Le mécanisme probatoire applicable n’impose au salarié que de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à celle-ci.
Il appartient au juge saisi d’une demande de communication de pièces sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, d’abord, de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.
C’est de qu’affirme la Cour de cassation.
1) Faits.
M. X a été engagé à compter du 15 avril 2010 par la société France médias monde (la société) et occupait en dernier lieu les fonctions d’assistant d’édition, statut journaliste, au sein de la rédaction arabophone de France 24.
S’estimant victime d’une discrimination en raison de ses origines culturelles et ethniques, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale pour obtenir, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, la communication par l’employeur d’un certain nombre de pièces lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celles de trente-trois autres salariés.
2) Moyen.
Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile.
Il sollicitait la communication des documents retraçant l’évolution de carrière de trente-trois salariés engagés comme lui au sein de la rédaction arabophone de la société à l’emploi d’assistant d’édition ou d’assistant rédacteur en chef, ayant une ancienneté équivalente ou inférieure à la sienne, auxquels il entendait se comparer aux fins d’établir que, contrairement à eux, il était privé d’évolution salariale et fonctionnelle à raison de son origine et partant, victime d’une discrimination.
Pour exclure l’existence d’un motif légitime à obtenir communication de pièces relatives à l’ensemble des salariés visés par la demande, sur la seule considération que l’employeur fournissait des documents relatifs au traitement fait à certains d’entre eux seulement, le salarié considérait que la cour d’appel avait violé l’article 145 du Code de procédure civile.
3) Réponse de la cour.
Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l’arrêt, après avoir relevé que la majorité des pièces dont la communication était sollicitée était de nature à porter atteinte à la vie privée des salariés concernés ce qui impliquait que leur production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que cette atteinte soit proportionnée au but poursuivi, retient que la société produit aux débats un tableau récapitulatif portant sur les douze journalistes assistants d’édition travaillant au sein de la rédaction de la société France 24 dont cinq à la rédaction arabophone et neuf dans d’autres rédactions, ce tableau précisant, par salarié, son ancienneté dans l’entreprise, l’ancienneté de sa carte de presse, son âge et son salaire de base annuel.
Il ajoute qu’un même tableau est produit portant sur les journalistes assistants d’édition travaillant au sein de la société et que parmi les trente-trois salariés concernés par la demande du salarié, la société France médias monde produit le curriculum vitae de onze d’entre eux portant mention de leur âge, de leur formation, de leurs expériences professionnelles et de leur parcours au sein de la société.
Il relève également que la société produit les bulletins de paie de vingt d’entre eux, certains des bulletins de salaire permettant des comparatifs sur des périodes espacées de plusieurs années et que parmi les salariés dont le curriculum vitae et les bulletins de salaire sont communiqués figurent Mme [C], M. [R], M. [N] auxquels le salarié compare, de façon plus précise, sa situation.
Il en conclut qu’au regard des pièces en présence, le salarié ne justifie pas d’un motif légitime à la communication de pièces supplémentaires, alors que le mécanisme probatoire applicable au fond ne lui impose en outre que de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à celle-ci.
En statuant ainsi, sans rechercher, d’abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n’était pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et, ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
4) Analyse.
La Cour d’appel de Versailles avait considéré que :
La société France 24 produit aux débats un tableau récapitulatif portant sur les douze journalistes assistants d’édition travaillant au sein de la rédaction de la société France 24 dont cinq à la rédaction arabophone et neuf dans d’autres rédactions, ce tableau précisant, par salarié, son ancienneté dans l’entreprise, l’ancienneté de sa carte de presse, son âge et son salaire de base annuel ;
Qu’un même tableau est produit portant sur les journalistes assistants d’édition travaillant au sein de la société et que parmi les trente-trois salariés concernés par la demande du salarié, la société France médias monde produit le curriculum vitae de onze d’entre eux portant mention de leur âge, de leur formation, de leurs expériences professionnelles et de leur parcours au sein de la société ;
La société produit les bulletins de paie de vingt d’entre eux, certains des bulletins de salaire permettant des comparatifs sur des périodes espacées de plusieurs années et que parmi les salariés dont le curriculum vitae et les bulletins de salaire sont communiqués figurent Mme [C], M. [R], M. [N] auxquels le salarié compare, de façon plus précise, sa situation ;
Elle en avait conclu qu’au regard des pièces en présence, le salarié ne justifie pas d’un motif légitime à la communication de pièces supplémentaires, alors que le mécanisme probatoire applicable au fond ne lui impose en outre que de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à celle-ci.
Au visa des articles 145 du Code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 15 février 2023.
Elle rappelle qu’il appartient au juge saisi d’une demande de communication de pièces sur le fondement de l’article 145 du CPC.
D’abord, de rechercher si cette communication n’est pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.
C’est un arrêt didactique.
Le contrôle de l’office du juge exercé par la Cour de cassation est strict.
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