1. Contexte de l’affaire.
Dans un arrêt du 7 mai 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions de mise en accusation d’une personne soupçonnée de faits susceptibles de recevoir la qualification de génocide, dans une situation où les actes reprochés n’auraient concerné qu’une seule victime.
La mise en cause est poursuivie pour avoir séjourné entre 2014 et 2020 dans la zone irako-syrienne contrôlée par l’organisation « État islamique », où elle aurait, avec son époux, participé à la détention d’une femme yézidie réduite en esclavage. Le juge d’instruction avait ordonné son renvoi devant la cour d’assises spécialement composée des chefs de génocide, de crimes contre l’humanité et d’association de malfaiteurs terroriste. La chambre de l’instruction, saisie sur appel, avait écarté la qualification de génocide, estimant que les faits ne concernaient qu’une seule victime et que cette seule atteinte ne permettait pas de caractériser l’infraction au regard de l’article 211-1 du Code pénal.
C’est cette lecture restrictive que la Cour de cassation remet en cause dans sa décision.
2. L’interprétation de la qualification de génocide.
L’article 211-1 du Code pénal définit le génocide comme l’un des actes visés par ce texte (atteinte à la vie, à l’intégrité physique ou psychique, soumission à des conditions de vie destructrices, etc.) commis « en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe » protégé.
La chambre de l’instruction avait retenu une interprétation littérale du terme « membres de ce groupe » (au pluriel), concluant à l’exigence d’une pluralité d’atteintes pour que l’élément matériel du crime soit constitué. Ce raisonnement, bien que strictement appuyé sur la rédaction de l’article, a été censuré.
La Cour de cassation rappelle qu’il n’est pas requis que les actes aient visé plusieurs personnes, dès lors que l’acte reproché s’inscrit dans l’exécution d’un plan concerté de destruction. En conséquence, le fait que l’atteinte alléguée ait concerné une seule victime ne saurait, à lui seul, exclure la qualification.
La cour affirme, dans une formulation claire, que :
« L’article 211-1 du Code pénal n’exige pas, pour que le crime de génocide soit constitué, que l’auteur ait agi à l’encontre de plusieurs personnes. Il suffit que l’acte reproché ait été commis en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe ».
Par cette décision, la chambre criminelle adopte une interprétation finaliste et fonctionnelle du texte. L’élément déterminant réside dans l’insertion de l’acte dans le plan génocidaire, et non dans son ampleur. Elle confirme ainsi une orientation jurisprudentielle en cohérence avec les standards internationaux, notamment ceux dégagés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (v. TPIR, Kayishema et Ruzindana, 21 mai 1999) ou par la Cour pénale internationale, qui n’exigent pas non plus une pluralité d’actes ou de victimes pour retenir la qualification de génocide.
Cette position de la Cour de cassation invite à apprécier l’élément matériel du génocide non à partir d’un critère de masse, mais en fonction de la finalité collective de l’acte individuel reproché.
Le raisonnement adopté est comparable à celui de la scène unique de violence. Au-delà de l’ampleur ou de la multiplicité des violences commises toute participation à quelque degré que ce soit est répréhensible. Ainsi, l’entreprise collective contamine la responsabilité pénale individuelle.