Discrimination - Différence de salaire fondée sur la situation de famille = mesure discriminatoire.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

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Explorer : # discrimination # droit du travail # inégalité de traitement

Dans un arrêt du 9 avril 2025 (n° 23-14.016) publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a consacré une avancée notable en matière de lutte contre les discriminations au travail.

Elle confirme la reconnaissance d’une discrimination fondée sur la situation de famille au sens large, en affirmant que la non-appartenance à la famille de l’employeur peut constituer un motif de traitement discriminatoire prohibé par l’article L1132-1 du Code du travail.

En l’espèce, en rejetant le pourvoi d’un ancien député, la haute juridiction reconnaît qu’une collaboratrice parlementaire a pu être discriminée en raison du fait qu’elle n’était pas l’épouse de son employeur, contrairement à sa collègue bénéficiant d’un traitement salarial plus favorable.

Par cette décision, la cour marque une avancée claire vers une interprétation extensive de la protection contre les discriminations au travail.

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I. Les faits.

Une salariée est engagée comme collaboratrice parlementaire par un député, dans le cadre d’un contrat à temps partiel en qualité de cadre, pour exercer au sein de sa permanence parlementaire.

Au cours du même mandat, l’épouse de ce député occupe également un poste de collaboratrice parlementaire au sein de la même permanence, sans pour autant bénéficier du statut de cadre.

À l’issue des élections législatives de 2017, l’employeur la convoque à un entretien préalable et prononce son licenciement, justifié par la cessation de son mandat.

La fin du contrat intervient au terme d’un préavis dont la salariée est dispensée.

Soutenant avoir subi une inégalité de traitement en matière de rémunération durant toute la durée de la relation de travail, la salariée saisit la juridiction prud’homale pour obtenir réparation du préjudice subi.

Elle dénonce une discrimination fondée sur un motif prohibé par le droit du travail : sa situation de famille.

La Cour d’appel de Lyon retient l’argument de discrimination et condamne l’employeur.

Ce dernier forme un pourvoi devant la chambre sociale.

II. Les moyens.

L’employeur soutient d’abord que l’article L1132-1 du Code du travail ne protège que la situation de famille de la salariée elle-même, et non les comparaisons opérées avec d’autres personnes apparentées à l’employeur.

Selon lui, la Cour d’appel de Lyon aurait donc fait une fausse application du texte en tenant compte de sa propre situation familiale, l’existence d’un lien conjugal avec l’autre salariée, pour caractériser la discrimination.

Ensuite, l’employeur reproche aux juges du fond d’avoir dénaturé ses conclusions : il prétend ne pas avoir justifié la différence de traitement par le lien conjugal avec sa collaboratrice, mais par les exigences particulières de ses fonctions comme sa disponibilité à des horaires atypiques ou encore l’importance politique de certaines de ses tâches.

La salariée conteste ces arguments, en soulignant que sa situation professionnelle avait été défavorablement comparée à celle de l’épouse de l’employeur et que cette différence n’était fondée que sur le lien familial entre cette dernière et le député, ce qui constituait une discrimination prohibée par les dispositions combinées des articles L1132-1 et L3221-3 du Code du travail, ainsi que de la loi du 27 mai 2008.

III. La solution.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

Elle confirme sans ambiguïté la solution des juges du fond : le traitement moins favorable dont la salariée a fait l’objet repose sur l’absence de lien familial avec son employeur, ce qui entre dans le champ de l’article L1132-1 du Code du travail relatif à la prohibition des discriminations, et plus particulièrement à la « situation de famille ».

Autrement dit, la cour confirme que la non-parenté - tout autant que la parenté - peut constituer le support d’une discrimination.

Dès lors que l’employeur justifie un écart de rémunération par le lien conjugal unissant l’autre salariée à lui-même, c’est bien la situation familiale de cette dernière qui est au cœur du différentiel de traitement.

En somme, dès lors que les fonctions politiques sensibles et confidentielles ont été exclusivement attribuées à l’épouse au nom de son statut conjugal, l’employeur a construit une différence de traitement fondée sur un critère prohibé.

IV. Analyse.

L’intérêt de cette décision réside ainsi dans l’interprétation extensive de la notion de « situation de famille » comme motif de discrimination.

Jusque-là, la jurisprudence avait reconnu le caractère discriminatoire de sanctions ou licenciements fondés sur l’existence d’un lien familial avec un tiers salarié [1] ou sur l’activité d’un conjoint dans une entreprise concurrente [2]. La discrimination s’appréciait donc en positif, par la prise en compte d’un lien de filiation ou matrimonial qui lui serait propre.

Désormais, ce n’est plus la situation familiale du salarié en tant que telle qui fonde la discrimination, mais l’absence de lien familial avec l’employeur.

Ce glissement d’une appréciation intrinsèque à une lecture extrinsèque du critère marque un tournant dans l’interprétation de l’article L1132-1.

Il en résulte une redéfinition du périmètre du critère « situation de famille », désormais susceptible de comprendre également des situations dans lesquelles le salarié est défavorisé non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il n’est pas - ici, un membre de la famille de l’employeur.

L’arrêt s’inscrit dans une logique de protection large contre les discriminations, en conformité avec la jurisprudence européenne et les standards européens.

En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé à plusieurs reprises que le principe d’égalité de traitement doit s’apprécier non en fonction des catégories sociales mais des motifs prohibés définis par les directives 2000/43/CE et 2000/78/CE, qui offrent une définition large et fonctionnelle de la discrimination, englobant aussi bien les discriminations directes qu’indirectes [3]. La Cour de cassation reprend ici cette approche fonctionnelle : ce qui importe, c’est le lien entre un traitement défavorable et un critère interdit, indépendamment de l’orientation "positive" ou "négative" de ce critère.

Ainsi, toute inégalité injustifiée peut potentiellement revêtir une dimension discriminatoire lorsqu’un critère prohibé, même indirectement, en constitue le fondement.

Source.

C. cass. 9 avril 2025, n° 23-14.016 publié au Bulletin.

Frédéric Chhum, avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
et Elise de Langlard, juriste
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Soc. 1er juin 1999, n° 96-43.617.

[2Soc. 10 févr. 1999, n° 96-42.998.

[3CJUE, 17 juill. 2008, Coleman, aff. C-303/06 ; CJUE, 16 juill. 2015, Nikolova, aff. C-83/14.

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