Le rôle du notaire en copropriété.

Par Charles Dulac, Avocat.

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Explorer : # copropriété # responsabilité civile professionnelle # notaire # médiation

Les écrits sur le rôle du notaire dans l’exercice du droit de la copropriété sont, et c’est peu de le dire, très peu prolixes. Et pourtant, cette profession a un rôle majeur dans cette matière.

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« Notaire : arrive souvent au dernier acte ». Ce trait d’esprit du dramaturge Tristan Bernard révèle la caricature communément admise du notaire testamentaire n’entrant en jeu que pour la répartition de l’héritage entre les ayants droit successoraux. De toute évidence, derrière le « codicille susmentionné » du film « Les trois frères », se cache une profession hautement plus complexe et diversifiée. Et, contrairement à l’idée reçue, en copropriété, le notaire arrive souvent au premier acte.

Pour s’en assurer, il suffit de manière tout à fait simpliste de lire une fiche d’immeuble telle qu’elle est transmise par le service de publicité foncière. Cette fiche, qui retrace la vie juridique d’un bâtiment, de la création de la copropriété et de sa division en lots, met en exergue l’intervention du notaire à chaque acte constitutif ou modificatif. Ainsi, de l’origine de la copropriété, de sa vie jusqu’à son extinction (par fusion ou dissolution), le notaire joue un rôle prégnant tant dans les rapports avec le Syndicat des copropriétaires que dans ceux avec chaque copropriétaire. Et pourtant, rares sont les textes, les proses juridiques, les doctrines en tout genre, à s’intéresser au rôle du notaire en copropriété. Essayons ainsi de rectifier le tir et d’en faire état.

Une illustration récente a permis de se remémorer l’implication du notaire et son imbrication dans le monde de la copropriété. Dans un arrêt du 3 décembre 2024, la Cour d’appel de Versailles a confirmé la condamnation d’un notaire à indemniser un copropriétaire du fait d’un défaut de conseil au moment de l’acquisition de lots. De manière succincte, les faits consistaient en la vente à une SCI, en 2014, de plusieurs, réunis par l’ancien propriétaire. En tout état de cause, l’absence de plan annexé au Règlement de copropriété ou d’autres éléments permettant d’établir la consistance des lots n’avait pas permis au notaire de connaître l’existence d’une appropriation irrégulière de parties communes par l’ancien propriétaire. Ainsi, le notaire avait authentifié l’acte de vente en l’état auprès de la SCI. Il s’avère qu’en 2018, ladite société acquéreuse avait tenté de revendre ses lots et, à cette occasion, avait été révélée l’acquisition sans autorisation d’une partie du couloir commun et des WC de la copropriété. De telle sorte que les potentiels acquéreurs s’étaient désistés, la SCI se trouvant dans l’obligation de racheter cette portion de partie commune. Lors des débats judiciaires de première instance et d’appel, l’Etude notariale se défendait en considérant avoir exposé, en 2014, l’ensemble des documents en sa possession à la SCI et ne pas avoir disposé d’indices lui permettant d’établir l’existence d’une appropriation frauduleuse par l’ancien propriétaire. Les deux instances judiciaires ont débouté ces arguments estimant qu’il existait dans le Règlement de copropriété et dans l’état descriptif de division un faisceau de contradictions qui aurait dû alerter le notaire et le pousser à des investigations supplémentaires. En négligent sa mission absolue de conseil, le notaire avait commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité (CA Versailles, Civ. 1-1, 3 décembre 2024, n°22/07345).

Il faut comprendre deux choses de cette décision judiciaire : le notaire n’est pas neutre dans la lecture d’un Règlement de copropriété ; le notaire est un acteur responsable tant vis-à-vis du Syndicat que des copropriétaires.

I. Tout d’abord, c’est quoi un notaire ?

Partons du commencement et donc d’une définition générale. Le notaire est une institution historique. Pour s’en convaincre, il suffit de rechercher une définition sommaire et de constater que le notaire est toujours ramené à son texte fondateur : la Loi du 25 ventôse an XI, de 1803. C’est donc en pleine période bonapartiste que le Conseiller Réal définissait le notaire en ces termes : « À côté des fonctionnaires qui concilient et qui jugent les différends, la tranquillité appelle d’autres fonctionnaires, qui, conseils désintéressés des parties, aussi bien que rédacteurs impartiaux de leur volonté, leur faisant connaître toute l’étendue des obligations qu’elles contractent, rédigeant ces engagements avec clarté, leur donnant le caractère d’un acte authentique et la force d’un jugement en dernier ressort, perpétuant leur souvenir et conservant leur dépôt avec fidélité, empêchent les différends de naître entre les hommes de bonne foi et enlèvent aux hommes cupides avec l’espoir du succès, l’envie d’élever une injuste contestation. Ces conseils désintéressés, ces rédacteurs impartiaux, cette espèce de juges volontaires qui obligent irrévocablement les parties contractantes, sont les notaires. Cette institution est le notariat. »

De manière plus concise : le notaire est un officier public, c’est-à-dire nommé par le Ministère de la Justice, dont la mission consiste à rédiger, authentifier et conserver des actes pour lesquels il appose son sceau et donne toute foi et force probante et exécutoire. Il s’agit d’un professionnel libéral réglementé disposant d’une formation spécifique (Master II spécialisé & formation professionnalisante) mais également d’une charge lui permettant d’ouvrir une étude notariale.

Comme toute profession libérale réglementée, le notaire dispose d’un monopole d’intervention. Ainsi, il est indispensable dans la rédaction d’un contrat de mariage ou lors de la liquidation des biens d’un divorce. Comme évoqué en introduction, le notaire est le seul à connaître du partage successoral et de l’exécution d’un testament. En outre, en matière immobilière, sa compétence est exclusive pour authentifier une vente, étant précisé que le compromis peut être rédigé sous seing privé, seule la réitération doit être effectuée par le notaire. Plus spécifique, le notaire est également compétent pour certifier d’un consentement à une procréation médicalement assistée (PMA). Enfin, le notaire fait le lien entre les actes particuliers et le Service de publicité foncière, afin de permettre leur publication et opposabilité aux tiers.

En définitive, dans ce pêle-mêle d’activités, il est possible de saisir l’utilité d’un notaire dans la vie d’une copropriété. En effet, rien que son apanage en matière vente immobilière en fait un acteur de premier rôle. Voyons cela de manière plus précise.

II. Ensuite, c’est quoi un notaire en copropriété ?

Déjà, au sens littéral du terme, un « notaire en copropriété » ça n’existe pas. Vous ne trouverez jamais un notaire exclusivement attaché à la gestion d’un immeuble, comme peut l’être un syndic. Le notaire ne dispose pas plus d’une certification qui en fait un « spécialiste » du droit de la copropriété. Toutefois, il existe, comme pour les avocats mais également les Géomètres, des Études notariales qui ont fait le choix de centrer leur activité à la vie d’une copropriété. Et pour cause, l’intervention du notaire dans ce domaine est une activité complète et diversifiée.

- En copropriété, le notaire est un rédacteur : à cet instant, il est le créateur du Syndicat des copropriétaires. Effectivement, le notaire est en charge de la rédaction du Règlement de copropriété et de l’Etat descriptif de division. Si sa mission peut être assurée par le syndic ou par un avocat, seul le notaire peut apposer le sceau final sur l’acte qui sera ensuite publié auprès du Service de publicité foncière. Idem pour les modificatifs. Cela n’est pas sans conséquence à l’aune des évolutions particulièrement abondantes du droit de la copropriété ces dernières années. Pour exemple, depuis la Loi Elan du 23 novembre 2018, bon nombre de Règlements de copropriété ont dû être modifiés pour reprendre la rédaction des parties communes à jouissance privative (Article 6-3 - Loi du 10 juillet 1965) ou spéciales (Article 6-4 - Loi du 10 juillet 1965). De même pour la rédaction des lots transitoires et la consistance du droit de construire (Loi 3DS du 21 février 2022). Assurément, le notaire a, outre son mandat de rédacteur, l’obligation d’être vigilnt quant à ses évolutions juridiques.

Dans les rapports privatifs-copropriété, le notaire a également un rôle prédominant de rédacteur. En matière de mutation, qu’elle soit onéreuse (vente) ou gracieuse (donation ou succession), il est responsable de sa notification au syndic. Tout d’abord, au travers de l’avis de mutation article 6 (Décret du 17 mars 1967), dans lequel le notaire doit informer le syndic de la cession du lot, de l’identité des nouveaux copropriétaires, de leur domicile réel et de la consistance de la vente. Il doit être précisé que le syndic n’est tenu que des informations transmises par le notaire. Par exemple, si le notaire ne précise pas la quote-part indivise entre chaque copropriétaire acquéreur, le syndic ventilera les charges par moitié. Ensuite, le notaire doit notifier l’avis article 20 (Loi du 10 juillet 1965) qui ouvre la possibilité pour le syndic, dans un délai de 15 jours et signifié par acte extrajudiciaire, de former opposition sur le prix de vente afin de récupérer une éventuelle créance du Syndicat sur le copropriétaire vendeur. Cette étape est particulièrement importante pour le notaire qui devra non seulement respecter une rédaction précise mais également arbitrer entre les sommes régulières et récupérables par la copropriété, de celles plus litigieuses. L’opposition article 20 est source d’un contentieux abondant.

- En copropriété, le notaire est un conservateur : c’est évidemment l’un de ses rôles prégnant. Le notaire a une obligation de conservation particulièrement importante car elle est de 75 ans (voir 100 ans pour les actes concernant les mineurs). Il est, par exemple, le dépositaire de la minute du Règlement de copropriété mais également de l’ensemble des modificatifs (Article 85 - Décret du 14 octobre 1955). Le notaire est également le conservateur des actes particuliers qui intéressent la copropriété. Tel est le cas des actes de vente ou de donation. Il partage souvent cette obligation de conservation avec le Service de publicité foncière, la plupart de ces actes étant publiés. D’un point de vue pratique, il n’est pas rare que le syndic communique avec un notaire pour obtenir la copie d’un de ces actes, dans la mesure où ces derniers peuvent être rendu public et ne sont pas soumis à une confidentialité propre à la profession de notaire.

- En copropriété, le notaire est un médiateur : à l’instar des avocats et de la tendance actuelle au règlement alternatif des litiges, le notaire a développé cette activité de gestion des situations conflictuelles. L’avantage du notaire réside alors dans son impartialité et dans sa possibilité de rédiger un accord final revêtu d’une force exécutoire. Ainsi, certaines Etudes notariales proposent d’agir en amont des litiges et même de participer aux assemblées générales. On peut ainsi parler de médiation notariale.

En définitive, même si elle est ponctuelle, l’intervention du notaire en copropriété est toujours affectée à des missions déterminantes. Le risque pour ce dernier d’engager sa responsabilité est dès lors important.

III. Enfin, c’est quoi la responsabilité du notaire en copropriété ?

On parle alors de responsabilité civile professionnelle. Depuis longtemps, cette responsabilité est considérée comme étant de nature délictuelle, ce qui suppose la caractérisation d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité (Articles 1240 et suivants – Code civil). La nature délictuelle de cette responsabilité permet également de faciliter son engagement par toute partie, qu’elle ait été intéressée à l’acte rédigé par le notaire ou même tiers. Ainsi, autant le copropriétaire, à titre individuel, que le Syndicat des copropriétaires, en tant que collectivité, pourront initier une action en justice à l’encontre du notaire.

S’agissant des fautes, le notaire peut être tout d’abord mis en cause dans ces deux missions principales de rédaction et de conservation. Son activité de dépositaire est évidement fautive s’il égare des documents tel qu’un règlement de copropriété, et ce dans le délai de 75 ans qui lui est circonscrit. Pour la rédaction et l’authentification d’acte, la problématique existe également en copropriété. La mauvaise transcription d’un modificatif de Géomètre peut s’avérer fautive. De même qu’un avis de mutation approximatif peut engendrer un préjudice pour la copropriété. Le notaire doit veiller à l’efficacité technique et pratique des actes qu’il instrumente. Il doit également être diligent dans l’exécution des formalités postérieures à l’acte. Ainsi, un notaire pourrait engager sa responsabilité pour défaut de publication d’un acte auprès su Service de publicité foncière, ou encore, oublie dans le paiement des divers frais de mutation.

La faute du notaire peut également être attenante à sa qualité de professionnel réglementé. Ainsi, son devoir de conseil est absolu (Cass. Civ. 1ère, 3 avril 2007, n°06-12.831). Il se doit, sur la base des éléments dont il dispose, exposer au mieux la situation aux parties et les conseiller. À noter toutefois que le notaire, notamment en cas de vente immobilière, n’a pas à porter une appréciation sur l’opportunité économique de l’opération (Cass. Civ. 3ème, 20 avril 2022, n°21-12.304). Dans le cas mentionné en introduction, le notaire n’avait pas soulevé les incohérences entre la réunion des quatre lots, leur superficie et les mentions différentes dans le Règlement de copropriété. Il avait donc engagé sa responsabilité vis-à-vis de la SCI acquéreuse.

En tout état de cause, une fois la faute du notaire établie, la partie requérante devra prouver l’existence d’un préjudice. Ce dernier est souvent celui d’une perte de chance d’une éventualité favorable, à savoir de conclure une opération immobilière ou de réaliser un acte. La jurisprudence admet toutefois une réparation intégrale dans le cas ou l’éventualité est anéantie complétement. De toutes les manières, le lésé devra démonter l’existence d’un lien direct et certain entre la faute du notaire et le préjudice indemnisable.

Il faut noter en conclusion que, contrairement à une idée reçue, les mises en cause de notaires sont assez courantes et ce dernier n’est pas « protégé » par la justice. En réalité, l’existence d’un contentieux abondant impose à ce dernier, comme pour d’autres professions libérales réglementées, à s’assurer au titre de sa responsabilité civile professionnelle (Article 13 - Décret du 20 mai 1955).

Charles Dulac
Avocat au Barreau de Paris
contact chez dulac-avocat.com

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