un contrôle, par les autorités réglementaires compétentes, avant l’octroi d’une AMM à un médicament générique.

[3Articles 10 et 19.1 de la Directive 2001/83, modifiée.

[4Article 26.2 de la Directive 2001/83, modifiée.

[5Articles 28 et 29.1 de la Directive 2001/83, modifiée depuis la modification de la Directive 2001/83 par la Directive 2004/27.

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