Vous avez très certainement vu ces terrains multi-sports, communément appelés "city-stade", fleurir dans nos villes.
Ces équipements sportifs sont très appréciés en ce qu’ils créent du lien social et qu’ils garantissent un égal accès aux pratiques sportives.
Toutefois, l’implantation de ces équipements sportifs peut rapidement devenir source de tracasseries juridiques pour les collectivités.
En effet, l’installation et l’utilisation de ces équipements peuvent générer des nuisances sonores ainsi que des incivilités diverses et variées : bruits liés aux chocs des ballons sur l’infrastructure, cris et troubles sonores des utilisateurs, musique, utilisation de cyclomoteurs à proximité du terrain, vandalisme, intrusions chez les riverains pour récupérer les ballons etc.
Or, ces équipements sportifs, qui reçoivent la qualification « d’ouvrage public », répondent à un double régime de responsabilité (I) qui peut engendrer des conséquences financières importantes pour la collectivité (II) mais qui peuvent être anticipées par le biais de mesures préventives et adaptées (III).
I. L’application d’un double régime de responsabilité...
En matière de nuisances générées par un city-stade, le risque judiciaire est particulièrement important pour les collectivités dans la mesure où ces dernières sont soumises à un double régime de responsabilité, qui peut être invoqué de manière cumulative par les riverains, à savoir un régime de responsabilité pour faute (A) ainsi qu’un régime de responsabilité sans faute (B).
A – Sur la responsabilité pour faute des collectivités.
Le régime de responsabilité pour faute des communes à raison des nuisances générées par les ouvrages publics renvoie en réalité à la responsabilité pour faute du Maire du fait de l’exercice des pouvoirs de police qu’il tient de l’article L2212-1 du Code général des collectivités territoriales :
« Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’Etat qui y sont relatifs ».
Aux termes de l’article L. 2212-2 du même code :
« La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…)
2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ».
En vertu de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, il est constant que le maire, qui n’exerce pas son pouvoir de police alors que les circonstances l’exigent, commet une faute [1] et que l’absence de mesures correctives et/ou le retard dans la mise en œuvre de ces dernières sont considérés comme constitutifs d’une carence dans l’exercice des mesures de police [2].
Or, en matière de nuisances sonores, l’étude de la jurisprudence révèle que le Juge administratif n’hésite pas à retenir des comportements et des omissions particulièrement variés pour caractériser des carences fautives dans l’exercice des pouvoirs de police.
D’une part, le Juge administratif sanctionne naturellement l’absence de mesures prises par la collectivité en vue de prévenir les nuisances sonores engendrées par l’ouvrage [3].
S’agissant plus précisément d’un city-stade, il a déjà été jugé que le Maire commettait une faute de nature à engager la responsabilité de la commune lorsqu’il ne mettait pas en œuvre les mesures destinées à prévenir les nuisances sonores engendrées par le city-stade, notamment en l’absence de panneau mentionnant les horaires d’ouverture et de fermeture du stade et l’interdiction d’y pénétrer en dehors de ces horaire, en l’absence de tourniquet annoncé pour empêcher l’intrusion des cyclomoteurs etc. [4].
Il est évident que ce positionnement du juge administratif apparait cohérent si aucune mesure n’a été prise par la collectivité pour mettre fin à la nuisance.
D’autre part, sachez que l’inaction totale d’une collectivité ne constitue pas la seule faute susceptible d’être retenue par le juge administratif. En effet, le simple retard de la commune dans la mise en œuvre des mesures destinées à supprimer ou prévenir la nuisance sonore est suffisant pour caractériser la faute de la commune et engager sa responsabilité.
A titre d’exemple, la responsabilité pour faute d’une commune a été retenue au motif que la personne publique n’avait pas pris les mesures appropriées et suffisantes et qu’elle n’avait édicté un arrêté règlementant l’accès et les horaires que trois ans après la mise en service de l’équipement sportif [5].
Comme vous l’aurez compris, l’omission ou le simple retard de la collectivité pour anticiper ou supprimer une nuisance sonore peuvent suffire à engager la responsabilité d’une commune, et ce, notamment en cas de retard dans l’élaboration ou l’affichage du règlement d’utilisation.
Dans ces conditions, afin de limiter le risque judiciaire, il apparait nécessaire d’édicter et d’afficher un règlement avec les horaires et les règles d’utilisation du city-stade dès l’implantation de l’ouvrage. De même, les équipements destinés à endiguer les incivilités, à réguler la fréquentation (chicanes, barrières) ou à limiter l’impact sonore devront être mis en œuvre dès l’implantation de l’ouvrage.
B – Sur la responsabilité sans faute.
En complément de son éventuelle responsabilité pour faute, une collectivité engage sa responsabilité sans faute lorsque l’existence ou le fonctionnement de l’ouvrage cause un préjudice anormal et spécial à des tiers.
Pour rappel, l’anormalité du préjudice peut se définir comme le préjudice qui excède ce que tout un chacun doit supporter du fait de l’activité administrative, dans l’intérêt général qu’elle poursuit.
Par ailleurs, la spécialité du préjudice peut se définir comme le préjudice qui n’atteint qu’un nombre limité d’individus.
S’agissant des nuisances générées par l’utilisation d’un « city-stade », le Juge administratif a déjà relevé que la collectivité devait être déclarée responsable en raison des nuisances qui excédaient les inconvénients que devaient normalement supporter les personnes résidant à proximité d’un ouvrage public, notamment en raison des bruits d’impact de ballons sur les barrières et panneaux délimitant l’ouvrage, des cris des joueurs, de l’incursion fréquentes de deux-roues motorisés et de ce que les périodes d’utilisation les plus intenses coïncidaient avec les périodes de beau temps durant lesquelles les personnes occupaient durablement leur maison et faisaient usage du jardin [6] :
« 3. Considérant qu’en septembre 2009 la commune de Saint-Michel-Chef-Chef a fait aménager à quelques mètres de la propriété de Mme A… un terrain de sport de taille réduite dénommé “city stade”, destiné à la pratique des sports tels que le football ou le basket ball, dont l’aire de jeux est délimitée par des barrières latérales et des panneaux de fond de jeu en bois ; qu’il résulte de l’instruction que l’utilisation de cette installation à proximité immédiate de l’habitation de Mme A… a été de nature à générer des nuisances sonores réelles causées tant par les bruits d’impact de ballons sur les barrières et panneaux délimitant l’ouvrage que par les cris des joueurs, à la fois dans la journée jusqu’à tard le soir, et par les incursions fréquentes de deux-roues motorisés ; qu’au surplus les périodes d’utilisation les plus intenses coïncidaient avec les périodes de beau temps durant lesquelles Mme A… occupe durablement sa maison et fait usage du jardin ; que l’édiction, le 10 juin 2010, par le maire de la commune, d’un arrêté interdisant la présence de tout véhicule motorisé dans l’enceinte du stade ainsi que, entre 22 h et 9 h, tout bruit autour du city-stade et les consignes données à la police municipale d’effectuer une surveillance régulière et préventive des installations n’ont pu avoir pour effet d’atténuer de manière suffisante la gêne sonore directe et persistante à laquelle Mme A… était exposée ; qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments, les nuisances supportées par Mme A… jusqu’en août 2014, date à laquelle les installations litigieuses ont été démontées, ont excèdé les inconvénients que doivent normalement supporter sans indemnisation, dans l’intérêt général, les personnes résidant à proximité d’un ouvrage public ; que, par suite, la commune de Saint-Michel-Chef-Chef n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes l’a condamnée à indemniser Mme A… des dommages subis du fait de l’existence du "city stade" ».
Il est tout aussi constant que les riverains d’un city stade justifient d’un préjudice anormalement grave et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de la collectivité, dès lors que la gêne subie du fait du fonctionnement d’un équipement sportif excède les inconvénients normaux liés au voisinage d’un ouvrage public, et ce, même si l’émergence sonore constatée par l’expert est légèrement inférieure au seuil prévu par les dispositions du code de la santé publique et que la gêne sonore n’est constituée que lorsque la fenêtre du toit est ouverte [7].
Comme vous l’aurez compris, le demandeur doit donc démontrer l’existence d’un préjudice anormal et spécial occasionné par le city-stade pour engager la responsabilité sans faute de la collectivité.
Or, sur ce point, les collectivités ont tendance à développer un argumentaire contre-productif en phase amiable ou lors de la procédure judiciaire.
Plus précisément, pour échapper à leur responsabilité sans faute, les collectivités sont généralement tentées d’invoquer un argument assez classique en la matière, à savoir le fait que « les requérants sont pourtant les seuls à se plaindre du city-stade et des nuisances ».
Il convient d’éviter un tel argumentaire.
En effet, en adoptant un tel axe de défense, la collectivité confirmera le caractère « spécial » du préjudice et facilitera grandement la démarche probatoire des requérants.
II. … qui peut engendrer des conséquences financières importantes pour la collectivité…
Pour appréhender les conséquences financières susceptible d’être générées par une action en responsabilité, il convient d’analyser les possibilités offertes au juge administratif pour réparer (et prévenir) les préjudices.
D’une part, dans le cadre de ses pouvoirs en plein contentieux, le juge administratif peut allouer des dommages et intérêts aux requérants en vue d’une réparation de leurs préjudices.
S’il est vrai que le juge administratif est généralement moins « généreux » que son homologue judiciaire, les montants alloués, destinés à réparer des préjudices variés, ne sont pas anodins.
En effet, le juge administratif réparera le préjudice moral et le trouble de jouissance par le biais de dommages et intérêts dont le montant sera fixé en fonction de l’intensité des nuisances, de l’ancienneté de ces dernières et des preuves produites par les requérants concernant le retentissement sur leur état de santé.
Sur ce point, une analyse de la jurisprudence permet d’identifier des fourchettes hautes d’indemnisation pouvant atteindre la somme de 20 000 euros par requérant.
De même, le juge administratif pourra allouer des dommages et intérêts au titre de la perte de la valeur vénale du bien (généralement évaluée à hauteur de 10%), et ce, quand bien même le bien ne ferait pas l’objet d’un projet de vente [8].
D’autre part, il convient de rappeler que la jurisprudence a étendu les pouvoirs du juge en matière de dommages d’ouvrages publics et que ce dernier peut désormais enjoindre à la collectivité de prendre des mesures destinées à mettre fin au trouble ou à en pallier les effets.
En effet, il est désormais acquis que lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute commise par la personne publique, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures [9].
Diverses mesures pourront donc être imposées à la collectivité par le juge administratif : travaux de remise en état de l’ouvrage, travaux d’insonorisation, déplacement de l’ouvrage etc.
Or, la mise en œuvre de ces mesures pourra générer un coût financier important pour les collectivités, notamment en cas de déplacement de l’ouvrage.
L’impact financier sera d’autant plus important que le coût de ces mesures imposées par le juge administratif s’additionnera aux sommes mises à la charge de la collectivité au titre des dommages et intérêts.
En cas de nuisances générées par un city-stade, les enjeux financiers ne doivent donc pas être minimisés par les collectivités.
III. … mais qui peuvent être anticipées par le biais de mesures préventives et adaptées.
Si ce régime juridique peut paraître rigoureux pour les collectivités, ces dernières disposent tout de même d’outils préventifs et correctifs pour endiguer les nuisances et limiter les risques juridiques.
Premièrement, afin de limiter le risque d’engagement de la responsabilité sans faute, les collectivités devront anticiper les difficultés inhérentes à l’implantation d’un city-stade à proximité des propriétés voisines.
En effet, le risque d’engagement de la responsabilité sans faute résultera de l’existence même de l’ouvrage, et plus précisément du lieu d’implantation de ce dernier.
Dit autrement, c’est à raison de la proximité immédiate de l’ouvrage que les riverains seront susceptibles de subir des nuisances et d’invoquer un préjudice anormal et spécial.
Si le bon sens commande de ne pas implanter un city-stade à une dizaine de mètres des propriétés voisines, l’on sait également que les collectivités disposent parfois d’une très faible marge de manœuvre territoriale pour implanter de tels ouvrages.
On peut donc inviter les collectivités à prendre connaissance du guide rédigé en 2011 par le Conseil National du Bruit « pour une implantation et une gestion avisées des aires de sports de plein air en milieu habité ».
Ce guide constituera une base de connaissances et de recommandations pour anticiper et prévenir les nuisances sonores et il permettra également aux collectivités de disposer de modèles d’arrêtés destinés à réglementer l’utilisation d’un city-stade.
Par ailleurs, et malgré l’absence d’obligation en ce sens, il sera vivement recommandé aux collectivités de solliciter, pour les constructions existantes et celles à venir, une étude d’impact des risques sonores afin d’anticiper les difficultés et de remédier à celles qui persistent.
Enfin, il sera rappelé que des mesures particulièrement simples pourraient également limiter le risque de nuisances. L’on citera notamment la possibilité d’installer des chicanes (pour éviter l’accès au cyclomoteur), la pose de filets pour éviter l’envoi des ballons chez les riverains, la suppression de l’éclairage en période nocturne ou encore un dispositif de gardiennage des clefs du city-stade à la Mairie etc.
Le respect de ces mesures préventives et de ces recommandations est de nature à protéger les collectivités du risque judiciaire au titre de leur responsabilité sans faute.
Deuxièmement, et afin de limiter le risque d’engagement de la responsabilité pour faute en raison d’une carence dans l’exercice des pouvoirs de police, il appartiendra aux collectivité de faire preuve de réactivité concernant la règlementation de l’utilisation de l’ouvrage.
Comme indiqué précédemment, la collectivité devra impérativement procéder à la rédaction et à l’affichage du règlement d’utilisation dans les plus brefs délais afin qu’aucun retard ne puisse lui être opposé.
Enfin, il sera rappelé l’importance de la communication de la collectivité « en amont » d’un projet d’implantation d’un city-stade. En effet, certaines nuisances, ou plutôt la peur de subir ces dernières, sont parfois « subjectives » et résultent en réalité d’une crispation de certains riverains non informés de l’implantation d’une structure multi-sports à proximité de leurs domiciles.
Afin d’éviter que ces riverains ne prennent connaissance du projet lors de la construction de l’ouvrage, et qu’une telle désinformation ne cristallise des tensions susceptibles d’évoluer vers un projet d’action judiciaire, il est donc vivement conseillé aux collectivités d’assurer une communication adaptée et une information complète de la population en amont du projet.
Discussions en cours :
Merci de tous ces éclaircissements sur le city stade, notamment sur la gêne occasionnée aux riverains, et ce qui peut être mis en place par la collectivité.
Mais que faire lorsque la collectivité ne répond pas aux réclamations et aux éléments de preuve apportés par les riverains ?
Que faire lorsque l’expertise ordonnée par le tribunal administratif traîne en longueur ?
L’expert a-t-il un délai maximum pour remettre son rapport ?
Commet débloquer une situation qui s’éternise depuis deux ans et demi ?