La constitution (article 35 et suivant ) et un chapitre entier du Code du travail haïtien ( chapitre 6) sont consacrés au salaire. C’est dire toute son importance comme régulateur de la vie sociale et économique. Pour bien comprendre cette matière fondamentale pour la vie des salariés et le fonctionnement des entreprises il faut ajouter à la constitution et au Code du travail qui la régit, la déclaration universelle des droits de l’homme et de nombreuses conventions et recommandation de l’OIT applicables en Haïti car régulièrement ratifiées comme la n° 100 sur l’égalité de rémunération hommes femmes et les conventions de l’Organisation des états américains ( O.E.A) et de la Communauté économique de la Caraibe ( CARICOM ) trop souvent oubliées. Deux grandes questions juridiques se posent dont les réponses permettront d’éclairer ce droit complexe trop souvent méconnu et donc inappliqué .
I) Définition et composition du salaire
Selon l’article 135 du Code du travail, le terme « salaire » signifie, quels qu’en soient la dénomination et le mode de calcul, la rémunération ou les gains susceptibles d’être évalués en espèces et fixés par accord ou par la loi, qui sont dus par un employeur à un travailleur en vertu d’un contrat de travail écrit ou verbal, soit pour le travail effectué ou devant être effectué, soit pour les services rendus ou devant être rendus. Tout salarié perçoit une rémunération brute qui se compose du salaire de base et de compléments. Le salaire brut comporte, une partie fixe (salaire de base), liée à la fonction, faisant généralement référence au contrat de départ et/ou à une classification du poste et le plus souvent ajustée périodiquement, notamment par indexation et une partie variable : primes liées aux performances, par rapport notamment aux objectifs individuels ou collectifs fixés par l’employeur ou négociés entre les parties. Le salaire brut peut comporter des indemnités, des participations et des avantages en nature. Les avantages en nature sont la fourniture d’aliments, de logement, de vêtements et autres articles destinés à la consommation personnelle immédiate (art 139 CT) . Selon l’article 134 de la loi du 28 août 1967 sur les assurances sociales ( publiée dans le moniteur des 18 , 21 et 28 septembre 1967 ) l’avantage en nature logement ou nourriture est évalué à 25 % du salaire de base et les deux cumulés à 50 % de ce salaire. L’avantages en nature dans le salaire ne peut être que partiel. Le code du travail n’a pas fixé de plafond pour la proportion du salaire en nature par rapport à la rémunération totale . Les parties au contrat peuvent déterminer une clause de cette nature . Cependant, la loi détermine pour certaines professions un pourcentage : pour les apprentis la portion payée en nature ne doit pas dépasser le quart de la rétribution totale ; pour les gens de maison et les gens de mer en fonction des services fournis ; pour les salariés agricoles le paiement du salaire partiellement en nature peut être autorisé mais il ne en aucun cas représenter l’équivalent de plus de la moitié du salaire total et le paiement de ce salaire s’effectuera par quinzaine (article 380 CT) . Au salaire de base il faut ajouter des compléments de salaire qui sont
•Le pourboire ( article 149 à 153 du CT ). C’est est une somme d’argent ou une libéralité versée à un salarié en remerciement d’un service ou de la qualité de celui-ci.
•Le boni ou allocation du treizième mois . Prévu par les articles 154 à 58 du Code du travail, il doit être payé entre le 24 et le 31 décembre par les entreprises employant des salariés appartenant aux secteurs de l’industrie, des services, de l’agriculture et dans les entreprises publiques marchandes. La loi fixe un plancher pour le boni . Il ne doit pas être inférieur au douzième des salaires percus par le salarié au cours de l’année qu’il s’agisse de salaires en espèces ou en nature y compris les heures supplémentaires. Son montant sera fonction du nombre de mois ou de semaines de travail depuis le début de l’année .
•La gratification est un complément de salaire versé par l’employeur pour marquer sa satisfaction pour le travail accompli .
•Les primes sont des avantages accordés par l’employeur pour récompenser un événement, indemniser pour des frais auxquels les salariés sont exposés et encourager les travailleurs à améliorer leur rendement ou les récompenser pour leur fidélité ou leur assiduité. Elles peuvent être individuelles ou prévues par une convention collective.
•Les majorations pour heures supplémentaires. L’article 97 du code du travail permet que les heures supplémentaires puissent être utilisées après autorisation de la direction du travail . L’article 98 du code du travail établit un plafond pour les heures supplémentaires variable selon le type d’entreprises : deux heures par jour sans pouvoir dépasser 320 heures par année pour les établissements commerciaux ; 80 heures par trimestre pour les établissements industriels ne travaillant pas d’une façon continue ; huit heures par semaine pour les établissements industriels dont le fonctionnement continu doit en raison de la nature du travail être assuré par équipes successives ; huit heures par semaine pour les travailleurs assujettis à un régime spécial . Les heures supplémentaires doivent être payées avec une majoration de 50 % du salaire ( article 97 CT ) .
Du salaire brut on passe au salaire net. Le salaire net correspond à la valeur effectivement encaissée par le salarié. Il est inférieur au salaire brut puisque y sont déduites les cotisations sociales obligatoires ou conventionnelles retenues par l’employeur mais versées par lui aux organismes désignés pour les percevoir. En effet, dans la législation haitienne sur la protection sociale , des cotisations salariés calculées et prélevées sur le salaire brut sont destinées à financer divers systèmes de solidarité. Tout employeur est tenu de cotiser à l’Office National d’Assurance pour les retraites (ONA) et à l’Assurance accident, maternité et maladie (OFATMA) . Les employeurs versent eux-mêmes pour les mêmes motifs des cotisations employeurs (ou cotisations patronales) dont le montant et le quantum sont équivalents à ceux des salariés. L’article 25 de la législation sur les assurances sociales stipule que les employeurs qui embauchent de même que ceux qui sont leurs propres employeurs au cas où ils auraient choisi l’assurance volontaire , doivent cotiser pour leurs employés ou pour eux-mêmes. En ce qui concerne les accidents du travail les cotisations payées exclusivement par l’employeur sont de 2% des revenus pour les entreprises commerciales et de service ; 3% pour les entreprises agricoles , exportatrices et maritimes ; et 6% pour les entreprises minières. Pour l’assurance maladie et la maternité les cotisations sont identiques pour les salariés et les employeurs soit 3 % pour chacun sur les salaires bruts versés ( cependant pour les salaires inférieurs à 200 gourdes la cotisation est de 2% pour les salariés et 4 % pour l’employeur ; une cotisation supplémentaire de 2 % à la charge des salariés pour couvrir chacun de ses dépendants c’est à dire la famille de l’assuré ). Les salariés qui perçoivent le salaire minimum sont exonérés de cotisation et ce sont donc les employeurs qui versent les 6 % de cotisation . En ce qui concerne la vieillesse les cotisations des employeurs et des salariés sont identiques et vont pour chacun de 2 % pour les salaires jusqu’à 200 gourdes , de 3 % pour les salaires de 200 à 500 gourdes, de 4 % pour les salaires de 500 à 1000 gourdes et de 6 % au delà de 1000 gourdes .
2 ) Le montant du salaire
La libre négociation des salaires est un principe fondamental du droit du travail haitien que seul le législateur peut limiter. Le salaire est en principe librement négocié par l’employeur et le salarié, sous réserve de respecter, notamment, les dispositions légales et conventionnelles qui constituent l’ordre public social .
● Le principe de la libre détermination des salaires trouve une première limite dans l’obligation de respecter le salaire minimum . Selon les articles 136 et 137 du code du travail les salariés ont droit à un salaire minimum fixé par la loi ou par décret sur rapport motivé du conseil supérieur des salaires . Ce salaire minimum doit être périodiquement ajusté en fonction des variations du coût de la vie ou toutes les fois que l’indice officiel de l’inflation fixé par l’institut haitien de statistiques et d’informatique accuse une augmentation d’au moins dix pour cent sur une période d’une année fiscale . Le conseil supérieur des salaires est un organisme tripartite composé de six membres nommés par le président de la république dont deux représentants des employeurs, deux représentants des travailleurs et deux représentants du ministère des affaires sociales .Il est présidé par le directeur général du travail ou son représentant . Il n’a pas de pouvoir de décision . Il étudie, interprète les données relatives aux salaires dans les entreprises. Ses décisions sont des recommandations qui ne s’imposent pas au ministère des affaires sociales qui est libre de les accepter ou pas . La dernière augmentation du salaire minimum date de 2009 ( loi du 18 août 2009 moniteur du 6 octobre 2009) .Les cotisations sociales sont supportées entièrement par l’employeur (art 51 de la loi sur les assurances sociales ) . Enfin il doit être indexé au coût de la vie (article 137 CT). Le non respect de ces dispositions sont sanctionnées de la nullité du contrat de travail, d’amendes à prononcer par le tribunal du travail saisi par la direction de travail.
● Le principe de la libre détermination des salaires trouve une seconde limite dans l’obligation de respecter les salaires minimas définis en principe par les conventions et accords collectifs. Pour tenir compte de la diversité des branches de l’activité économique et de la faiblesse de la négociation sociale , l’administration établit des salaires minimas par branche . Les propositions de montant de salaires minimas sont faites par le conseil supérieur des salaires . Il s’agit d’un avis qui ne lie pas le ministre des affaires sociales et le président de la république chargé en dernier ressort de prendre la décision ..Le non respect de ces dispositions sont sanctionnées de la même manière que précédemment . Les salaires minimas de branche ont été fixés récemment par un arrêté présidentiel du 16 avril 2014 publiée le 16 avril 2014 dans le journal officiel Le Moniteur. Des dispositions conventionnelles plus favorables doivent être appliquées . Notons qu’un décret du 27 mai 1986 a créé une commission tripartite des salaires qui est chargée de fixer les salaires à payer dans les entreprises agricoles industrielles et commerciales toutes les fois qu’il s’agira de salaires minimas plus élevés que les salaires minimas déjà fixés par l’administration et si ces salaires font l’objet de réclamations à caractère individuel soumises obligatoirement à la médition de la direction du travail .
● L’employeur doit s’assurer que sa politique salariale ne va pas à l’encontre du principe « à travail égal, salaire égal » ( article 311 du CT). Il peut néanmoins individualiser les salaires dans la mesure où il s’appuie sur des critères de différenciation objectifs.
● L’employeur doit aussi s’assurer que sa politique salariale n’est pas discriminatoire. Notamment, il faut qu’il respecte l’égalité de salaires entre hommes et femmes.( article 3 et 330 du CT)
CONCLUSION
Au terme de cette étude trois questions très doivent être évoquées. Tout d’abord la question des caractéristiques de la législation sur les salaires en particulier et du droit social en général. Le droit des salaires est un droit étatique à la fois dans son contenu et dans ses modes de contestation et de réclamation. La négociation avec les syndicats est quasi inexistante. Tout passe par le ministère du travail. Une décentralisation de l’action sociale s’impose pour une meilleure régulation de la vie économique et sociale. Par ailleurs , le droit des salaires est rarement appliqué selon les observations concordantes de beaucoup de juristes, de sociologues et d’économistes . Le droit social haïtien est souvent ineffectif ce qui nuit aussi à son efficacité dans la régulation des relations sociales et dans la protection des travailleurs . Enfin, en règle générale, les salaires sont très faibles et cela explique les difficultés des salariés à mener une vie décente. Dans le cadre d’une grande négociation entre les acteurs sociaux il aurait été judicieux de programmer leur augmentation régulière . Mais, le pourcentage élevé des importations dans les ressources mises à la disposition des haïtiens rend particulièrement délicate une politique d’augmentation des salaires. En effet , les augmentations de salaires favorisent les importations , donc les États unis et Saint Domingue les deux premiers fournisseurs d’Haïti. Des importations supérieures aux exportations engendrent de graves déséquilibres qui réduisent les performances économiques du pays en bloquant son développement . En réalité , pour que la hausse des salaires soit positive pour le pays, il est indispensable que le pouvoir d’achat supplémentaire distribué permette une consommation de biens produits sur place ce qui va induire à terme une baisse des importations. C’est en produisant nettement plus que seront rétablis l’équilibre de la balance commerciale et l’équilibre de la balance des paiements condition d’une distribution de salaires décents .