Il est ainsi jugé que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ses conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle [1].
La jurisprudence offre ainsi à la victime la possibilité d’augmenter ses prétentions indemnitaires en appel, de diverses manières et sous réserve de certaines conditions.
Si le régime de cette faculté offerte par le juge apparait clairement établi (1), il n’est pas sans soulever de difficultés (2).
1- Sur le régime d’une faculté offerte par le juge.
Il est jugé que la victime peut, sous conditions, non seulement majorer ses prétentions indemnitaires au titre de chaque préjudice, et demander réparation de nouveaux chefs de préjudices devant le juge d’appel (a) mais également augmenter le montant total des prétentions indemnitaires par rapport à l’enveloppe globale sollicitée en première instance (b).
a) Sur la possibilité de majorer les demandes indemnitaires des préjudices et d’invoquer de nouveaux préjudices.
La jurisprudence permet à la victime, sous condition, d’invoquer devant le juge d’appel de nouveaux chefs de préjudices, ou de modifier les montants sollicités pour certains, voire tous les préjudices (à la hausse comme à la baisse).
Il ressort de l’arrêt du Conseil d’Etat précité que la victime peut en effet détailler les préjudices devant le juge d’appel et solliciter, le cas échéant, la réparation de nouveaux chefs de préjudices si les trois conditions suivantes sont remplies :
Les préjudices doivent se rattacher au même fait générateur que celui invoqué en première instance,
Les prétentions indemnitaires ne doivent pas excéder la limite du montant total de l’enveloppe sollicitée en première instance,
Les demandes doivent reposer sur la même cause juridique que celle de première instance (responsabilité pour faute ou sans faute)
Il s’agit alors pour la victime d’abandonner des postes de préjudice ou d’en diminuer le montant pour invoquer de nouveaux postes de préjudices ou réévaluer à la hausse le montant de certains préjudices.
Le raisonnement du juge d’appel, également précisé par la jurisprudence, doit être le suivant : Le juge d’appel doit dans un premier temps évaluer l’ensemble des préjudices (sans limite), nonobstant le fait que certains préjudices soient nouveaux, ou modifiés dans leur montant, alors même qu’aucun élément nouveau ne serait apparu postérieurement au jugement.
Pour un exemple, voir : « Il suit de là qu’il appartient au juge d’appel d’évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu’ils l’aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s’est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué » [2].
Si le montant total n’excède pas celui de l’enveloppe globale de première instance, il n’y a pas de difficulté.
Le juge d’appel ne doit alors surtout pas se prononcer sur la recevabilité de la demande indemnitaire correspondant à chaque préjudice. Il s’agit en effet d’apprécier la recevabilité des demandes dans un premier temps au regard de l’ensemble de préjudices.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat sanctionne le juge d’appel dans l’affaire du 31 mai 2007 pour avoir rejeté comme irrecevable la demande de réparation d’un préjudice de perte de salaire pour cessation d’activité, invoqué pour la première fois en appel, alors que l’enveloppe globale de première instance était respectée, et que le préjudice se rattachait au même fait générateur que celui invoqué dans la demande de première instance.
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a saisi le Tribunal administratif de Nancy d’une demande tendant au versement d’une indemnité globale de 152.449 euros (1.000.000F) en réparation de l’ensemble des conséquences dommageables qu’il imputait à sa contamination par le virus de l’hépatite C provenant de produits sanguins fournis par le centre hospitalier universitaire de Nancy, aux droits duquel vient l’Etablissement français du sang ; que, par jugement en date du 28 mars 2000, le Tribunal administratif lui a alloué, au titre des troubles qu’il avait subis dans ses conditions d’existence, une indemnité de 30.489,80 euros (200.000F) ; qu’à la suite de l’appel de ce jugement interjeté par l’Etablissement français du sang, M. A a demandé, par la voie du recours incident, l’indemnisation des pertes de salaires provoquées par la cessation de son activité professionnelle, qu’il évaluait à la somme de 66.152,51 euros (433.932F) ; qu’en rejetant cette demande comme irrecevable au motif qu’elle était présentée pour la première fois en appel, alors qu’elle se rattachait aux conséquences dommageables du fait générateur invoqué dans la demande de première instance et demeurait dans la limite de l’indemnité globale chiffrée devant les premiers juges, la Cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit » [3].
C’est ainsi par exemple que la victime peut demander pour la première fois en appel une indemnisation au titre des frais de renouvellement d’un fauteuil roulant électrique et de renouvellement de l’aménagement du véhicule, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que le chiffrage total énoncé en première instance n’est pas outrepassé [4].
Il en résulte que le juge d’appel peut être amené à accorder une réparation plus élevée que celle demandée en première instance pour certains préjudices alors même qu’aucun élément nouveau apparu postérieurement au jugement ne viendrait justifier cette nouvelle demande, et donc alors même notamment que les préjudices ne se seraient pas aggravés depuis le jugement de première instance.
L’enveloppe globale identifiée dans un premier temps par le juge peut en effet parfaitement comprendre ces préjudices, un complément d’indemnité pouvant être éventuellement accordé dans un second temps au titre de l’enveloppe globale, si et seulement si certaines conditions sont remplies.
b) Sur la possibilité de majorer le montant total des prétentions indemnitaires en appel.
La jurisprudence admet par ailleurs en cause d’appel, une extension de l’enveloppe chiffrée initialement devant les juges de première instance, sous conditions.
Tel est ce qui ressort également de l’arrêt précité du Conseil d’Etat du 31 mai 2007.
La victime peut en effet augmenter le quantum de ses prétentions indemnitaires en appel si des éléments nouveaux sont apparus après le jugement, et sous réserve toujours du respect des règles de recevabilité des demandes nouvelles (la demande doit reposer sur la même cause juridique et se rattacher au même fait générateur soulevé en première instance).
La jurisprudence a précisé ce qu’il fallait entendre par éléments nouveaux.
Il a ainsi été jugé par le Conseil d’Etat dans la décision Grau du 18 décembre 2017 (n°401314, mentionné aux Tables) que la victime était recevable à majorer ses prétentions en appel si le dommage s’est aggravé ou s’est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement contesté.
« 4. Considérant que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur ; que cette personne n’est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s’est aggravé ou s’est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu’elle attaque ; qu’il suit de là qu’il appartient au juge d’appel d’évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu’ils l’aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges ; qu’il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s’est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué ;
5. Considérant qu’après avoir relevé que M. A… était dans l’incapacité d’exercer une activité professionnelle, du fait des graves complications en lien avec les vaccinations pratiquées en 1992 et 1993, et que le capital représentatif de ses pertes de gains professionnels futurs pouvait être évalué à la somme de 1 610 494,27 euros, la cour a limité l’indemnisation due par l’Etat en réparation de ces pertes à la somme de 261 105,46 euros, réclamée à ce titre en première instance, au motif que ce chef de préjudice était connu dans toute son ampleur à la date du jugement ;
6. Considérant qu’à supposer que l’incapacité professionnelle totale et les pertes de revenus qu’elle entraînerait à l’avenir aient été connues dans toute leur ampleur à la date du jugement du tribunal administratif, une telle circonstance ne justifiait pas de limiter l’indemnisation de ces pertes de revenus au montant que l’intéressé avait demandé en première instance au titre de ce chef de préjudice ; qu’il appartenait en effet aux juges d’appel, conformément à ce qui a été dit au point 4, de limiter le montant mis à la charge de l’Etat au titre de l’ensemble des préjudices au montant total demandé en première instance, sous réserve de l’octroi éventuel d’un complément d’indemnité si d’autres chefs de préjudice s’étaient aggravés ou révélés postérieurement au jugement attaqué ; que, par suite, l’arrêt est entaché sur ce point d’une erreur de droit ».
Autrement dit, un complément d’indemnité pourra être accordé à la victime par le juge d’appel en cas d’aggravation ou de révélation dans toute son ampleur, du dommage à proprement parler (la lésion subie), ou de ses conséquences dommageables, et donc des préjudices.
C’est ainsi que dans le cas où le montant total sollicité par la victime excède celui demandé en première instance, le juge d’appel identifie dans un second temps, le ou les préjudices qui se sont aggravés ou révélés dans toute leur ampleur après le jugement, pour accorder le complément. Le complément d’indemnité correspondra alors nécessairement à la prise en compte de ces préjudices dans leur intégralité.
Voir pour le second temps du raisonnement [5] : « Il suit de là qu’il appartient au juge d’appel d’évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu’ils l’aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges. Il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s’est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué ».
Concrètement, et à titre d’exemple, si le montant total de l’indemnité sollicité en appel excède celui demandé en première instance du fait de la majoration du poste de préjudice du besoin permanent de l’assistance d’une tierce personne, le complément d’indemnité par rapport à l’enveloppe globale chiffrée en première instance sera accordé si et seulement si ce préjudice s’est aggravé ou révélé dans toute son ampleur depuis le jugement de première instance.
L’on comprend bien que cette faculté offerte par le juge à la victime a pour but de tenir compte des capacités de la victime à faire état de son préjudice. La victime n’a en effet pas toujours la possibilité de connaitre les contours et l’existence de tous les préjudices causés par le fait générateur du dommage, au stade du recours porté devant le juge de première instance (et même au stade de la réclamation préalable indemnitaire).
L’extension du chiffrage de première instance apparait alors subordonnée au caractère nouveau, continu ou inconnu du chef de préjudice nouvellement invoqué ou modifié dans son évaluation.
L’appréciation des conditions d’extension de ce chiffrage peut toutefois poser des difficultés.
2- Sur les difficultés posées par la mise en œuvre de ce régime.
Il faut savoir que les juges du fond s’interrogent sur les contours de la notion de préjudice révélé dans toute son ampleur après le jugement de première instance (a). Si la jurisprudence est peu fournie, la solution jusqu’à récemment adoptée apparait bienvenue, du fait de sa cohérence et de son pragmatisme (b).
a) Les interrogations autour de la notion de préjudice révélé dans toute son ampleur après le jugement.
La notion de préjudice révélé dans toute son ampleur après le jugement est importante puisqu’elle conditionne la recevabilité de la majoration des demandes indemnitaires présentées par la victime. Cette notion ayant trait à la connaissance du préjudice par la victime, elle apparait parfois délicate à appréhender.
Tel est ce qui ressort de la jurisprudence qui s’est encore récemment interrogée sur le sujet.
Particulièrement, se pose la question de savoir si un préjudice peut être considéré comme révélé dans toute ampleur après le jugement, dans le cas où c’est l’expertise judiciaire qui révèle un préjudice d’une ampleur plus importante que celui énoncé par la victime en première instance.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux s’est interrogée et prononcée sur cette question dans une affaire jugée récemment. Cette affaire mérite d’être soulignée puisqu’elle illustre parfaitement la difficulté posée.
La victime dans cette affaire avait été traitée pour un anévrisme sylvien droit, par embolisation. Un accident vasculaire de la moelle épinière par ischémie était survenu après la réalisation d’une artériographie cérébrale de contrôle. La victime était atteinte d’un déficit fonctionnel permanent de 80%, ce qui conduisait à une mise en cause de l’office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Le rapport d’expertise de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux (CCI) saisie par la victime, révélait un aléa thérapeutique.
Un recours indemnitaire était alors formé par la victime à l’encontre de l’ONIAM.
Considérant qu’une expertise judiciaire était toutefois nécessaire, la victime formait parallèlement un référé expertise, qui était rejeté pour défaut d’utilité, tant devant le juge de première instance qu’en cause d’appel.
L’ONIAM était condamné par le Tribunal administratif de Poitiers à indemniser les préjudices subis, dont celui du besoin permanent d’assistance par une tierce personne évalué à 8h/jour, sur la base du rapport d’expertise de la CCI.
L’ONIAM interjetait appel du jugement. La victime profitait de cet appel pour former un appel incident.
La Cour administrative d’appel de Bordeaux annulait le jugement pour irrégularité et ordonnait une expertise par arrêt avant dire droit afin notamment de savoir si des fautes avaient été commises par le Centre Hospitalier ayant pris en charge la victime. Il s’agissait également d’évaluer les préjudices subis.
Le rapport d’expertise révélait notamment le besoin permanent d’une assistance par une tierce personne à hauteur de 24 heures par jour.
Dans ces conditions, considérant que le préjudice du besoin permanent d’une assistance par tierce personne était révélé dans toute son ampleur par le rapport d’expertise, la victime augmentait ses prétentions indemnitaires devant le juge d’appel.
Il en résultait une enveloppe indemnitaire globale bien plus élevée que celle sollicitée en première instance. L’augmentation de l’enveloppe globale était le fait de l’augmentation du montant sollicité au titre de ce préjudice.
Quelques jours avant l’audience, la Cour informait la victime de ce qu’elle envisageait de relever d’office le moyen d’ordre public tiré de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires excédant le montant de l’enveloppe indemnitaire sollicitée en première instance. Autrement dit, elle envisageait de déclarer les demandes indemnitaires de la victime recevables dans la limite du montant total présenté en première instance (environ 3,5 millions d’euros contre 7,5 millions d’euros en appel). La Cour considérait en effet que le préjudice du besoin permanent de recourir à une tierce personne pouvait être considéré comme connu de la victime, au stade de la première instance, et ce, nonobstant les révélations du rapport d’expertise.
Se posait alors la question de savoir si un préjudice (en l’occurrence celui du besoin permanent de l’assistance par une tierce personne) pouvait être considéré comme s’étant révélé dans toute son ampleur après le jugement, par la réalisation d’une expertise ordonnée par décision de la Cour avant dire droit.
Autrement dit et plus largement, est-ce qu’un préjudice peut être considéré comme révélé dans toute ampleur après le jugement, pour la seule et unique raison qu’il a été constaté, à l’occasion d’une expertise judicaire, un préjudice d’une ampleur plus importante que celle portée à la connaissance du juge de première instance par la victime requérante ?
Le Rapporteur public considérait que les conclusions devaient être déclarées recevables, dans la mesure où quelques arrêts de Cours avaient déjà jugé en ce sens.
Par ailleurs, juger le contraire, au-delà de la sévérité d’une telle décision, aurait pour effet de placer la victime dans un piège contentieux qui consisterait à devoir surévaluer systématiquement ses demandes indemnitaires en première instance.
Par un arrêt du 21 avril 2022 n°18BX00852, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé de suivre le raisonnement non seulement du Rapporteur public mais également de ses homologues Lyonnais et Marseillais [6].
La position de la jurisprudence qui en résulte apparait bienvenue et cohérente.
b) Une position de la jurisprudence bienvenue et cohérente.
Les Cours administratives d’appel de Marseille et de Lyon, s’étaient en effet déjà prononcées sur la question de la place de l’expertise judiciaire ordonnée par la Cour, dans l’appréciation de l’existence d’un préjudice révélé dans toute son ampleur après le jugement.
Les considérants des deux décisions sont particulièrement explicites : « Le dommage subi par M. E en raison du choix d’un pontage prothétique au lieu d’un pontage veineux et de la réalisation d’un pontage long au lieu d’un pontage court s’est aggravé après le jugement du Tribunal administratif de Marseille, dès lors que les fautes commises par le centre hospitalier de Cannes ont conduit à l’amputation du tiers de la jambe de l’intéressé puis à la résection du moignon en 2016. Par ailleurs, le dommage, et notamment les préjudices sexuel et d’impréparation, s’est révélé dans toute son ampleur qu’après le dépôt du rapport d’expertise ordonnée par l’arrêt avant dire droit de la cour du 8 mars 2018. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient l’établissement de soins, les conclusions de M. E, en tant qu’elles excèdent la somme demandée en première instance et en l’absence de conclusions fondées sur une cause juridique nouvelle, ne sont pas irrecevables » [7].
« Considérant que l’expert commis par la cour a procédé dans le cadre de l’arrêt avant-dire droit à une évaluation des préjudices subis par M. C… causés par le retard à diagnostiquer le syndrome des loges dont il a été atteint ayant entrainé une faible vascularisation et une nécrose de tissus musculaires sur la partie moyenne de la loge antéro-externe de la jambe droite et a fixé la date de consolidation au 30 mai 2011 ; que l’étendue réelle des conséquences dommageables de M. C… n’ayant été connue dans toute leur ampleur qu’après cette expertise, ce dernier pouvait réévaluer en appel ses demandes indemnitaires de première instance et en l’espèce les rehausser ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Paray-le-Monial tirée de l’irrecevabilité des conclusions d’appel en tant qu’elles dépassent la demande indemnitaire de première instance doit, en tout état de cause, être écartée » [8].
Il en résulte que l’étendue réelle des conséquences dommageables est considérée par la jurisprudence comme connue dans toute son ampleur après la réalisation d’une expertise ordonnée avant dire droit par la Cour.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux est manifestement moins explicite puisqu’il ne comprend pas de considérant équivalent.
La solution n’en est pas moins identique puisque la Cour a décidé de ne pas retenir le moyen tiré de l’irrecevabilité des conclusions indemnitaires de la victime qui excédait le chiffrage énoncé en première instance, qu’elle envisageait initialement de relever d’office. Les conclusions indemnitaires de la victime ont alors été déclarées recevables dans leur intégralité. L’ONIAM a en conséquence été condamné à verser à la victime une indemnité totale bien plus élevée que celle sollicitée par la victime en première instance.
La position de la jurisprudence apparait bienvenue pour plusieurs raisons.
D’une part, la solution inverse aurait été particulièrement injuste dans le cas particulier de l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Bordeaux.
La victime aurait été empêchée de se prévaloir d’une expertise judiciaire tant au stade de la procédure portée devant le Tribunal, la demande d’expertise judiciaire initialement formée par la victime ayant été rejetée à deux reprises, qu’au stade de la procédure portée devant la Cour, la victime ne pouvant alors se prévaloir du rapport d’expertise pour réévaluer ses demandes.
D’autre part, la solution inverse serait assimilée à un reproche fait à la victime de ne pas avoir surestimé les prétentions indemnitaires présentées en première instance, et ce nonobstant l’absence de pièces probantes à l’appui de la demande, et donc tout en sachant que les demandes seraient rejetées.
Comment peut-on raisonnablement exiger d’un requérant qu’il surestime ses demandes indemnitaires dans sa requête introductive d’instance, tout en sachant que les demandes seraient rejetées, à défaut de preuve à l’appui ?
La solution inverse réduirait par ailleurs à néant, ou limiterait fortement l’intérêt d’ordonner une expertise judiciaire.
Quel est l’intérêt en effet d’ordonner une expertise judiciaire si celle-ci ne devait servir qu’à revoir à la baisse les montants d’indemnisation sollicités ?
Enfin, la solution inverse aurait vidé de son sens et de son intérêt la jurisprudence du Conseil d’Etat qui admet la majoration en appel de l’enveloppe indemnitaire globale chiffrée en première instance, dans l’hypothèse d’une révélation de l’ampleur du préjudice après le jugement.
Quelle serait en effet l’hypothèse dans laquelle le préjudice serait révélé dans toute son ampleur après le jugement, si ce n’est celle d’une révélation de l’ampleur du préjudice par la réalisation d’une expertise ?
Pour l’ensemble de ces raisons, l’on ne peut que saluer la jurisprudence qui apparait désormais bien établie même si peu fournie.