Comme l’a écrit le quotidien Le Monde : « le concept est récent, encore un peu flou » [1]. Le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes intitulé « Diplomatie féministe : passer aux actes. Rapport final d’évaluation de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2023) » le dit expressément : « la diplomatie féministe française ne dispose pas d’une définition précise et d’une doctrine ». Quid, alors, de ce que recouvre la diplomatie féministe ? En France, l’ancienne ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna en a fourni la définition suivante dans une interview du 8 mars 2023 : « c’est un concept essentiel qui signifie que nous élevons la promotion des droits des femmes au rang de priorité, que nous l’intégrons dans toutes les actions de politique étrangère de la France et que notre pays s’engage à agir pour défendre les droits des femmes partout dans le monde » [2]. Le propos est clair : il s’agit de promouvoir, défendre et concrétiser les droits des femmes aussi bien en France qu’à l’étranger. Il y a donc ici une acception que l’on pourrait qualifier de littérale de la diplomatie féministe : dans le cadre des relations internationales, l’enjeu est la réalisation des droits des femmes.
En réalité, ce point de vue n’est pas partagé par tous. À l’échelle européenne, le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères, dans un rapport Façonner une diplomatie féministe, Lignes directrices du ministère fédéral des Affaires étrangères précise que la diplomatie féministe ne concerne pas seulement les femmes : « elle se saisit des besoins spécifiques des groupes marginalisés », « la diplomatie féministe n’est pas une politique étrangère pour les femmes, mais pour tous les membres d’une société ».
L’on constatera donc une différence dans la finalité selon que l’on se place dans la perspective de la ministre française ou du ministère allemand : l’un traite des femmes ; l’autre traite de l’ensemble des membres de la société, faisant alors du « féminisme » un point d’entrée pour une multitude d’individus qui ne rentreraient pas, spécifiquement, dans le champ du « féminisme » [3].
À ce sujet, la doctrine a pu, elle aussi, s’exprimer. Ainsi, Pallavi Mahajan, dans son écrit Pathway for Adopting a Feminist Foreing Policy précise que c’est après avoir constaté que les femmes sont laissées de côté dans le cadre des études à propos des relations internationales qu’a émargée la diplomatie féministe : « in this parlance, Feminist Foreign Policy has emerged as a potential tool to accelerate an intersectional, multilateral and collaborative approchant to gender equality objective » [4].
De par, le lien naturel entre la politique étrangère d’un État et le droit international, l’auteur ajoute que la diplomatie féministe « places gender equality as the frontline commitment of international treaties, policies and agreements » [5]. Une question se pose alors : au-delà de la présentation fournie par l’auteur de la diplomatie féministe, quelle est la finalité d’une telle manœuvre ? La réponse est fournie par ce même document, infra : « (…) to transform not only gender-power relations but also inspire societal inclusiveness, leverage world economics, and promote principles of sovereignty and democracy that will impact the entire humankind » [6].
La formulation n’a pas pour autant le mérite de la clarté : que viendraient donc faire ici les questions de Souveraineté et de Démocratie ? Pour cette dernière, l’on comprendra que l’exercice du pouvoir par le peuple induise la participation des femmes à la prise de décision, d’où il en découle la promotion et le respect de leurs droits ; mais en ce qui concerne la Souveraineté ?
Il s’agit manifestement d’un concept inhérent au droit public. Arrêtons-nous quelques instants sur ce point : le Vocabulaire juridique [7] fournit quatre acceptions : « Caractère suprême d’une puissance qui n’est soumise à aucune autre. Puissance suprême et inconditionnée dans laquelle l’ordre international reconnaît un attribut essentiel de l’État mais qui est aussi reconnue, par exception, à certaines entités. / Caractère d’un organes qui n’est soumis au contrôle d’aucun autre et se trouve investi des compétences les plus élevées. / Plus spécifiquement, dans la théorie du régime représentatif, attribut d’un être, nation ou peuple, qui fonde l’autorité des organes suprêmes de l’État parce que c’est en son nom qu’est exercée par eux en dernière instance la puissance publique. / Ensemble des compétences et privilèges susceptibles d’être exercées par un être souverain ».
De son côté, le Dictionnaire de la culture juridique [8] définit la souveraineté comme : « une notion complexe et polysémique qui désigne de nombreuses situations politiques ou juridiques relatives à la légitimité du pouvoir, soit à l’exercice de prérogatives, soit à la définition de l’État ».
Manifestement, la Souveraineté, telle qu’employée par l’auteur, semble faire l’objet d’une acception hautement particulière. Cependant, et c’est un point plus pertinent pour cette analyse, la diplomatie féministe est donc à envisager non pas seulement comme un outil de promotion et de réalisation des droits des femmes et de lutte contre les violences faites à leur égard, mais comme une récupération des concepts juridiques en vue de la transformation de la structuration politique et juridique des structures étatiques et internationales que nous connaissons.
En parallèle de la diplomatie telle qu’elle est traditionnellement envisagée, est née ce qu’il y a eu lieu d’appeler la « diplomatie digitale ». Sans qu’elle ne fut, à ses débuts, nécessairement féministe, elle s’est inscrite dans la lignée de la mondialisation des échanges grâce, notamment, à l’Internet. Historiquement, c’est la Suède qui, à nouveau, y eut recours. Comme le soulignent des auteurs, l’ancien Premier Ministre suédois, Carl Bildt, a saisi l’opportunité de la digitalisation dans ce domaine : « in addition to providing new opportunities to promote the state image of Sweden as a technologically friendly nation, digital tools and strategies were widely embraced to improve the government’s global outreach » [9] [10] Ce faisant, la promotion des enjeux féministes n’est plus cantonnée aux vecteurs diplomatiques traditionnels, tributaires d’un temps nécessairement plus long que ne le permet le digital : l’inscription du féminisme dans la politique étrangère de la Suède en gagna donc un plus grand retentissement, participant d’une propagation plus rapide des mesures alors mises en place et d’une valorisation du pays en termes de respect des droits de l’Homme [11].
Ainsi, le Droit, pris en tant qu’ensemble de règles fondées sur des valeurs, participe d’une certaine façon à la promotion d’enjeux politiques, ici le féminisme : c’est –notamment- par son inscription dans le giron du respect des droits de l’Homme que la Suède se positionna comme précurseur en matière d’alliance de la diplomatie et du féminisme. La mise en œuvre de mesures n’a manifestement pas seulement pour objet d’organiser les rapports sociaux -comme la condamnation de la violence, a fortiori faite aux femmes– mais vise aussi à fournir une image attirante du pays en question, ici la Suède.
L’on peut donc compléter quelque peu le propos : le droit sert effectivement à la mise en place concrète d’œuvres diplomatiques en matière de protection des droits des femmes dans le cadre du respect dû aux droits de l’Homme mais – et la nuance est importante, car elle souligne que la démarche n’est pas entièrement gratuite – elle permet, politiquement, de placer un pays parmi les plus hauts dans un classement, ici le respect des droits des femmes.
Une synthèse s’impose. La diplomatie féministe est une branche de la diplomatie traditionnelle qui vise à promouvoir, dans le cadre des relations internationales et des politiques étrangères de différents pays du globe, différentes libertés – tant négatives que positives pour reprendre la terminologie d’Isaiah Berlin, en ce qu’il est question de lutte contre les discriminations par exemple ou la possibilité, pour les femmes, de prendre part aux décisions publiques notamment – au profit des femmes. Cette diplomatie va de paire avec la digitalisation des échanges, il s’agit donc d’une diplomatie féministe digitale. Cette diplomatie digitale permet de faire circuler des informations non plus seulement à destination d’homologues étatiques, mais à un ensemble bien plus varié d’acteurs – économiques notamment : les investisseurs. Le droit occupe alors une place particulière : par la mise en œuvre de règles, de procédures, de droits, il participe de la circulation et de la réalisation d’un idéal : celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. En ce sens, l’enjeu de cet article sera le suivant : dans quelle mesure le droit –indépendamment d’un système juridique particulier, pris en sa forme la plus abstraite- participe-t-il de la réalisation, dans le cadre de la politique étrangère des États, à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes ?
I- Le droit international comme vecteur de la diplomatie féministe.
A) L’inscription de considérations féministes dans les textes internationaux.
Avant qu’il n’ait été formellement question de diplomatie féministe, certains textes internationaux envisageaient déjà de telles questions. Texte fondamental, la Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre de la même année [12], a posé les jalons de la quête de l’égalité entre les femmes et les hommes au début de son préambule [13]. Elle fut suivie de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies qui réitéra « l’égalité des droits des hommes et des femmes » [14].
Advint ensuite le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après « le Pacte ») adopté le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976 [15]. En vertu de son troisième article, « les États parties au présent Pacte s’engagent à assurer le droit égal des hommes et des femmes de jouir de tous les droits civils et politiques énoncés dans le présent Pacte ».
De ce Pacte émergeait déjà une première condamnation des violences faites aux femmes, bien qu’il fût question d’un contexte précis : « une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes » [16].
Faisant suite à ces textes, fut ensuite adoptée, par la résolution 34/180 de l’Assemblée générale des Nations Unies [17], le 18 décembre 1979, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ci-après « la Convention »). S’inscrivant expressément dans la continuité du Pacte [18], l’objet de la Convention est donc de lutter contre les discriminations. Naturellement, « discriminations » étant un terme renvoyant à une multitude de situations, le premier article de la Convention prend soin d’en fournir une définition en précisant qu’il s’agit de discriminations « à l’égard des femmes » : « (…) toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine ».
La Convention porte donc un ensemble d’obligations à l’égard des États signataires et instaure la création d’un « Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes » [19] chargé « (…) d’examiner les progrès réalisés dans l’application de la présente Convention (…) ».
En somme, quand bien même divers textes juridiquement contraignants existent à l’échelle mondiale ; la juridicisation de la promotion des droits des femmes se réalise aussi à l’échelle régionale. En témoigne la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ci-après « la Convention d’Istanbul » [20]). Ouverte à la signature le 11 mai 2011 et entrée en vigueur le 1er août 2014, elle « ouvre la voie pour la création d’un cadre juridique au niveau pan-européen pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et prévenir, réprimer et éliminer la violence contre les femmes et la violence domestique » [21].
Les différents objectifs de la Convention d’Istanbul sont envisagés en son premier article, premier point. Par exemple, il s’agit « de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ; de contribuer à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, y compris par l’autonomisation des femmes de concevoir un cadre global, des politiques et des mesures de protection d’assistance pour toutes les victimes de violence à l’égard des femmes et de violence domestique (…) ». Sans rentrer dans un examen exhaustif de la Convention d’Istanbul, une attention doit être portée à son application : « la présente Convention s’applique en temps de paix et en situation de conflit armé », conformément à son article 2,3.
Ainsi, par rapport à la question du droit en tant qu’outil de la diplomatie féministe, l’appropriation de la situation des femmes dans le monde par le droit international –tant dans ses aspects mondiaux ou régionaux [22]– participe effectivement de la mise en place d’une diplomatie féministe : les États parties, dans le cadre de leurs politiques étrangères, auront à charge de considérer l’état actuel du droit de leur interlocuteur en matière de droits des femmes. Ce faisant, le droit n’apparaît pas comme un simple outil de la diplomatie féministe, il devient une arme au service de ce qu’il y a lieu d’appeler le lawfare [23].
B) Les traités bilatéraux d’investissement comme outil complémentaire.
Dans un contexte de mondialisation des échanges économiques, la question de l’investissement étranger –et de sa protection– n’est pas dénuée d’intérêt : la politique étrangère d’un pays est directement liée à la façon dont celui-ci accueillera et protègera un investissement étranger. Il s’agit donc de considérations proprement diplomatiques. En découle donc un enjeu propre à la diplomatie féministe susceptible d’être appréhendé par le droit, à travers les traités bilatéraux ou multilatéraux de protection et de promotion des investissements étrangers.
Ces traités visent à organiser les relations entre les ressortissants de chacun de ces pays à l’occasion d’investissements dans l’un ou l’autre État [24].
Par définition, le traité –ici bilatéral- est un accord passé entre deux États, soit deux acteurs traditionnels du droit international public. Dans la mesure où il s’agit d’un accord, cela suppose la possibilité, pour chacun des signataires, de négocier le contenu dudit accord. En ce sens, un État désireux de mettre en pratique une diplomatie féministe aura à cœur de stipuler une obligation – logiquement réciproque – de respect des droits des femmes. Naturellement, le contenu et la formulation de telles obligations seront fonction des enjeux du traité et du bon vouloir des parties aux négociations.
Toujours est-il qu’il est possible, dans ce cadre, de rattacher –et éventuellement justifier– le respect d’une telle obligation à l’aune de textes internationaux.
Par exemple, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 dispose, en son seizième article que :
« 1. A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.
3. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ».
Dans une perspective de diplomatie féministe, si un État négocie un traité bilatéral d’investissement avec un État admettant, dans son système juridique le mariage forcé, le premier pourrait arguer d’une obligation de modifier le droit de l’autre État sous peine de ne pouvoir devenir partie à un traité bilatéral d’investissement.
Plus précisément, le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme définit le mariage forcé de la sorte :
« On entend par mariage forcé tout mariage dans lequel l’un des conjoints au moins n’a pas personnellement donné son consentement plein, libre et éclairé à l’union. Un mariage d’enfants est considéré comme une forme de mariage forcé car au moins l’un des conjoints n’a pas librement exprimé son consentement plein, libre et éclairé » [25].
En ce sens, le droit international est bien un outil en vue de la réalisation d’actions diplomatiques à visée féministe. Or, comme il a été soulevé en introduction, le droit seul ne peut parvenir à de telles évolutions : bien souvent, il est tributaire d’enjeux économiques, d’autant plus dans un contexte de mondialisation des échanges de ressources et des personnes.
II- La diplomatie féministe comme reflet des évolutions attendues du Droit.
A) L’asile diplomatique : l’insuffisante consécration d’un principe.
L’asile diplomatique est une notion bien connue du droit des étrangers en France bien qu’elle se soit « longtemps limitée à des cas isolés avant de prendre une dimension collective » [26]. Comme le précise Vincent Tchen, « la convention de Genève du 28 juillet 1951 étant réservée aux personnes déjà présentes sur le territoire du pays appelé à examiner la demander d’asile (…), la protection diplomatique se résume à un asile territorial qui ne fait naître aucune garantie de procédure et aucun droit statutaire pour les personnes concernées » [27].
Il suit, à ce sujet, d’une circulaire du 28 février 1970 que : « ne reposant sur aucune base juridique, il ne peut constituer qu’en tolérance rendue possible par la courtoisie internationale » [28]. Cette position est quelque peu difficile à tenir : comment postuler l’existence de l’asile diplomatique s’il est tributaire d’une courtoise faite par un État adoptant une posture à même d’accorder l’asile aux yeux du droit français ? Autrement dit, existe-t-il un texte ou une coutume de droit international public susceptible de fonder l’octroi de l’asile diplomatique nonobstant la courtoisie internationale ? Vincent Tchen évoque dans son ouvrage la seule véritable balise » existante, à savoir « le principe d’inviolabilité des locaux diplomatiques » [29].
Plus précisément, l’inviolabilité des locaux diplomatiques est fondée sur l’article 22, 1 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, en vertu duquel « les locaux de la mission sont inviolables. Il n’est pas permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer, sauf avec le consentement du chef de la mission ». L’enjeu est donc de permettre aux personnes persécutées, à savoir dans une perspective féministe, les femmes, de pouvoir accéder aux locaux de la mission diplomatique.
Dans une logique de protection des femmes victimes de violence, certains pays ont procédé à une modification du corpus juridique applicable.
Tel est le cas de l’Allemagne dont la prise de position apparaît nettement dans ses Lignes directrices : « Les femmes et les personnes en situation de péril particulier seront spécifiquement prises en compte dans le cadre des programmes d’accueil humanitaire, lors de réinstallations et dans les propositions du ministère fédéral des Affaires étrangères sur des accueils individuels au sens de la deuxième phrase de l’article 22 de la Loi relative au séjour des étrangers en Allemagne » [30]. Cette deuxième phrase dispose que : « un permis de séjour doit être délivré lorsque le ministère fédéral de l’Intérieur, de la Construction et de la Patrie ou l’organisme désigné par celui-ci a déclaré l’accueil dans le but de préserver les intérêts politiques de la République fédérale d’Allemagne ». [31]
L’exemple allemand est d’un intérêt particulier : s’inscrivant une perspective diplomatique féministe, le ministre des Affaires étrangères donne le droit au permis de séjour afin de « préserver les intérêts politiques de la République fédérale d’Allemagne » : il s’agit donc, pour l’Allemagne, de mettre en pratique une politique étrangère servant d’abord ses intérêts propres.
Il n’en demeure pas moins que le droit reste un outil au service d’une diplomatie féministe : la loi relative au séjour des étrangers en Allemagne est bien une mesure juridique et son contenu aborde des questions de politique étrangère. Naturellement, cette loi ne précise pas quelles sont les mesures, ou leurs modalités, à mettre en place – c’est là le pouvoir de décision du Ministre – mais, en consacrant une obligation (le texte allemand dit bien « ist zu erteilen » [32]) – d’autant plus au rang de loi fédérale -, le droit amène à ce que les autorités administratives nationales s’inscrivant dans une démarche diplomatique féministe.
B) L’intérêt de la mise en place d’une question préjudicielle internationale.
L’une des principales entraves au respect, de la part des États, de ces textes est bien souvent l’impossibilité de prononcer une sanction à leur encontre [33]. À l’instar du juge national dans le système juridique de l’Union européenne, il s’agirait alors, pour renforcer l’appui du droit dans la mise en œuvre d’une diplomatie féministe, de conférer, au niveau du droit international public, un mandat de la part de l’Organisation des Nations-Unies [34] aux juges nationaux : charge à ces derniers de vérifier la compatibilité de dispositions de leurs droits internes lors d’un litige porté à leur connaissance. Toujours en s’inspirant du mécanisme de la question préjudicielle telle qu’appliquée dans le cadre du droit de l’Union européenne [35] ou du droit de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales. Concernant cette dernière, le mécanisme de la question préjudicielle né du Protocole n° 16 entré en vigueur le 1er août 2018. La mise en place d’une telle mesure n’est pas gratuite comme le montre le troisième paragraphe du Préambule qui précise que : « l’extension de la compétence de la Cour pour donner des avis consultatifs renforcera l’interaction entre la Cour et les autorités nationales, et consolidera ainsi la mise en œuvre de la Convention, conformément au principe de subsidiarité ».
D’où il suit, en vertu du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole que : « les plus hautes juridictions d’une Haute Partie contractante, telles que désignées conformément à l’article 10, peuvent adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ».
À ce sujet : en ce qui concerne l’Organisation des Nations Unies, le Secrétaire général a remis un rapport le 4 août 2023 à propos de l’« Examen des questions de compétence au regard du régime commun des Nations Unies ». Dans ce rapport, le Secrétaire général a cherché à harmoniser les jurisprudences internationales entre deux juridictions données [36]. L’ensemble du rapport porte sur la fonction publique internationale, il n’est donc pas utile de s’étendre à l’envi dessus. Pour autant, la rédaction et la remise d’un tel rapport montre la volonté et, surtout, la possibilité de mettre en place un mécanisme de question préjudicielle entre le droit international et les différents droits nationaux.
Quel intérêt, alors, pour la diplomatie féministe ? Dans la mesure où serait prévu un mécanisme de question préjudicielle, les valeurs et évolutions portées par le mouvement féministe – lesquelles trouvent des ramifications dans le droit international public, cf. supra – pourraient alors s’acter plus efficacement que ce ne pourrait être le cas via le truchement de textes et d’accords internationaux, dont le respect est conditionné au bon-vouloir des États en question.
L’exemple de l’Ouganda est, à ce sujet, parlant :
« le président ougandais a promulgué, lundi 29 mai, une loi « anti-homosexualité » suscitant de vives réactions au sein de la communauté internationale. Pour Benjamin Moron-Puech, ce texte est « à notre connaissance, le texte de droit positif le plus perfectionné dans le projet d’éradication de l’homosexualité ». » [37].
Les enjeux diplomatiques apparaissent nettement comme le rapporte Le Monde dans un article du 4 avril 2024 « Ouganda : inquiétude internationale à la suite d’une décision confirmant une loi anti-LGBT+ » [38] : Washington, par la voix du porte-parole du département d’État Matthew Miller, a estimé que cette décision faisait « partie d’une dégradation plus large de la protection des droits humains qui met en danger tout le monde en Ouganda et porte atteinte à la réputation du pays ». « Nous continuerons à prendre toutes les mesures appropriées », a-t-il ajouté, en référence aux sanctions déjà prononcées par l’administration américaine restreignant l’attribution de visas pour certains officiels ougandais et retirant l’Ouganda de l’accord commercial de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). Le chef de la diplomatie britannique, David Cameron, s’est également dit « profondément préoccupé par le fait que l’Ouganda continue de faire reculer les droits humains », dans un message sur X.
Le droit est-il, alors, un outil pour la diplomatie féministe ? Manifestement, oui, il l’est : à l’heure actuelle, d’aucuns pourraient arguer qu’il ne connaît pas de mécanismes à même d’assurer une réelle effectivité des droits des femmes, mais cela reviendrait à une pétition de principe niant son caractère nécessairement évolutif. Le droit est un outil par définition : c’est à la lumière des fins pour la réalisation desquelles il est utilisé qu’il connaîtra ou méconnaîtra certains mécanismes.