1. Dans cette espèce, un couple a conclu le 28 décembre 2009 un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan avec la société Groupe Diogo Fernandes.
Cette dernière est assurée au titre de sa responsabilité civile décennale auprès de la société Aviva assurances, aux droits de laquelle vient la société Abeille IARD et santé.
La garantie de livraison a été souscrite auprès de la société HCC International Insurance Company, aux droits de laquelle est venue la société Tokio marine Europe.
Un litige est né entre les parties au moment de réceptionner l’ouvrage objet du contrat de construction de maison individuelle.
Il apparait à la lecture de l’arrêt que des échanges ont eu lieu entre les maîtres d’ouvrage et le constructeur entre janvier et mars 2014 afin de s’entendre sur date de réception.
Une réunion de pré-réception s’est tenue le 10 mars 2014 au cours de laquelle des réserves ont été formulées et des non-conformités ont été relevées contradictoirement.
Les parties ont convenu d’un rendez-vous le 31 mars 2014 pour la réception proprement dite et des procès-verbaux de constat d’huissier ont été dressés le 31 mars 2014 en présence des deux parties.
Les maîtres d’ouvrage ont cependant refusé la réception en raison de l’existence de non-conformités et de désordres.
Les maîtres d’ouvrage ont évoqué la nécessité de défaire la toiture et de la reconstruire, de reprendre l’enfouissement des canalisations. Ils ont également refusé de réceptionner l’ouvrage en raison de l’absence de séparation des réseaux d’évacuation des eaux usées et des eaux de pluie.
La lecture de l’arrêt laisse apparaitre en outre que des infiltrations d’eau en sous-sol se sont aggravées au fil des années.
En conséquence, selon les maîtres d’ouvrage, le pavillon objet du litige était inhabitable. Il est vrai que le lecteur de l’arrêt peut s’interroger sur cette habitabilité dès lors que les désordres affectant l’ouvrage semblent être d’une particulière gravité.
Les maîtres d’ouvrage ont cependant récupéré les clés de la maison, à une date qui n’apparait pas à la lecture de l’arrêt, afin de procéder à des travaux qu’ils s’étaient réservés. Il s’agissait notamment des revêtements de la cuisine et de la pose de la cuisine.
Pour les sociétés Groupe Diogo Fernandes et Tokio marine Europe, au contraire, en dépit des travaux et reprises à engager, la maison était habitable depuis le 9 janvier 2014.
Ne parvenant pas à un accord, la société Groupe Diogo Fernandes a assigné leurs cocontractants le 16 mai 2024 pour que soit prononcée la réception judiciaire et pour que les maîtres de l’ouvrage soient condamnés à lui payer le solde du prix des travaux.
La société Tokio marine Europe est intervenue volontairement.
En cours de procédure judiciaire, la société Groupe Diogo Fernandes a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 23 novembre 2021, la société Mja étant désignée en qualité de liquidateur, puis remplacée par la société Asteren.
2. La Cour d’appel de Versailles a confirmé, semble-t-il dans son intégralité, les termes du jugement en prononçant la réception judiciaire au 31 mars 2014 avec vingt réserves, condamnant le constructeur sous astreinte à garantir la levée des réserves en désignant sous sa responsabilité la personne qui terminera les travaux, en la condamnant à payer aux maîtres d’ouvrage la somme de 578.014,21 euros au titre des pénalités de retard de livraison.
La compagnie d’assurance Tokio marine Europe, les maîtres d’ouvrage et le mandataire liquidateur du constructeur ont chacun formé un pourvoi devant la Cour de cassation, et les trois pourvois ont été joints.
C’est dire si la solution de la Cour d’appel était estimée peu satisfaisante par les parties.
3. Devant la Cour de cassation, la société Tokio marine Europe conteste la décision de la Cour d’appel au motif que cette dernière devait exclusivement déterminer si les travaux objets du litige étaient en état d’être réceptionnés sans prendre en considération l’absence de convocation à une réception.
La société Tokio marine Europe développe une argumentation visant à démontrer que les travaux restant à exécuter, et les reprises à engager, ne font pas obstacles à l’habitabilité de la maison. En conséquence, selon l’assureur, la réception judiciaire aurait dû être fixée au mois de janvier 2014. L’auteur du pourvoi indique que selon lui la dépose et la reconstruction de la toiture ne constituaient pas une démolition totale de l’ouvrage, mais simplement une reprise partielle. Il soutient également que l’insuffisance de l’enfouissement des canalisations et l’absence de séparation des réseaux d’assainissement et d’eau de pluie n’empêchent pas l’habitation de la maison.
Quant à la société Groupe Diego Fernandes elle soulève dans son pourvoi qu’en retenant, pour fixer la réception judiciaire de la maison au 31 mars 2014, que « la date du 9 janvier 2014 proposée par la société Groupe Diogo Fernandes et la société Tokio marine Europe ne saurait en revanche être retenue, M. et Mme [N] n’ayant même pas été convoqués pour une réception à cette date sans rechercher, ainsi qu’il lui était expressément demandé, si la maison n’était pas en état d’être habitée dès le 9 janvier 2014 et pouvait donc faire l’objet d’une réception judiciaire à cette date, peu important l’absence de convocation des maîtres de l’ouvrage pour une réception à cette date, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1792-6 du code civil ».
Les maîtres d’ouvrage ont soutenu pour leur part à titre principal que la réception ne pouvait être prononcée dès lors que l’ouvrage n’était selon eux pas en état d’être reçu et formaient à titre subsidiaire une demande tendant à voir intégrer de nombreuses réserves.
En substance, la question posée à la Cour de cassation est celle de la pertinence du critère de la convocation à une réunion de réception contradictoire par le constructeur.
La Cour d’appel a-t-elle eu raison d’écarter la date du 9 janvier 2024 pour fixer la date de la réception judiciaire au motif que les maîtres d’ouvrage n’ont pas été convoqués pour tenter une réception amiable à cette date ?
La réponse est négative pour la Cour de cassation.
4. Au visa de l’article 1792-6 du Code civil, le pourvoi est rejeté avec la motivation suivante.
La Cour de cassation rappelle d’abord que :
« la réception est l’acte par lequel le maître d’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente soit à l’amiable soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
Il est jugé que, si lorsqu’elle est demandée, la réception judiciaire doit être prononcée à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, c’est-à-dire pour une maison d’habitation à la date à laquelle elle est habitable sans qu’importe la volonté du maître d’ouvrage de la recevoir [1] ».
Or, pour écarter la date du 9 janvier 2014 proposée par le constructeur et le garant pour la réception judiciaire de l’ouvrage, l’arrêt relève qu’à cette date les maîtres de l’ouvrage n’avaient pas même été convoqués pour une réception.
La solution de la Cour d’appel est censurée par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation.
Cette dernière juge en effet que :
« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser un obstacle à la réception judiciaire sans rechercher, comme il le lui était demandé, si à la date du 9 janvier 2014 la maison était habitable et ainsi en état d’être reçu la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.
Il est un fait que les dispositions applicables au contrat de construction de maison individuelle, qui n’imposent pas une réception constatée par écrit, n’excluent pas la possibilité d’une réception judiciaire [2] ».
La solution est dans le prolongement de la jurisprudence rendue en matière de louage d’ouvrage.
En effet, la Cour de cassation a d’ores et déjà retenu par exemple dans l’arrêt du 12 octobre 201 cité par la 3ème chambre civile que :
« pour refuser la réception judiciaire des travaux, l’arrêt retient que le prononcé de celle-ci suppose que les travaux soient en état d’être reçus mais aussi un refus abusif du maître d’ouvrage de prononcer une réception expresse sollicitée par le constructeur ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’en l’absence de réception amiable, la réception judiciaire peut être ordonnée si les travaux sont en état d’être reçus, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
5. La solution est claire et constante, en matière de travaux, si l’accord amiable n’est pas possible, le juge doit fixer judiciairement la date de la réception au regard de la seule question du caractère recevable des travaux.
Naturellement, le refus du maître d’ouvrage ne peut pas être un critère puisque, par définition, si la réception amiable n’est pas possible c’est que le maître d’ouvrage refuse de réceptionner.
Le fait que l’absence de convocation à une réception ne puisse pas être un critère pertinent nous semble être logique. La réception est un acte unilatérale prononcé contradictoirement par le maître d’ouvrage. C’est donc au maître d’ouvrage de prendre l’initiative de cette réception amiable.
Il n’était donc pas cohérent de refuser au constructeur une date de réception judiciaire au seul motif qu’il n’aurait pas convoqué le maître d’ouvrage. Cette convocation ne lui incombe pas naturellement.
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles qui devra de nouveau statuer sur la date à laquelle les travaux étaient en état d’être réceptionné, sans prendre en considération l’absence de convocation à une réception amiable.
6. Il peut être relevé, comme le fait Madame Marie-Laure Pagès-De Varenne dans la revue Construction-urbanisme n°11 du mois de novembre 2024, que l’espèce a une particularité qui n’est pas mince puisqu’il s’agit de l’hypothèse d’un contrat de construction de maison individuelle.
Dans le cadre de ce régime juridique, l’article L231-8 du Code de la construction et de l’habitation dispose que :
« le maître de l’ouvrage peut, par lettre recommandée avec accusé de réception dans les huit jours qui suivent la remise des clefs consécutive à la réception, dénoncer les vices apparents qu’il n’avait pas signalés lors de la réception afin qu’il y soit remédié dans le cadre de l’exécution du contrat ».
Cette disposition signifie donc qu’en matière de contrat de construction de maison individuelle, la réception ne coïncide pas nécessairement avec la remise des clés, un ultime délai de 8 jours étant accordé au maître d’ouvrage pour réserver des désordres qu’il n’aurait pas vus, mais qui seraient apparents.
À supposer que la maison ait été en état d’être réceptionnée le 9 janvier 2014 comme le soutient le constructeur, il faudra encore préciser comment moduler cette date au regard de l’article L. 231-8 du code de la construction et de l’habitation.
La question ne semble pas être abordée dans l’arrêt.
Il est surprenant que la date de remise des clés n’apparaisse même pas à la lecture de l’arrêt. Il est simplement indiqué que les clés ont été remises au maître d’ouvrage « en fin de chantier », et qu’à la date du 6 mars 2014 les serrures ont été changées, sans pour autant que la date exacte de remise des clés ne soit précisée. S’agissant d’un contrat de construction de maison individuelle, la question est bien plus pertinente que dans le cas d’un simple marché de travaux.
La Cour d’appel de Versailles à qui l’affaire est renvoyée devrait avoir à se poser cette question de l’application de l’article L. 231-8 du code de la construction et de l’habitation.
7. Enfin, autre point intéressant de l’arrêt, la Cour de cassation rappelle qu’un rapport d’expertise non judiciaire ne peut pas être écarté par la juridiction au seul motif qu’il ne serait pas contradictoire :
« Il retient, enfin, que l’avis de l’expert judiciaire dans une note non reprise dans son rapport déposé en l’état et non corroboré par d’autres éléments techniques précis ne suffisait pas à caractériser le défaut de conformité et que M. et Mme [N] reprennent les mêmes arguments qu’en première instance, sans apporter d’éléments nouveaux, se reportant aux seules conclusions des rapports d’expertises amiables et non contradictoires.
En statuant ainsi, en refusant d’analyser les rapports d’expertise non judiciaires régulièrement versés aux débats et sans répondre aux conclusions des maîtres de l’ouvrage, qui soutenaient que des mesures pouvaient être extraites d’un plan non coté pour peu qu’il soit à l’échelle, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».