En droit de la concurrence, la violation des règles prévues par le droit français et par le droit de l’Union peut exposer les personnes morales à des sanctions pécuniaires, sans compter le droit reconnu aux personnes publiques et privées victimes d’une entente ou d’un abus de position dominante d’obtenir la réparation effective de leur préjudice. L’article L. 420-6 du code de commerce prévoit, par ailleurs, des peines d’emprisonnement et d’amende pour les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles. Les programmes de conformité permettent ainsi d’anticiper, de maîtriser et de gérer ces différents risques.
Ces programmes de conformité reposent non seulement sur des mesures destinées à créer une culture orientée vers le respect des règles (formation, sensibilisation des dirigeants et de l’ensemble du personnel), mais aussi sur des mécanismes internes d’alerte, de conseil, d’audit et de responsabilisation indispensables pour créer les bons réflexes au sein des entreprises. L’Autorité de la concurrence invite les entreprises à se doter de programmes de conformité efficaces moyennant la possibilité de bénéficier de réductions de sanctions en cas de poursuites (Communiqué de l’Autorité de concurrence du 10 février 2012).
La conformité au droit de la concurrence représente donc incontestablement un enjeu majeur pour les entreprises compte tenu des sanctions très lourdes pouvant atteindre 10% du chiffre d’affaires mondial du groupe toutes activités confondues. On relève d’ailleurs une sévérité de plus en plus accrue s’agissant du quantum des sanctions financières prononcées par les autorités de la concurrence.
I. Le contenu des programmes de conformité en droit de la concurrence
Il doit s’agir de programmes de conformité crédibles et efficaces pour que l’Autorité de la concurrence puisse les prendre en considération dans le cadre du traitement des affaires d’ententes ou d’abus de position dominante.
Ces programmes doivent intégrer cinq points essentiels :
1) l’existence d’une prise de position claire, ferme et publique des organes de direction et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mandataires sociaux :
soulignant l’importance du respect des règles interdisant les cartels, les autres ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante ou de dépendance économique ;
prenant l’engagement général et permanent de respecter les règles de concurrence et de soutenir le programme mis en place
2) l’engagement de désigner une ou plusieurs personne(s) chargée(s), au sein de l’entreprise ou de l’organisme, du programme de conformité et devant :
être désignées par les organes de direction et disposer d’une autorité et d’une compétence incontestables au sein de l’entreprise ou de l’organisme ;
se consacrer de façon effective à la mise en œuvre du programme de conformité ;
avoir la capacité d’accéder directement aux organes de contrôle, par exemple en cas de découverte d’une infraction ;
disposer des pouvoirs nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective du programme de conformité et bénéficier à cette fin de moyens humains et financiers suffisants, en fonction de la taille de l’entreprise ou de l’organisme
3) l’engagement de mettre en place des mesures effectives d’information, de formation et de sensibilisation comportant :
la diffusion régulière à l’ensemble des mandataires sociaux et des dirigeants de l’entreprise, ainsi qu’aux cadres et aux autres salariés ou agents concernés, de documents leur expliquant le sens et la portée pratique des règles de concurrence, les sensibilisant à l’importance et à l’intérêt pour l’entreprise ou l’organisme de s’y conformer et les informant des mécanismes internes leur permettant d’obtenir des conseils ou d’alerter sur l’existence d’infractions avérées ou possibles à ces règles ;
des mesures de communication interne générale sur l’existence et la raison d’être du programme de conformité ;
la réalisation régulière de formations obligatoires aux règles de concurrence et à leurs implications concrètes pour l’entreprise ou l’organisme, ciblées sur les dirigeants, les cadres et les autres salariés ou agents présentant des profils à risques particuliers (responsables des prix ou des ventes, personnes participant aux travaux d’associations professionnelles…), complétées éventuellement par des formations ponctuelles (par exemple en cas d’embauche de nouveaux salariés concernés par les règles de concurrence, ou de découverte d’une infraction).
4) l’engagement de mettre en place des mécanismes effectifs de contrôle, d’audit et d’alerte comprenant :
la mise en place de mesures visant à évaluer le respect individuel de la politique de conformité de l’entreprise (par exemple sous la forme de dispositions intégrées au règlement intérieur, de clauses insérées dans les contrats de travail, ou encore d’attestations individuelles régulières de conformité) ;
la mise en place d’un dispositif permettant à tout salarié de l’entreprise de demander un conseil aux personnes chargées du programme de conformité sur la conduite à tenir à propos d’une question relative au respect des règles de concurrence et de pouvoir les alerter de bonne foi, si possible de façon confidentielle, et en étant assuré de bénéficier de mesures de protection contre toutes représailles, en cas de connaissance d’une infraction avérée ou possible aux règles de concurrence
Il est évident qu’un programme de conformité ne peut se transposer à l’identique dans une grande ou une petite entreprise et que ces cinq conditions peuvent donc être substantiellement adaptées dans les petites ou moyennes entreprises (PME).
II. La mise en œuvre des programmes de conformité en droit de la concurrence
Ces programmes comprennent généralement les étapes suivantes devant être adaptées aux besoins de chaque entreprise :
• Une phase d’évaluation des risques concurrence propres à l’entreprise :
– Examen des accords, partenariats et pratiques
– Entretien avec les responsables de l’entreprise concernés (juristes, commerciaux, opérationnels concernés par les pratiques…)
– Identification des transactions ou comportements à risques, des personnes et activités les plus exposées.
• Une phase de mise en place d’un programme adapté :
– Elaboration de référentiels et de guides de bonnes pratiques : réglementations, sanctions et préconisations pratiques adaptées à l’activité propre de l’entreprise
– Mise en place d’un système de diffusion auprès des juristes et opérationnels exposés aux risques, désignation d’une ou plusieurs personnes responsables du programme de conformité, engagement ferme et public des dirigeants à soutenir le programme de conformité
– Mise en place de programmes de formations et de contrôles par exemple via des questionnaires pratiques ou des systèmes d’alerte
Ces programmes visent principalement les pratiques anticoncurrentielles d’ententes et les abus de position dominante :
• Les ententes horizontales secrètes, dites également « cartels », par lesquelles les concurrents fixent les prix en commun, limitent la production ou se répartissent les clients ou encore les marchés
• D’autres formes d’ententes ou de coordinations entre concurrents, comme les échanges d’informations confidentielles et stratégiques
• Les ententes entre opérateurs intervenant à différents niveaux de la chaîne de valeur, comme la fixation des prix de revente des distributeurs par les fabricants ou certaines restrictions imposées aux distributeurs pour le commerce en ligne
• Les pratiques par lesquelles une entreprise en position dominante chercherait à en abuser, par exemple en évinçant ses compétiteurs du marché ou en abusant de la position de faiblesse de ses partenaires commerciaux : entreprise détenant une position forte sur un marché qui utilise cet avantage sur un autre marché plus concurrentiel, remises fidélisantes accordées par un fournisseur détenant une forte position sur un segment de marché …
Etant donnée la diversité des risques et des pratiques anticoncurrentielles, l’adoption de programmes de conformité est en définitive recommandée pour tout type d’entreprises de tous secteurs d’activité. Ces programmes doivent en revanche être adaptés à la dimension, aux besoins, aux pratiques et à l’environnement de l’entreprise. La mise en place de ces programmes permet de créer une culture de concurrence au sein de l’entreprise, de détecter et d’éviter les pratiques à risques, de sécuriser les pratiques et limiter ainsi les sanctions encourues en cas de poursuites. En effet, les entreprises qui s’engagent à mettre en place un programme de conformité ou à améliorer un programme de conformité préexistant pourront bénéficier, dans le cadre de la procédure de non-contestation des griefs, d’une réduction pouvant atteindre 10% de la sanction encourue.
Cette réduction s’ajoute à celle de 10 % liée à la renonciation à contester les griefs proprement dite et à celle de 5 % pouvant être accordée au titre d’autres engagements.
Par ailleurs, les entreprises dotées de programmes de conformité qui découvrent et mettraient fin d’elles-mêmes à une pratique anticoncurrentielle, autre qu’un cartel, avant toute ouverture d’une enquête ou d’une procédure par une autorité de concurrence, pourront bénéficier d’une circonstance atténuante si l’Autorité est amenée à ouvrir un cas concernant cette infraction.
L’Autorité ne considérera pas à l’inverse l’existence d’un programme de conformité comme une circonstance aggravante, même s’il s’avère que ce sont des mandataires sociaux ou des dirigeants qui ont participé à l’infraction en dépit de leur engagement de respecter les règles de concurrence et de soutenir le programme de conformité mis en place par l’entreprise ou l’organisme en cause.
La mise en place d’un programme de conformité efficace en droit de la concurrence représente donc un enjeu majeur et une véritable opportunité pour les entreprises.