Brevetabilité des revendications de posologie.

Par Gaëlle Jan, Conseil en Propriété Industrielle.

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Explorer : # propriété intellectuelle # brevet # droit européen # droit français

Devant l’ampleur des investissements de l’industrie pharmaceutique et les risques financiers encourus par celle-ci, il est crucial pour les entreprises pharmaceutiques de chercher à maximiser la durée de protection de leurs médicaments princeps. Dans ce but, plusieurs stratégies sont mises en œuvre, allant de la protection du principe actif par le biais du brevet et du certificat complémentaire de protection, à la prise de brevets portant sur différents aspects liés à ce principe actif, tels que son procédé d’obtention, la formulation de ce principe actif, son « utilisation thérapeutique », son utilisation avec d’autres composés ou son utilisation dans une posologie particulière.
Dans ce cadre, les brevets de posologie ont longtemps fait l’objet d’un débat : était-il possible d’obtenir une protection pour un nouveau régime d’administration d’un principe actif déjà connu ?
Comme on le verra, l’Office européen des brevets (OEB) a depuis longtemps apporté une réponse positive à cette question. La jurisprudence française, quant à elle, après avoir longtemps estimé que les inventions de posologie étaient exclues de la brevetabilité, s’aligne maintenant sur la position de l’OEB, ce qui pourrait amener un changement de la pratique de l’INPI. Enfin, se pose la question de la future position de la Juridiction unifiée des brevets (JUB) sur ce point.

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I. Brevetabilité des revendications de posologie devant l’Office européen des brevets.

A. Fondements juridiques européens.

Devant l’OEB, la brevetabilité des 2èmes applications thérapeutiques est régie par les articles 53c) et 54(5) de la Convention pour le brevet européen (CBE).

L’article 53c) CBE indique en effet que :

« les brevets européens ne sont pas délivrés pour : (…)

c) les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal (…), cette disposition ne s’appliquant pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes. »

L’article 54(5) CBE précise pour sa part que, même dans le cas où une substance ou composition est déjà connue pour une première utilisation médicale, elle reste brevetable pour toute utilisation ultérieure dans une méthode visée à l’article 53c), si cette utilisation est nouvelle et implique une activité inventive.

Mais une méthode définissant une posologie particulière d’une substance ou composition pour le traitement d’une maladie pour laquelle l’utilisation de cette substance ou composition est déjà connue constitue-t-elle une utilisation ultérieure au sens de l’article 54(5) CBE ?

B. Une avancée majeure : la décision G2/08.

Après plusieurs décisions divergentes, la situation s’est clarifiée en 2010 grâce à la décision de la Grande Chambre de Recours G2/08. Celle-ci a statué que l’utilisation ultérieure de l’article 54(5) CBE n’est pas limitée à une nouvelle indication de la substance ou composition.

Il en découle que la délivrance d’un brevet ne doit pas être exclue « lorsque l’unique caractéristique revendiquée qui n’est pas comprise dans l’état de la technique est une posologie. »

Ainsi, selon la Grande Chambre de Recours : «  il n’y a aucune raison de traiter une caractéristique consistant en une nouvelle posologie d’un médicament connu autrement que toute autre utilisation spécifique reconnue par la jurisprudence. »

Il est toutefois indispensable que la posologie revendiquée reflète un enseignement technique différent de l’état de la technique, et soit typiquement associée à un effet technique inattendu par rapport aux méthodes de traitement déjà connues. L’existence de celui-ci fera l’objet d’une appréciation in concreto.
Ainsi, il a été considéré que : « la détermination de la dose à des fins médicales est généralement considérée comme une tâche courante pour la personne du métier » [1].
Par contraste, l’activité inventive a été reconnue dans l’affaire T 0799/16 en raison de la complexité apparente et les chances de succès des essais cliniques dans le domaine de la sclérose en plaque.

Ainsi, même si l’activité inventive de nouvelles posologies peut rester difficile à démontrer, il est clair, depuis maintenant 15 ans, que des revendications de posologie peuvent être brevetées devant l’OEB.

II. Brevetabilité des revendications de posologie en France.

A. Évolution du cadre juridique national.

En France, la situation est restée confuse plus longtemps.

La brevetabilité des deuxièmes applications thérapeutiques y est régie par les articles L611-11 et L611-16 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) dans des termes très similaires à ceux de la CBE.

Ainsi, l’article L611-16 CPI indique que :

« ne sont pas brevetables les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal (…). Cette disposition ne s’applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre d’une de ces méthodes. »

L’article L611-11 CPI précise quant à lui que, lorsqu’une substance ou composition est déjà connue pour une utilisation médicale, une revendication portant sur une utilisation différente, qui n’est pas décrite dans l’état de la technique, est brevetable.

Une jurisprudence longtemps défavorable.

Jusqu’à la fin des années 2010, la jurisprudence française considérait toutefois majoritairement que les revendications de posologie n’étaient pas brevetables.
Le TGI Paris avait ainsi estimé que :

« les juridictions nationales françaises ne sont pas tenues par l’OEB qui n’est pas une juridiction … de sorte que ces décisions même rendues par la Grande Chambre de Recours ne sont que des indications de ce que l’OEB fait comme analyse pour délivrer les brevets européens. »

Dès lors, les revendications de posologie étaient exclues de la brevetabilité car il s’agissait « d’une méthode thérapeutique exclue de la brevetabilité pour appartenir au domaine du soin et pour dépendre de la seule liberté et responsabilité concomitante de chaque médecin » [2].

B. Changement de cap : la jurisprudence française récente.

Cette jurisprudence s’est toutefois inversée à partir du début des années 2020.

En effet, la Cour de cassation a souligné l’importance d’une interprétation convergente des textes européens et nationaux dans une décision récente [3]. En conséquence, les revendications de produit limitées à un usage déterminé doivent être interprétées par l’INPI comme l’OEB, c’est-à-dire en suivant le raisonnement de la décision G2/08.

En appliquant strictement ce principe de convergence, le Tribunal judiciaire de Paris a jugé dans une première décision que les inventions relatives au dosage sont brevetables [4].
Le Tribunal a rappelé que :
«  Les inventions de posologie sont admises par la Cour de cassation et la Chambre des recours de l’OEB, y compris pour le traitement d’une même maladie  » [5].

Dans une deuxième décision, le Tribunal a suivi de près le raisonnement de la Grande Chambre de recours dans l’affaire G2/08 et a conclu que les inventions relatives à la posologie, à l’administration ou à la combinaison de traitements sont nouvelles à condition que l’usage médical du produit soit nouveau :

« s’agissant du type d’application thérapeutique susceptible d’être nouvelle, rien ne justifierait d’en figer l’analyse par une liste de catégories préétablies, et de la même manière qu’il est admis qu’une posologie ou un mode d’administration est susceptible d’être nouveau (voir à nouveau G2/08), une application en combinaison peut aussi être nouvelle » [6].

C. Des obstacles persistants malgré l’ouverture des tribunaux.

Cependant, dans chacune de ces deux décisions, le brevet a été révoqué pour insuffisance de description du fait de la non-démonstration de l’effet thérapeutique associé à la posologie revendiquée dans la première, et pour défaut d’activité inventive de la posologie revendiquée au vu de l’enseignement de l’état de la technique dans la deuxième, rappelant la difficulté de protéger de nouvelles posologies par brevet [7].

Par ailleurs, l’approche des tribunaux français ne semble pas encore suivie par l’INPI qui rejette toujours en examen les revendications de posologie comme concernant des méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal exclues de la brevetabilité au titre de l’Article L611-16 CPI. On peut néanmoins espérer que cette situation prenne bientôt fin et que l’Institut mette sa pratique en conformité avec la jurisprudence actuelle des cours françaises.

Enfin, se pose la question de l’attitude que la JUB adoptera vis-à-vis de ces revendications : suivra-t-elle la position de l’OEB, comme on peut l’espérer, ou développera-t-elle une nouvelle approche ? Seul l’avenir nous le dira.

Gaëlle Jan,
Conseil en Propriété Industrielle
Mandataire en Brevets Européens

Regimbeau
www.regimbeau.eu
jan chez regimbeau.eu

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Notes de l'article:

[1T 1791/22.

[2TGI Paris, 28 sept. 2010, 07/16296, Actavis Groupe c/ Merck Sharp Dome ; voir aussi TGI Paris, 21 sept. 2010, 09/12713, Teva Santé c/ Merck Sharp Dome ; TGI Paris, 5 décembre 2014, 2012/13507, Azko Nobel c/ Teva Santé.

[3Cass. com., 30 août 2023, n° 20-15.480.

[4TJ Paris, 28 mars 2024, RG : 22/08612.

[5Cass. Com. 6 décembre 2017 15-19.726, Ch. des recours OEB grande chambre, 19 février 2010, G2/08.

[6TJ Paris, 20 oct. 2023, 19/13662.

[7À cet égard, on pourra consulter aussi TJ Paris, 6 oct. 2022, 22/55799.

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