I. La décision d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel.
Le 6 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité « QPC » posée par les Associations quant à la conformité aux droits et libertés fondamentaux de l’Article 16§2.
Son premier alinéa dispose que « sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet », et le troisième alinéa précise que les actes publics concernés et les modalités de légalisation sont fixés par décret.
Dès lors, il ressort de l’Article 16§2 que, pour qu’un acte étranger puisse produire effet en France, il doit avoir été « légalisé », c’est-à-dire avoir fait l’objet de la « formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le destinataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu » [2].
Les requérantes ont souligné que :
l’Article 16§2 et son décret d’application [3] n’encadrent pas la procédure de légalisation dans un délai utile ;
Aucune disposition n’a été prévue quant à une voie de recours en cas de refus de légalisation par l’autorité compétente ;
En déléguant au pouvoir réglementaire la détermination des modalités de légalisation de tels actes, le législateur n’a pas pleinement exercé sa compétence et s’est adonné à une incompétence négative ;
En raison des conséquences de l’absence de légalisation sur une demande de titre de séjour, l’Article 16§2 et le Décret sont contraires au droit de mener une vie familiale normale, au droit d’asile et au droit à l’identité ; et
L’Article 16§2 et le Décret méconnaissent l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors que les mineurs étrangers ne pouvaient plus prouver leur minorité.
Les griefs ne remettant pas en cause la définition de la légalisation énoncée précédemment, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait donc sur les alinéas 1 et 3 de l’Article 16§2.
Malgré le nombre de moyens avancés par les requérantes, le Conseil constitutionnel ne s’est fondé que sur l’incompétence négative du législateur pour prononcer sa décision.
Le contrôle de l’incompétence négative par le Conseil constitutionnel, fondé sur l’article 34 de la Constitution relatif aux domaines de compétence exclusive du législateur, sanctionne le fait pour ce dernier de ne pas avoir pleinement exercé sa compétence [4]. L’incompétence négative peut prendre la forme du renvoi explicite par le législateur à un acte réglementaire sur une question relevant de la loi, ou encore de la rédaction de dispositions trop imprécises ou ambiguës [5], alors source d’insécurité juridique. Elle est également caractérisée lorsque le législateur n’a pas prévu les garanties légales nécessaires au respect des exigences constitutionnelles [6].
Lorsque le contrôle de l’incompétence négative est effectué a posteriori, celui-ci est limité à la QPC et seulement « dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » [7]. Ainsi, l’étude de l’incompétence négative par le Conseil constitutionnel n’est possible que dans la mesure où la défaillance du législateur affecte par elle-même les droits et libertés garantis par la Constitution au sens de l’article 61-1.
Au cas d’espèce, le Conseil constitutionnel a commencé par (i) rappeler les conditions de l’invocation du grief d’incompétence négative puis (ii) la règle selon laquelle il ressortait de la compétence législative d’établir les règles relatives à la nationalité, l’état et la capacité des personnes et (iii) que, de ce fait, le législateur devait exercer pleinement cette compétence. Le Conseil a conclu cette première partie en soulignant que le principe de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen impliquait l’absence d’atteinte substantielle au droit des personnes d’exercer un recours effectif.
Ensuite, le Conseil constitutionnel a relevé, d’une part, que le juge administratif ne se reconnaissait pas la compétence d’apprécier la légalité d’une décision de refus de légalisation d’un acte de l’état civil (cette compétence relevant du juge judiciaire) et que, d’autre part, aucune disposition législative ne permettait aux personnes intéressées de contester une telle décision devant le juge judiciaire.
Or, au vu des conséquences d’une décision de refus de légalisation pour les personnes intéressées, le législateur devait instaurer une voie de recours et, celle-ci étant absente, les dispositions étaient entachées d’incompétence négative.
Ainsi, le Conseil constitutionnel a déclaré les alinéas 1 et 3 de l’Article 16§2 contraires à la Constitution et a décidé de leur abrogation.
Cependant, le Conseil constitutionnel a considéré que l’abrogation immédiate des dispositions entrainerait des conséquences manifestement excessives et a donc décidé du report de l’abrogation au 31 décembre 2022.
II. Les enjeux du report d’effectivité de la censure.
Le Conseil constitutionnel a cru bon devoir retarder l’abrogation des alinéas 1 et 3 de l’Article 16§2 en faisant valoir les « conséquences manifestement excessives » qu’une abrogation immédiate pourrait créer.
Or, il apparaît que cette argumentation semble fragile au vu du régime de légalisation antérieur à la promulgation de la loi du 23 mars 2019 (B). Au contraire, le maintien de l’Article 16§2 et du Décret entraine une surlégalisation effective, source de complexité pour les justiciables étrangers (A).
A. Les risques liés au maintien de l’Article 16§2 et du Décret.
Comme expliqué précédemment, la décision commentée maintient l’applicabilité des dispositions contestées jusqu’au 31 décembre 2022.
Or, ces dispositions ont des effets pratiques non négligeables.
En effet, comme souligné par les Associations, l’obtention de la légalisation était d’ores et déjà complexe avant la promulgation de la loi contenant l’Article 16§2 (alors même qu’une option était octroyée aux requérants).
En effet, avant l’introduction du Décret, la légalisation pouvait être accomplie selon les deux voies suivantes, l’option conférée aux justiciables ressortant de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la base de la coutume internationale :
soit devant l’autorité consulaire française du pays d’origine ;
soit devant l’autorité consulaire étrangère en France.
L’Article 16§2 et le Décret ont remis en cause cette jurisprudence. En effet, en précisant que la légalisation pouvait être effectuée soit en France, par le consul du pays où l’acte a été établi, soit à l’étranger par le consul de France établi dans ce pays [8], la Cour de cassation a expressément proscrit la « surlégalisation » de l’acte. Ainsi, il ne pouvait être demandé aux ressortissants étrangers de faire légaliser par les autorités compétentes locales un acte qui avait déjà été légalisé auparavant. En somme, la Cour de cassation a exclu qu’un acte soit légalisé à l’étranger et en France [9].
Or, l’article 3 du Décret impose, sauf dans des cas très spécifiques, au ressortissant de faire légaliser son acte auprès du consul de son pays résidant en France puis auprès des autorités françaises résidant dans l’Etat dont l’individu est ressortissant.
Cette loi est donc venue réserver la légalisation « aux seuls consulats de France à l’étranger, ceux là même qui rejettent assez systématiquement les actes d’état-civil étrangers et bloquent notamment les rapprochements familiaux » [10]. En effet, le Décret ne confère aux autorités consulaires étrangères en France la possibilité de légaliser un acte que dans deux hypothèses, restreignant significativement leurs pouvoirs de légalisation.
Dès lors, l’Article 16§2 et le Décret ont transformé une opération déjà connue pour ses difficultés d’aboutissement en une mission complètement impossible à réaliser pour des ressortissants étrangers dont la légalisation de leurs actes d’état civil est une nécessité pour s’établir en France.
B. Un différé d’application de la décision injustifié.
Le Conseil constitutionnel a décidé que l’abrogation des alinéas 1 et 3 de l’Article 16§2 sera reportée au 31 décembre 2022. Pour ce faire, il a soutenu que « l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entrainerait des conséquences manifestement excessives ».
Cette position est contestable au vu de l’historique de la mesure de légalisation.
En effet, l’exigence de légalisation des actes publics a été affirmée par une ordonnance royale de la marine d’août 1681 en son article 23, et était le fondement d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle « sauf convention internationale, les copies ou extraits d’actes de l’état civil établis par les autorités étrangères doivent, pour recevoir effet en France, être légalisés » [11].
L’ordonnance royale a cependant été abrogée par « mégarde » par une ordonnance du 21 avril 2006 [12].
Afin de pallier l’absence de fondement juridique écrit, la Cour de cassation s’est appuyée, dans deux arrêts du 4 juin 2009 [13], sur la coutume internationale pour maintenir l’obligation de légalisation.
Dès lors, du 4 juin 2009 jusqu’à la promulgation de la loi du 23 mars 2019, soit près de dix années, la pratique judiciaire a été de se fonder sur la coutume internationale pour considérer que (i) la légalisation des actes était nécessaire et (ii) la légalisation pouvait être effectuée soit par l’authentification de l’acte par devant l’autorité consulaire française du pays d’origine soit devant l’autorité consulaire étrangère en France.
Le caractère excessif d’une abrogation immédiate semble donc fragile, et ce particulièrement au vu des graves conséquences du maintien de la surlégalisation dans notre système juridique.
Il apparaît donc fondé que les Associations aient appelé à l’instauration d’« un véritable régime protecteur des droits fondamentaux des personnes nées à l’étranger, par la mise en place d’une procédure judiciaire, permettant de faire constater ou établir en France leur état civil » [14], et ce particulièrement au vu des flux migratoires actuels générés par les nombreux conflits dans le monde.