La régularisation spontanée du permis de construire par un modificatif au stade de la procédure d’appel.

Par Emmanuel Lavaud, Avocat.

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Explorer : # permis de construire # régularisation # urbanisme # procédure d'appel

Le juge de cassation a la faculté, lorsqu’il censure une erreur commise par les juges du fond dans la mise en oeuvre de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette les conclusions présentées par le bénéficiaire du permis litigieux tendant à l’application de cet article et de laisser subsister cet arrêt en tant qu’il juge que le permis est entaché de divers vices. Si la cour administrative d’appel à qui l’affaire est renvoyée après cassation, afin qu’elle se prononce à nouveau sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1, constate que les vices ont été régularisés par un permis modificatif, ou envisage de surseoir à statuer en fixant un délai en vue de leur régularisation, il lui appartiendra de se prononcer sur le bien-fondé des moyens invoqués par les demandeurs de première instance autres que ceux qu’elle a accueillis par son premier arrêt.

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L’Université Paris Diderot - Paris 7 a conclu le 24 juillet 2009 avec le groupement Udicité un contrat de partenariat portant sur la construction de bâtiments universitaires dans le périmètre de la zone d’aménagement concerté Rive Gauche.

C’est dans ce contexte que la SAS Unicité a sollicité, et obtenu par un arrêté du 28 avril 2010 délivré par le préfet de région Ile-de-France, un permis de construire en vue de la réalisation du bâtiment " Olympe de Gouges " sur l’îlot M5B2 de la ZAC Paris Rive Gauche.

Puis, par un arrêté du 16 avril 2012, le Préfet a délivré à la société, désormais dénommée Udicité, un permis de construire modificatif portant sur ce même bâtiment.

Diverses associations et syndicats ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler le permis de construire du 28 avril 2010.

Par un jugement du 2 juillet 2013, le tribunal a fait droit à cette demande. La SAS Udicité et le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ont fait appel de ce jugement et la SAS a sollicité, et obtenu pendant le temps de la procédure devant la CAA de Paris, un permis de construire modificatif délivré le 23 décembre 2013.

Par un arrêt du 16 février 2015, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté les appels.

La SAS Udicité, l’Université Paris-Diderot-Paris 7 et le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ont formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat à l’encontre de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris.

L’argument soulevé par la société Udicité pour défendre son autorisation d’urbanisme était le suivant.

En ayant obtenu un permis de construire modificatif postérieurement au jugement du tribunal administratif et qui permettait, selon elle, de régulariser les vices affectant son permis et ayant donné lieu à la censure du tribunal administratif, elle pouvait bénéficier des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Aux termes de ce dernier : « Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ».

La Cour administrative d’appel de Paris n’avait pas suivi ce raisonnement et avait refusé l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme dans ce cas d’espèce : « Considérant qu’ainsi qu’il a été dit aux points 20 et 24 du présent arrêt, un permis modificatif a été délivré à la société Udicité le 23 décembre 2013 aux fin de régulariser les illégalités relevés par le Tribunal administratif de Paris dans son jugement du 2 juillet 2013 ; que cette circonstance, en admettant même que les vices entraînant l’illégalité du permis de construire du 28 mars 2010 soient susceptibles d’être régularisés par un permis modificatif, fait obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions d’Udicité présentées sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ».

Cette solution peut paraître particulièrement sévère. En effet, alors même que le permis de construire modificatif permettrait effectivement la régularisation du permis de construire initial, le juge administratif refuserait d’en tenir compte au motif qu’il n’aurait pas été à l’initiative de cette éventuelle régularisation, de surcroit postérieure au jugement de 1ère instance.

Le Conseil d’État [1] fait quant à lui preuve de bien plus de souplesse et censure la solution rigoriste de la Cour administrative d’appel de Paris.

Après avoir rappelé les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, la haute juridiction administrative précise tout d’abord « qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque le juge estime que le permis de construire, de démolir ou d’aménager qui lui est déféré est entaché d’un vice entraînant son illégalité mais susceptible d’être régularisé par la délivrance d’un permis modificatif, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, constater, par une décision avant-dire droit, que les autres moyens ne sont pas fondés et surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour permettre, selon les modalités qu’il détermine, la régularisation du vice qu’il a relevé ; que le juge peut mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme pour la première fois en appel, alors même que l’autorisation d’urbanisme en cause a été annulée par les premiers juges ».

Le sursis à statuer en vue de la régularisation du permis par un modificatif peut donc être mis en œuvre par le juge au stade de la procédure d’appel.

Ce n’était cependant pas le seul point à vérifier par le Conseil d’État.

En effet, une autre spécificité de ce litige était que le permis de construire modificatif avait d’ores et déjà été obtenu par le bénéficiaire du permis de construire initial et illégal, et spontanément communiqué à la Cour administrative d’appel.

Dans une telle hypothèse, pour le Conseil d’État, « dans le cas où l’administration lui transmet spontanément des éléments visant à la régularisation d’un vice de nature à entraîner l’annulation du permis attaqué, le juge peut se fonder sur ces éléments sans être tenu de surseoir à statuer, dès lors qu’il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la question de savoir si ces éléments permettent une régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme ; que, toutefois, si les éléments spontanément transmis ne sont pas suffisants pour permettre de regarder le vice comme régularisé, le juge peut, dans les conditions rappelées au point précédent, notamment après avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le principe de l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, surseoir à statuer en vue d’obtenir l’ensemble des éléments permettant la régularisation ».

Il en résulte que si le bénéficiaire du permis, ou l’administration, apporte spontanément des éléments visant la régularisation du permis, postérieurement même à son annulation en 1ère instance, la Cour administrative d’appel peut directement valider le permis modificatif, sans même avoir à surseoir à statuer.

En conséquence, « il y a lieu d’annuler l’arrêt de la CAA en tant qu’il rejette les conclusions de la SAS Udicité tendant à l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (…) et de renvoyer l’affaire à la cour administrative d’appel de Paris, afin qu’elle se prononce à nouveau sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 600-5-1 ; que si la cour, après avoir recueilli les observations des parties, constate que ces vices ont été régularisés par un permis modificatif, ou envisage de surseoir à statuer en fixant un délai en vue de leur régularisation, il lui appartiendra de se prononcer sur le bien-fondé des moyens invoqués par les demandeurs de première instance autres que ceux qu’elle a accueillis par son arrêt du 16 février 2015 ».

A noter que le Conseil d’État a retenu la même solution quant à l’application de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme dans une décision du 22 décembre 2017 [2]

Aux termes de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme : « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un schéma de cohérence territoriale, un plan local d’urbanisme ou une carte communale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation et pendant lequel le document d’urbanisme reste applicable ».

Il a donc été jugé dans cet arrêt du 22 décembre 2017 que « dans le cas où l’administration lui transmet spontanément des éléments visant à la régularisation d’un vice de forme ou de procédure de nature à entraîner l’annulation de l’acte attaqué, le juge peut se fonder sur ces éléments sans être tenu de surseoir à statuer, dès lors qu’il a préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur la possibilité que ces éléments permettent une régularisation en application de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme ».

Emmanuel Lavaud,
Avocat au barreau de Bordeaux
legide-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1CE, 22 février 2018, n°389518

[2n°395963.

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