Un projet de loi dans la lignée du rapport Badinter avec une véritable ambition d’assouplissement du droit du travail
L’avant-projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri a été transmis vendredi 12 février 2016 au Conseil d’État. Le Conseil d’Etat doit remettre son avis le 4 mars 2016. Le texte doit passer en Conseil des ministres le 9 mars prochain. Ce projet de loi a pour objectif d’améliorer la compétitivité des entreprises et de favoriser l’emploi dans un contexte de chômage de masse. Son texte n’a pas été publié à notre connaissance, mais il a été commenté par ses auteurs.
Cet avant-projet s’appuie sur les préconisations du rapport Badinter. Ce rapport, remis le 25 janvier 2016 au Premier Ministre, définit les principes fondamentaux sur lesquels doit s’établir la législation du travail. Pour le comité, la première exigence du droit du travail est "d’assurer à la femme et à l’homme au travail, aux salariés, à tous ceux qui participent à la création de richesse dans l’entreprise, le respect de leurs droits fondamentaux, et notamment de leur dignité".
Certaines dispositions contenues dans le projet de loi sont encore en discussion au sein du Gouvernement. Cependant, le cœur de la réforme envisagée est connu : la refonte du Code du travail, principalement sur le thème du temps de travail, conformément aux préconisations du rapport Badinter remis en janvier dernier au Gouvernement par le Comité Badinter. Cette loi devrait modifier voire réécrire complètement toute la partie consacrée à l’organisation du temps de travail dans le Code du travail. Les étapes suivantes doivent s’échelonner d’ici à 2018.
Beaucoup de bruit avait été fait autour de la remise en cause potentielle annoncée par le Gouvernement de la durée légale des 35 heures, ainsi que de la majoration légale des heures supplémentaires de 10 % minimum. Il apparaît aujourd’hui que ces principes demeureront inchangés. Il est regrettable que le Gouvernement ait procédé à un rétropédalage aussi radical concernant la durée légale du travail. Laisser la possibilité de négocier au niveau de l’entreprise le seuil de la durée légale du travail, comme cela avait été envisagé, aurait pu apporter plus de souplesse aux entreprises et ainsi, leur permettre de renforcer leur compétitivité.
Le projet prévoit cependant d’ouvrir certaines possibilités pour les entreprises, notamment concernant la modulation du temps de travail. Les entreprises pourraient, selon le projet remis vendredi dernier, plus facilement moduler l’annualisation, les congés ou encore la majoration des heures supplémentaires. Pour ce faire, le projet de loi énonce que la primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun.
La majoration des heures supplémentaires
La majoration des heures supplémentaires est un aspect important de la réforme prévue par le Gouvernement. Actuellement, lorsqu’une convention de branche le prévoit, les entreprises ne peuvent pas rémunérer les heures supplémentaires en dessous de 25 % de majoration de salaire. La nouvelle loi pourrait prévoir la possibilité pour les entreprises de négocier par elles-mêmes ces majorations et donc plus exactement abaisser le taux de ces majorations. Une entreprise pourrait par exemple décider avec les syndicats de prévoir par accord d’entreprise un taux de 10 % (le minimum prévu par la loi) pour les heures supplémentaires, même si la convention collective prévoit un taux supérieur. L’intérêt sous-jacent est évidemment de répondre aux pics d’activité des entreprises. Si les syndicats craignent une perte des acquis sociaux, ce projet de mesure est à plébisciter pour permettre aux entreprises de répondre aux aléas des carnets de commande, de plus en plus importants dans notre économie.
La modulation du temps de travail et des salaires
Pour permettre une adaptation aux cycles de production, au ralentissement ou à l’augmentation de l’activité économique, l’entreprise pourrait moduler librement le temps de travail et le salaire des employés sur une durée maximale de 5 ans. En somme, si une entreprise décroche un nouveau contrat pour lequel elle a besoin de faire travailler davantage ses salariés au taux horaire de base, elle pourra le faire sous la condition d’obtenir la signature de la majorité de ses syndicats.
L’employeur devrait selon le projet de loi également recueillir l’accord des salariés concernés et ceux qui refuseront pourraient être licenciés pour « cause réelle et sérieuse ». Jusqu’à présent, le salarié qui refuse peut être licencié pour motif économique et ainsi bénéficier des garanties spécifiques attachées au licenciement économique. Cette mesure devrait permettre une fois encore aux entreprises de répondre au plus juste aux besoins du marché mais nous doutons néanmoins sérieusement que cette mesure soit maintenue dans la loi qui sera finalement votée.
Le forfait-jour possible sans accord collectif préalable
L’autre nouveauté du projet concerne les entreprises de moins de 50 salariés. Ces TPE et PME seraient, selon le projet, dans l’avenir, en mesure de proposer un forfait-jour de manière individuelle aux salariés qui seraient d’accord, sans nécessairement devoir négocier un accord collectif sur le sujet. La question de savoir comment la rémunération supplémentaire sera fixée est a priori laissée en suspens, alors qu’elle est un élément majeur dans une discussion entre employeur et salarié. Pour rappel, le forfait-jour est une modalité de décompte du temps de travail en journées ou demi-journées travaillées, sans référence horaire, prévu par les articles L3121-43 et suivants du code du travail. Ce régime prévoit que les salariés doivent travailler 235 jours de travail par an au maximum, et avoir 11 heures de repos consécutives obligatoires par 24 heures. Il concerne les cadres autonomes dans l’organisation de leur emploi du temps et certains salariés non cadres devant également disposer d’une réelle autonomie. Selon le projet de loi El Khomri, les 11 heures de repos pourront être fractionnées et non plus obligatoirement consécutives.
Le référendum de validation des accords d’entreprise
Cette nouvelle mesure a été beaucoup critiquée par les partenaires sociaux, à l’exception de la CFDT. Le projet de loi prévoit que les accords collectifs devront être majoritaires. Cependant, afin d’éviter les situations de blocage comme cela pu être le cas à la Fnac avec le travail dominical, des syndicats représentant au moins 30% des salariés pourront demander une consultation des salariés. Et un accord serait valide s’il est approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
Les accords collectifs majoritaires devraient par ailleurs "prévaloir sur le contrat de travail, dès lors qu’ils permettent de préserver ou de développer l’emploi", selon M. Valls.
Enfin, le droit d’opposition des syndicats représentant au moins 50 % des salariés serait supprimé. Cette mesure partait d’une volonté louable mais l’on peut se demander si elle va parvenir à relancer le dialogue social, par essence rompu lorsqu’un syndicat représentatif a déjà refusé de signer un accord majoritaire.
Le plafonnement des indemnités prud’homales
Les indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié seraient plafonnées. Cette nouvelle disposition a été défendue par les syndicats patronaux. Cette mesure avait été intégrée dans la loi Macron du 6 août 2015, mais a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif « [que le plafonnement] devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ». Elle devrait aujourd’hui prendre en compte l’âge et l’ancienneté des salariés concernés. On voit donc que le Gouvernement tient particulièrement à intégrer cette mesure dans l’arsenal légal.
Une définition du licenciement économique précisée
Des critères plus précis définissent dans le projet de loi le motif économique d’un licenciement : les difficultés économiques sont caractérisées "soit par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés". Il s’agirait là, si le projet n’est pas dénaturé au fil des discussions, d’une clarification permettant d’éviter de nombreuses discussions devant les conseils de prud’hommes sur la pertinence pour l’entreprise de licencier.
Discussions en cours :
Ce projet est-il, ou non, une rupture avec le droit du travail en vigueur ?
Si cette loi est adoptée en l’état (ce qui semble mal parti à l’heure où je vous réponds), des règles importantes en droit du travail seraient modifiées :
Par exemple, les indemnités prud’homales ne sont actuellement pas plafonnées et dépendent uniquement de l’appréciation du juge ;
Les entreprises soumises à un accord de branche non dérogatoire ne peuvent à ce jour prévoir une majoration des heures supplémentaires inférieure à celle prévue par cet accord de branche ;
Il n’existe pas de possibilité de proposer un référendum aux salariés lors de la négociation d’accord collectif ;
La possibilité de conclure un forfait jour doit être actuellement prévue par un accord collectif. Avec la réforme, un employeur pourrait proposer cette convention de forfait-jour directement aux salariés concernés.
Le plafonnement des indemnités prud’homales est somme toute dans les montants de ce que les Conseils de Prud’hommes accordaient et même parfois au-delà. Je crois qu’il n’y a jamais guère eu de jurisprudence à plus de 24 mois (et pour des conditions de licenciement particulièrement sordides). C’est d’ailleurs un argument du gouvernement. A se demander alors pourquoi réformer sur ce point ? Mais il semblerait par contre que, par un tour de passe-passe, l’indemnité minimale de six mois de salaire prévue par l’article L.1235-3 du Code du travail pour les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse (sous réserve d’une ancienneté de plus de deux ans et que l’entreprise compte plus de 10 salariés du fait de la double exclusion de l’article L.1235-5) disparaisse. C’est bien là le principal problème pour qui connait un peu les logiques qui s’affrontent lors du délibéré d’une formation de jugement d’un Conseil de Prud’hommes ordinaire. On notera d’ailleurs que l’inégalité devant la loi au regard de la taille de l’entreprise, récemment retoquée par le Conseil Constitutionnel, existait déjà... dans la loi ! Et bien avant Macron.
Contrairement aux objectifs affichés, loin de favoriser l’emploi, le projet de loi risque même de produire l’effet contraire...
Sans compter que le droit du travail n’a pas une vocation économique mais sociale, a priori. Celle de protéger les droits des salariés dans le cadre d’une relation asymétrique qui leur est défavorable. Or le projet de loi ne fait que renforcer cette asymétrie, allant jusqu’à remettre en cause un principe de l’intangibilité des contrats. En faisant fi de la loi des parties au profit d’accords d’entreprise, on prive le salarié de son libre arbitre (son droit de refuser se traduisant par un licenciement "sec"). De plus, on accroît l’insécurité juridique - à la fois des contrats eux-mêmes, mais du fait de la durée de vie des accords et des majorités électorales -, et on contribue à l’atomisation du droit du travail qui sera loin de le simplifier.
Sur la durée du travail, donner à l’entreprise le pouvoir de l’augmenter sans contrepartie ou avec une contrepartie infra-légale n’assurera pas nécessairement l’augmentation de l’emploi. Ce serait d’ailleurs illogique, l’objectif étant d’ajuster ce qui deviendra une "variable" aux besoins de l’entreprise... Et à en croire des exemples récents, il n’est pas plus certain que cette mesure favorisera le maintien dans l’emploi.
La possibilité de réduire les salaires n’offrira pas davantage de garanties sur ce point, et là encore, les exemples récents d’établissements ayant fermé après avoir baissé les salaires et augmenté le temps de travail sont assez éloquents. Même observation concernant les heures supplémentaires, dont la défiscalisation en son temps n’avait pas épargné la courbe du chômage, loin s’en faut.
Fractionner les 11 heures de repos revient à entériner une pratique courante, quand on sait la réalité de la durée du travail quotidien de beaucoup de cadres. Ce faisant, n’y a-t-il pas là un risque supplémentaire d’amplifier les problèmes décriés par ailleurs en matière de santé au travail ?
Quant au plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les critères de l’âge et de l’ancienneté constituent sans doute une avancée par rapport à la 1ère version envisagée. Pour autant, la nature du dommage ne peut se mesurer à l’aune de ces seuls critères ...
Pour conclure, si cette réforme a pour seul objectif de "libéraliser" le droit du travail pour que ce dernier s’ajuste au plus près aux besoins de l’entreprise, elle constitue une réelle avancée même si elle peut mieux faire.
S’il s’agit de créer de l’emploi, des doutes sont plus que permis...
Il reste une certitude, c’est que la prétendue protection des droits fondamentaux des salariés passe en réalité à la trappe.
Et il reste une question : n’aurait-il pas mieux valu réformer le droit du travail pour prendre en compte les contraintes réelles qui se posent aux TPME, en créant des dispositions spécifiques ?
bravo pour le commentaire, j’aurais pas fait mieux. l’apparente bienveillante neutralité de l’article est un leurre qui masque la difficulté de rendre parfaitement objectif celui-ci. pour cela une seul solution prendre en compte les remarques des deux camps (pour reprendre un terme juridique équivalent :"in rem") et essayer de comprendre leur intérêts (ce qui relève de la mission impossible) et trancher en faveur de l’un ou l’autre à la lumière des textes de loi mais aussi et surtout leur esprit. cet article manque de lucidité et donc d’humanité sous couvert de neutralité, sans tomber dans l’excès d’empathie pour l’un ou l’autre, votre commentaire remet la "balle au centre". Un juriste se doit de faire correctement cet examen de conscience : ai je bien pris en compte l’ensemble des faits du problème juridique, sans concession, pour pouvoir affirmer que la solution que je propose est celle qui s’impose légalement et naturellement ? ( par le texte et par l’esprit).