Limites du smart contract. Si les smart contract peuvent prévoir une exécution automatique de certaines tâches plutôt simples, cette technologie est incapable de régler la survenance d’un conflit entre les membres d’une communauté [1]. Pire : elle peut même être à l’initiative de différends en raison d’une contestation sur la transcription des données codées par les programmeurs informatiques, vers sa traduction en langage juridique [2]. Il est nécessaire de rappeler que les programmateurs ne sont pas des professionnels en matière juridique, et que par conséquent, « une transaction peut être infalsifiable d’un point de vue informatique, tout en étant nulle d’un point de vue juridique » [3].
Combler une lacune existante. Certaines DAO ayant fait le constat d’une lacune de compétence en termes de résolution des litiges intervenant entre ses membres, ont souhaité la développer directement dans leur propre système afin d’étendre leur objectif de liberté et de décentralisation [4].
Contexte de création. L’un des objectifs de la blockchain Ethereum fut de créer un tribunal permettant de résoudre les petits litiges afin de désencombrer les juridictions traditionnelles [5]. Kleros est un tribunal totalement décentralisé et complètement autonome fonctionnant sur la blockchain Ethereum dont le nom a été choisis en référence au mécanisme d’attribution aléatoire des litiges aux jurés populaires athéniens [6].
Types de litiges. D’après ses créateurs, Kleros serait capable de résoudre toute sorte de litige survenant sur la blockchain Ethereum grâce à l’intervention des jurés [7].
Désignation des jurés. Pour devenir juré du Tribunal, les membres de ce réseau doivent obligatoirement détenir des jetons spécifiques appelés « PNK » [8]. La règle est simple : plus ils en détiennent, et plus ils obtiennent de chance d’être tiré au sort pour résoudre le différend [9]. Pour en obtenir, il leur suffit de se rendre sur leur tableau de bord personnel - accessible sur la blockchain Ethereum - et d’en acheter avec de la cryptomonaie « ETHER » [10]. Une fois que le membre a sélectionné le tribunal ou les sous-tribunaux pour lequel/ lesquels il souhaite trancher les différends - en fonction de son degré de compétence - celui-ci doit verser un minimum de jetons PNK demandé. Il est important de noter que chaque sous-tribunal a sa propre exigence de détention minimal de jetons [11].
Les sous-tribunaux. Le tribunal Kleros a la particularité d’être composé de six sous-tribunaux qui sont spécialisés en fonction de l’objet du litige [12].
- Le premier sous-tribunal. Il est appelé « Blockchain » et a pour objectif de régler les différends qui interviennent spécifiquement en rapport avec le fonctionnement même de la blockchain, subdivisé en deux sous-tribunaux dont l’un sera chargé d’examiner les problèmes techniques et l’autre les problèmes non techniques [13].
- Le deuxième. Appelé « Services de marketing règle les litiges concernant la qualité des services de marketing payants, les articles sponsorisés, la promotion des médias sociaux et la rédaction de relations publiques [14].
- Le troisième. Appelé « langue anglaise » a pour mission de régler les problèmes de traduction du code informatique à une langue vivante [15].
- Le quatrième. Appelé « Production vidéo » traite des désaccords qui surviennent entre les parties concernant les vidéos contractées par Kleros Escrow [16].
- Le cinquième. Appelé « Intégration » a la particularité d’être envisagé comme un entraînement pour les nouveaux jurés à divers types de litiges [17].
- Le sixième. Appelé « Curation » a pour mission de vérifier le contenu des listes et des registres de toutes sortes, en fonction des critères d’acceptation des listes [18].
Procédure initiale. Les jurés doivent recueillir le témoignage des deux parties qui ont soulevés le litige et examiner les preuves qu’elles leur soumettent. Ce n’est qu’une fois cette période achevée que les jurés pourront procéder au vote binaire « oui » ou « non » à la requête déposée par le membre contre un autre membre [19].
Rémunération des jurés. Chaque sous-tribunal fait apparaître la rémunération maximale que le juré inscrit et désigné pourra obtenir, ainsi que la somme totale des votes des jurés pénalisés qui sera proportionnellement répartie entre les jurés récompensés qui ont votés comme la majorité [20]. Il s’agit du procédé du « Schelling point » T [21] selon lequel les jurés ayant votés comme la majorité seront récompensés à la fois en cryptomonnaie ETHER et en jeton PNK ; tandis que les jurés qui auront votés comme la minorité seront pénalisés en perdant des jetons PNK [22]. Il s’agira pour les jurés de prédire le résultat qui sera décidé par la majorité, et non de se trancher selon leurs propres convictions [23]. Le tribunal a notamment prévu l’option de « refus d’arbitrer » en cas de soumissions invalides, de contenu ou de preuve illégal ou moralement inacceptables [24].
Procédures d’appels. Le tribunal Kleros permet à la partie perdante au litige de pouvoir interjeter appel de la solution initialement retenue. Pour ce faire, elle doit obligatoirement verser des frais d’appel, qui serviront à indemniser les nouveaux jurés . Tant que l’une des parties disposera de fonds suffisants pour interjeter appel et décidera de le faire, le litige ne sera pas terminé, rendant indirectement ainsi le nombre d’appel à un nombre illimité [25]. Les frais d’appel doivent être non seulement versés par l’appelant, mais aussi par l’intimé, bien que la solution lui ait été favorable [26]. Cette règle pose donc un réel problème d’égalité entre les membres, puisque celui qui possédera une capacité financière certaine, pourra relancer autant de tour qu’il le souhaite . Afin de contrer ce type de procédures, le tribunal Kleros a mis en place le « crowdfunding » [27] permettant à des membres de soutenir financièrement la partie qui ne pourrait pas honorer les frais de procédure, moyennant récompense [28]. Le tribunal a considéré que la partie gagnante verserai deux fois le montant de ce qu’elle avait versé au tour précédent, contre trois fois pour la parte perdante qui interjetterai appel [29].
Achèvement du contentieux. Le processus litigieux s’arrête dans deux hypothèses : soit lorsqu’aucune autre procédure d’appel de la décision n’est interjetée ; soit lorsqu’une des parties n’a pas les moyens de verser des frais de procédure, faisant remporter la victoire à l’autre.
Issue du litige. Lorsque le litige est terminé : la partie gagnante obtient satisfaction et se fait automatiquement rembourser les frais de procédure engagés ; les jurés se font rémunérés s’ils ont voté comme la majorités ou perdent des jetons dans le cas contraire [30] ; les « crowdfunders » qui ont financé la partie gagnante sont récompensés en fonction du pourcentage de leur investissement [31].
Avantages. Premièrement, le tribunal Kleros se vante d’être fiable, rapide et abordable pour tous ses membres [32]. Deuxièmement, il a mis en place des plateformes de discussion tels que l’application Telegram en ligne pour que les jurés puissent se soutenir dans les difficultés qu’ils peuvent rencontrer [33]. Troisièmement, le système est transparent puisqu’il est possible de consulter l’ensemble des litiges ouverts par le tribunal Kleros sur le tableau de bord appelé « Klerosboard » [34].
Inconvénients. Les prix du « gas » [35] de la blockchain Ethereum sont directement liés à ceux du PNK puisque plus le prix augmente, et moins les membres ont la capacité financière d’acquérir des jeton PNK, ce qui a pour conséquence directe d’accroître les inégalités entre les membres [36].
Autres exemples. D’autres DAO ont mis en place leur propre système autonome et décentralisé de résolution des conflits, comme la Cour Aragon [37], le Protocole Oath [38], ou encore Open Court [39].