Le gouvernement revient sur le plafonnement des indemnités prud’homales prévu par l’avant-projet de loi El Khomri.

Par Françoise Berton, Avocat.

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Explorer : # réforme du droit du travail # indemnités de licenciement # barème indicatif # contestation syndicale

Il y a quelques jours, le Gouvernement revenait sur son annonce de prévoir dans la future loi El Khomri un barème des indemnités pour licenciement sans fondement qui s’imposerait aux juges. Ce barème serait désormais simplement « indicatif ». Retour sur le projet d’origine et ce que le changement va apporter concrètement.

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L’avant-projet de loi El Khomri, qui a été beaucoup évoqué depuis son annonce en février 2016, ambitionne une réforme de taille du droit du travail français. Ce texte prévoyait notamment dans sa version initiale un plafonnement des indemnités à verser par l’employeur en cas de licenciement abusif selon un barème prédéfini variant en fonction de l’ancienneté du salarié.

Cette mesure a été plébiscitée par le gouvernement et le patronat car elle aurait permis selon eux aux employeurs d’évaluer à l’avance l’aléa financier lié au conflit avec un salarié.

Elle s’est cependant heurtée, comme on pouvait s’y attendre, à de vives critiques de la part des syndicats qui estiment qu’elle constitue une autorisation de « licencier sans motif ». La mise en place d’un tel barème aurait également, selon les syndicats, eu pour conséquence de supprimer la libre appréciation du juge en matière de fixation du montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Suite aux contestations, le gouvernement vient de revenir sur cette mesure en indiquant que le barème ne serait qu’indicatif.

Le régime actuel est fondé sur une appréciation souveraine du préjudice subi par le salarié avec un minima dans certains cas.

Actuellement, la loi impose au juge de verser au salarié ayant plus de 2 ans d’ancienneté et travaillant dans une entreprise de plus de 10 salariés, un minimum de six mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans fixer de maximum. Le juge peut donc octroyer au salarié des indemnités supérieures à 6 mois de salaire en fonction du préjudice subi par le salarié.
Pour les salariés ayant moins de 2 ans d’ancienneté ou appartenant à une entreprise de 10 salariés au plus, les indemnités sont fixées librement en fonction du préjudice subi par le salarié.

Régime prévu par l’avant-projet de loi El Khomri : hauteur des indemnités versées au salarié en cas de licenciement abusif

L’avant-projet de loi El Khomri prenait le contre-pied du régime actuel en supprimant tout minimum et en plafonnant par un barème le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, selon le barème prévu par la ministre du Travail, le juge devait respecter un maximum variant selon l’ancienneté du salarié au sein de la société, à savoir :
-  3 mois de salaire si l’ancienneté du salarié est de moins de deux ans ;
-  6 mois de salaire si l’ancienneté du salarié est d’au moins deux ans et de moins de cinq ans ;
-  9 mois de salaire si l’ancienneté du salarié est d’au moins cinq ans et de moins de dix ans ;
-  12 mois de salaire si l’ancienneté du salarié est d’au moins 10 ans et de moins de 20 ans ;
-  15 mois de salaire si l’ancienneté du salarié est d’au moins 20 ans.

Ce barème était également applicable dans la première version de l’avant-projet de loi en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail ou en cas de prise d’acte de la rupture.

L’indemnité était en outre cumulable avec celle éventuellement prévue pour irrégularité de procédure et en cas de non-respect de la priorité de réembauchage.

Cas d’exclusion du barème El Khomri

L’avant-projet de loi El Khomri prévoyait cependant des cas dans lesquels le juge pouvait octroyer au salarié une indemnité d’un montant supérieur aux plafonds prévus par le barème en cas de faute de l’employeur d’une particulière gravité et notamment dans les cas suivants :
-  harcèlement moral ou sexuel ;
-  licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle ou de corruption ;
-  violation du droit de grève ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ;
-  atteinte aux libertés fondamentales.

Barème à l’origine contraignant pour le juge devenu indicatif

Le gouvernement ayant cependant indiqué que le barème initialement contraignant ne sera plus qu’indicatif, il convient maintenant d’attendre la publication de la nouvelle mouture du projet de loi, afin de pouvoir connaître le contenu exact du nouveau dispositif.

Si le barème reste indicatif, il est fort probable que la mesure prévue au départ par le gouvernement ne soit en définitive vidée de sa substance. Les juges reprendront très certainement leur liberté de juger concrètement du préjudice.

Décidément, cette mesure a bien du mal à s’imposer, puisqu’elle a déjà été retoquée par le Conseil constitutionnel lors de sa présentation dans la loi Macron en 2015 en raison du fait que dans la version précédente, le barème se fondait sur la taille de l’entreprise. Ce qui est, selon le Conseil constitutionnel contraire au principe d’égalité. Pour faire une comparaison avec le droit du travail allemand, celui-ci ne s’embarrasse pas de tels scrupules, puisque les salariés travaillant dans les entreprises de moins de 11 salariés ne bénéficient d’aucune indemnité en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais autre pays, autres mœurs….

L’avenir nous dira si le gouvernement tente de « sauver » son dispositif ou finalement l’abandonne.

Françoise Berton,
Avocate et Rechtsanwältin
http://www.berton-associes.fr

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Discussion en cours :

  • Il est fort dommage que la situation des salariés de l’entreprise DESSEILLES à Calais n’ait pas servie d’exemple au gouvernement pour ce qui concerne le plafonnement des indemnités de licenciement économique . Rappelons qu’une entreprise licencie lorsqu’elle y est contrainte , et non par plaisir . Aussi j’invite Village Justice et l’auteur de cet article à se rapprocher de Monsieur Jean-Louis Dussart via son compte Twitter @jldussart et des 5000 signataires de la pétition #sauvonsDesseilles et ses salariés via change .org . Merci à vous , sauvons 100 emplois et d’autres encore , la France a besoin de vous , la France a besoin de nous .

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