De la cueillette aux champignons au Conseil d'Etat : quelques rappels en matière de droit applicable aux chemins ruraux. Par Benoit Fleury, Juriste.

De la cueillette aux champignons au Conseil d’Etat : quelques rappels en matière de droit applicable aux chemins ruraux.

Par Benoit Fleury, Juriste.

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Explorer : # chemins ruraux # entretien # responsabilité des communes # jurisprudence administrative

Dans une décision récente 26 septembre 2012, qui sera mentionnée aux tables, le Conseil d’Etat livre quelques précieux rappels en matière de droit applicable aux chemins ruraux.

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Avec quelque 750.000 kilomètres de chemin rural, le contentieux est fréquent, d’autant que ces sentiers de villégiature présentent un caractère « hybride », souvent souligné par la doctrine (il faut relire ici les lignes de C. Lavialle, La fin des chemins ruraux ? Dans Mélanges offerts à Pierre Montané de La Roque, Toulouse, Presses Universitaires de l’IEP, 1986, p. 449 et s.).

Définis par le législateur comme des éléments relevant du domaine privé des communes, leur régime juridique suit en effet pour l’essentiel celui de la domanialité publique ; une ambiguïté parfaitement résumée par l’article L. 161-1 du Code rural et de la pêche maritime : « Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ».

Les édiles de nos communes rurales sont régulièrement confrontés aux problématiques liées à ce statut et dont les faits d’espèce sont caractéristiques. Le propriétaire d’une parcelle située dans une petite commune ne pouvait y accéder que par un chemin ouvert à la circulation mais comportant des nids de poule et des nappes d’eau stagnante. Il s’est alors tourné vers la municipalité pour obtenir réparation des dommages qu’il estimait avoir subis du fait de l’usure prématurée de son véhicule et du risque prétendument encouru pour sa santé.

La commune a expressément refusé de donner suite à ces prétentions, estimant que le chemin était rural et que par voie de conséquence, l’entretien n’était pas à sa charge. Le tribunal administratif de Toulon a également débouté notre requérant de ces demandes par un jugement en date du 5 novembre 2010 sans pour autant répondre à l’ensemble des moyens et justifiant par là même la saisine de la Haute juridiction.

Conformément à l’article L. 821-2 du code de justice administrative, suivant lequel « S’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut soit renvoyer l’affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie », le Conseil d’Etat a décidé de régler l’affaire au fond.

Les magistrats administratifs ne se sont guère arrêtés sur la qualification du chemin litigieux – souvent problématique – mais qui n’était pas ici contestée. Ils ont dès lors pu appliquer le régime juridique de l’entretien des chemins ruraux.

Ce dernier se caractérise principalement par une absence d’obligation mise à la charge des communes. Une jurisprudence constante souligne en effet que « les chemins ruraux ne sont pas au nombre de ceux dont l’entretien constitue pour la commune une dépense obligatoire » en rappelant « qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à la commune l’obligation de les entretenir » (voir par exemple CE 8 nov. 1968, Cne de Ladignac-le-Long, n° 70927 ; CE 20 janv. 1984, Sté civile du domaine du Bernet, n° 16615 à 16617 ; CE, 30 juill. 1997, Cne de Lignéville, n° 160935). De fait, le Code Général des Collectivités territoriales reste silencieux sur ce point.

Une exception tempère la rigueur de ce principe : lorsque la commune a accepté d’assumer en fait l’entretien du chemin, elle pourra voir sa responsabilité engagée pour défaut d’entretien normal. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle elle a exécuté, postérieurement à l’incorporation du chemin dans la voirie rurale, des travaux destinés à en assurer ou en améliorer la visibilité. Cette position, adoptée par le Conseil d’Etat dans son arrêt Ville de Carcassonne du 20 novembre 1964 est régulièrement reprise par la doctrine administrative (par exemple Réponse ministérielle, n° 234, JOAN Q, 25 septembre 2007, p. 5830) ou la jurisprudence (CAA Douai, 4 octobre 2007, Cne de Billy-sur-Aisne, n° 07DA00110).

Dans notre affaire, c’est la voie choisit par le requérant qui avançait pas un courrier du maire lui indiquant faire « au mieux pour résoudre le problème posé par le mauvais état du chemin ».

Mais une simple lettre de bonnes intentions n’est pas assimilable à l’accomplissement de travaux d’entretien ! Plus délicate aurait peut être été la situation si le maire avait fait procédé à quelques travaux de manière exceptionnelle et purement occasionnelle.
De manière incidente enfin, le Conseil d’Etat rappelle que les pouvoirs de police ou de conservation détenu par le maire au titre de l’article L. 161-5 du Code rural n’ont ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge des communes une telle obligation d’entretien.

Reste à notre requérant la possibilité de combler lui-même les nids de poule…

Conseil d’Etat, 26 septembre 2012, Commune de Pontevès, n° 347068
http://conseil-etat.vlex.fr/vid/conseil-etat-sous-sections-reunies-400171854

Benoit Fleury
Directeur Général adjoint des services du Conseil Général de Vendée en charge du pôle juridique et du contrôle de gestion.
Membre du comité de rédaction de la Semaine Juridique - Administrations Collectivités territoriales (JCP A)

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