Le principe découlant du droit européen est clair : l’article L441-10 du Code de commerce dispose que :
« I.-Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues ne peut dépasser trente jours après la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée. Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours après la date d’émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois après la date d’émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier ».
Cette obligation est détaillée et adaptée à certains secteurs spécifiques aux articles L441-11 à L441-13 du même code. Lorsque ces délais ne sont pas respectés, l’administration peut sanctionner la société après un contrôle et après avoir respecté une période contradictoire.
1. La procédure de contrôle.
Les manquements aux délais plafonds de paiement sont recherchés, constatés est sanctionnés sur la base de l’article L470-2 du Code de commerce. Cette disposition prévoit d’abord que la procédure de contrôle se déroule dans les conditions fixées à l’article L450-1 à L450-4, L450-7 et L450-8 du Code de commerce.
Très concrètement, ce sont les agents de la DGCCRF, et des DREETS qui opèrent les contrôles. Ces contrôles peuvent avoir lieu au hasard, ou même sur dénonciation d’un prestataire non payé dans les temps. A cet égard, notons toutefois que les sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes courent un plus grand risque, puisqu’elles doivent communiquer les délais de paiement de leurs fournisseurs et de leurs clients [1].
Le premier contact s’opère le plus souvent par mail, téléphone ou courrier. Toutefois, les agents ne sont pas dans l’obligation de prévenir d’un contrôle sur place. Dans le cadre de leur contrôle, ces agents possèdent de larges pouvoirs. Ils possèdent un important droit d’accès aux locaux de l’entreprise [2], mais utiliseront surtout un droit de communication presque absolu [3]. Ainsi, pourront être sollicités la balance auxiliaire sous format numérique, le grand livre fournisseurs et le grand livre clients, un échantillon de factures papier et leurs preuves de paiement [4] ou encore les liasses fiscales. Les agents peuvent également entendre toute personne susceptible d’apporter des éléments utiles à leurs constatations.
Le plus souvent, ces agents procèdent dans un premier temps à une analyse du grand livre fournisseur, sur la base de laquelle, de manière échantillonnaire, ils calculent ensuite le retard moyen pondéré ainsi que le montant de rétention de trésorerie. Attention, la société contrôlée aura tout intérêt à vérifier que l’échantillon choisit par l’administration est bien représentatif de son activité [5]. Si ce premier examen fait apparaître des délais de paiement non conformes aux prescriptions légales, les agents peuvent ensuite pousser leurs investigations par un contrôle plus large et plus approfondi en sollicitant et en analysant un grand nombre de documents.
A noter : la réticence à fournir les informations et documents demandés par les agents pourra être analysée en délit « d’obstacle à l’exercice des fonctions des agents habilités » sévèrement puni par la législation.
Au terme du contrôle, les agents dressent un procès-verbal [6] qui fait foi jusqu’à preuve du contraire [7], d’où l’importance du dialogue dés la phase de contrôle.
2. La demande de rescrit.
Dans le sillage du « droit à l’erreur », la loi ESSOC a introduit un système de « rescrit » permettant à une société de demander à l’administration de prendre une position formelle sur la légalité de sa pratique. Aux termes des dispositions de l’article L441-15 du Code de commerce :
« I.-Tout professionnel opérant dans un secteur économique mentionné au III peut demander à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de prendre formellement position sur la conformité aux deuxième, troisième et quatrième alinéas du I de l’article L441-10 des modalités de computation des délais de paiement qu’il envisage de mettre en place. Cette prise de position formelle a pour objet de prémunir ce professionnel d’un changement d’appréciation de l’autorité administrative qui serait de nature à l’exposer à la sanction administrative prévue à l’article L441-16 ».
Les deux secteurs concernés sont les suivants :
Le secteur de l’industrie automobile répertorié sous la division 29 de la section C de la nomenclature des activités françaises ;
Le secteur de la construction répertorié sous la section F de la nomenclature des activités françaises.
L’article R441-8 du même code désigne le DREETS comme l’autorité compétente pour cette prise de position formelle. Le contenu de la demande de rescrit, ainsi que la procédure sont fixés par voir réglementaire. C’est un arrêté du 13 mai 2019 qui fixe les modalités de demande de ce rescrit.
L’administration a deux mois à compter de la date de réception de la demande pour prendre position. La réglementation ne précise pas si l’absence de réponse fait naître une décision implicite d’acceptation ou de rejet. En l’absence de précision, il est nécessaire de se rapporter aux dispositions générales de l’article L321-1 du CRPA en vertu desquelles le silence de l’administration sur la demande vaut décision implicite d’acceptation. Les sociétés visées ont donc tout intérêt à solliciter ce rescrit.
Enfin, l’article L441-15 du Code de commerce précise les cas dans lesquels la validité du rescrit prend fin :
Lorsque la situation du professionnel n’est plus identique à celle présentée dans sa demande ;
Lorsqu’une modification de dispositions législatives ou réglementaires de nature à affecter cette validité est entrée en vigueur ;
Lorsque l’autorité administrative notifie au professionnel, après l’avoir préalablement informé, la modification de son appréciation.
En revanche, le dispositif du « droit au contrôle » et son corollaire, le « droit à l’erreur » prévus par les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ne semblent pas pouvoir être appliqués à cette sanction. En effet, le droit à l’erreur n’est pas opposable lorsque les sanctions sont « requises pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne » au sens de l’article L123-1 du CRPA [8].
De plus, ce droit n’est pas non plus opposable « en cas de mauvaise foi ou de fraude », ce qui, à la lecture des travaux préparatoires de la loi ESSOC, semble nécessairement être le cas en matière de retard de paiement [9]. Cela confirme une fois de plus que ce droit n’est finalement qu’un gadget rarement applicable, loin des ambitions initiales et des attentes de certains.
3. La procédure contradictoire.
Conformément au IV de l’article L470-2 du Code de commerce : « Avant toute décision, l’administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu’elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l’invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales ». En réalité, cette disposition rappelle presque mot à mot le caractère nécessairement contradictoire de toute procédure de sanction administrative, prévu à l’article L122-1 du CRPA, à cette différence près que le CRPA exige, en outre, que la lettre de l’administration fasse mention expresse des griefs exprimés contre la personne visée.
Pour sa part, le Conseil d’État estime que :
« le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande » [10].
En pratique, le courrier de notification de procédure contradictoire comporte bien souvent le procès-verbal. Dans le cas contraire, la société contrôlée aura donc tout intérêt à solliciter chaque élément contenu dans le dossier de l’administration (PV, feuille de calcul, formules de calcul …). Faute de recevoir les éléments sollicités, la société pourra faire valoir l’existence d’un vice de procédure entachant la sanction d’illégalité [11].
Durant cette procédure contradictoire, la société aura également tout intérêt à formuler une réponse aussi exhaustive que possible, en fournissant, si tant est que cela soit possible, des explications sur chacune des factures litigieuses. La société pourra par exemple indiquer que certains retards correspondent à des avoirs ou fournir des preuves que les retards sont liés à une prestation contestable, ou à tout autre cause qui l’exonère de sa responsabilité. La société pourra également soutenir que les règlements ne relèvent pas des dispositions de l’article L441-10 du Code de commerce ou de toute autre disposition opposée par l’administration [12].
Les explications doivent évidemment être accompagnées des preuves nécessaires. De même, si cela n’a pas été fait durant le contrôle, la société pourra critiquer la méthode employée par l’administration et, notamment, l’échantillon retenu. Enfin, si les retards sont non contestables, la société pourra utilement informer l’administration du paiement à ses cocontractants, des pénalités de retard dues en vertu du Code de commerce. D’ailleurs, dès le début des opérations de contrôle la société a tout intérêt à effectuer ces diligences.
En revanche, la société ne pourra exciper de l’absence de facturation de la part de son cocontractant, l’article L441-9 du Code de commerce posant le principe d’une co-responsabilité du vendeur et de l’acheteur en matière d’infraction aux règles de facturation [13], sauf à ce qu’elle apporte la preuve qu’elle aurait sollicité en vain l’établissement de ces documents.
En outre, afin de faciliter la compréhension et les échanges, la société pourra solliciter un entretien oral auprès de l’administration. Selon le Conseil d’État les dispositions de l’article L122-1 du CRPA également applicables, « font obligation à l’autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d’audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu’elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n’est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu’elle peut être écartée » [14]. Bien entendu, l’absence de réponse à une telle demande d’entretien oral entache la sanction d’illégalité [15]. De même, l’absence flagrante de prise en compte des éléments envoyés dans la réponse de la société, entache également la sanction d’illégalité [16].
Aux termes de la procédure contradictoire, l’administration notifie sa sanction à la société.
4. Le prononcé de l’amende.
D’abord, notons que l’amende administrative n’est qu’un type de sanctions parmi d’autres à la disposition de l’administration. En effet, selon l’article L470-1 du Code de commerce, la DREETS peut également, selon la méthode de la « répression graduée », prononcer un avertissement ou une injonction de cesser les agissements illicites.
Dans les cas plus sévères, l’article L470-2 du Code de commerce dispose que passé le délai de 60 jours imparti à la société pour présenter ses observations, « l’autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l’amende ».
Comme l’indique le code, qui ne fait que reprendre la prescription de l’article du L211-2 du CRPA, la décision doit être motivée. Selon l’article, L211-5 du même code, cette motivation « doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ». Les juridictions administratives considèrent que la motivation doit permettre à l’administré de comprendre les raisons de la sanction et au juge, d’en contrôler les motifs, ce qui est le cas dés lors que la sanction mentionne par exemple le nombre de retards, le délai moyen de retard, le montant concerné, et l’ampleur de la rétention de trésorerie.
Le montant de l’amende est fixé à l’article L441-16 du même code qui prévoit que :
« Est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et deux millions d’euros pour une personne morale, le fait de : a) Ne pas respecter les délais de paiement prévus au I de l’article L441-10, au II de l’article L441-11, à l’article L441-12 et à l’article L441-13 ; (…) Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 euros pour une personne physique et quatre millions d’euros pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».
Pour ce qui est du montant de l’amende en lui-même, celui-ci a longtemps été déterminé de façon assez floue, laissant ainsi les juridictions administratives libres d’apprécier le critère de la proportionnalité comme elles l’entendaient. Toutefois, les récentes lignes directrices ont apporté les précisions attendues par les professionnels. Le Ministère énonce que : « Le critère principal de détermination de l’amende est le montant de la rétention de trésorerie générée par les manquements. Ce montant se calcule en additionnant les gains en besoin de fonds de roulement (« BFR ») générés par les retards de paiement des factures concernées », selon la méthode suivante :
Gain en BFR = (Montant de la facture x nombre de jours de retard)/(Nombre de jours de la période contrôlée)
Le résultat de ce calcul est ensuite ajusté en tenant notamment compte des paramètres suivants :
La taille de l’entreprise, en fonction de l’importance de son chiffre d’affaires ;
Les circonstances et la gravité des manquements [17] ;
Des éventuelles difficultés financières de la société [18].
L’amende n’excède pas le maximum légal de 2 millions d’euros visé aux articles L441-16 du Code de commerce. Toutefois, en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive, à savoir lorsque toutes les voies de recours ordinaires ont été épuisées, ce maximum légal est de 4 millions d’euros.
Suivant la logique du « name and shame », la DGCCRF peut, en vertu du V de l’article L470-2 du Code de commerce, publier la sanction sur son site internet mais également la faire publier sur d’autres supports (journaux …) aux frais du contrevenant. Toutefois, là encore, L’autorité administrative aura du préalablement informé la personne sanctionnée du principe, des modalités et de la durée de la publication [19]. Cette sanction se trouve elle aussi « nécessairement soumise, et alors même que la loi ne le prévoirait pas expressément, au respect du principe de proportionnalité » [20].
Ensuite, soulignons que la loi a prévu une prescription : le III de l’article L470-2 du Code du commerce prévoit que « L’action de l’administration pour la sanction des manquements mentionnés au I se prescrit par trois années révolues à compter du jour où le manquement a été commis si, dans ce délai, il n’a été fait aucun acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction de ce manquement ». En pratique, dans ses « lignes directrices » en la matière, le Ministère énonce que « Les contrôles des délais de paiement portent, sauf exceptions, sur une période d’un an correspondant au dernier exercice comptable clos ». En tout état de cause, la société objet d’une telle procédure veillera utilement à l’application de cette prescription.
L’existence d’un « bouclier pénal » au VI de l’article L470-2 du Code de commerce n’est plus que théorique dés lors que la violation des délais de paiement a été dépénalisée.
5. Les recours.
Classiquement, une fois la décision notifiée, la société dispose de la possibilité de former un recours administratif dans les conditions prévues aux articles L410-1 à L411-7 du Code des relations entre le public et l’administration.
Plus utilement, la société pourra déposer un recours devant le Tribunal administratif territorialement compétent. Le juge administratif se prononce sur les recours contre les sanctions administratives, et en particulier sur ces amendes administratives, en tant que juge de plein contentieux [21]. Cela lui donne l’occasion de contrôler la proportionnalité de la sanction et éventuellement de la sanctionner en remplaçant sa propre appréciation à celle de l’administration [22].
En revanche, il est vain d’opposer des difficultés d’organisation interne, dès lors qu’il appartient aux entreprises de « prendre des mesures d’organisation interne » leur permettant de « régler ses fournisseurs dans le respect des délais de paiement fixés par l’article L441-6 du Code de commerce » [23]. De même, la Cour administrative d’appel de Paris considère que l’administration n’a pas à caractériser un quelconque élément intentionnel de la part de la société [24].
Le principe du privilège du préalable en droit public implique que la décision est exécutoire dès sa notification. Théoriquement la société devra donc payer l’amende dés la notification du titre exécutoire correspondant.
Toutefois, ce titre de perception pourra lui aussi être contesté par une réclamation préalable et un recours contentieux. Les moyens de compétence et de forme [25] classique pourront être invoqués à son encontre. La société devra également invoquer l’illégalité des titres par voie d’exception de l’illégalité de la sanction.
Plus intéressant, l’article L740-2 du Code de commerce dispose que « L’amende est recouvrée comme en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine ». Or, sur la base des dispositions de l’article 117 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, il est jugé que « les recours administratifs ou contentieux formés à l’encontre des titres de perception destinés à assurer le recouvrement des créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine (…) ont un effet suspensif » [26]. Ainsi, la simple contestation suffit à suspendre le recouvrement de la créance.
Enfin, dans les cas les plus désespérés, les entreprises disposent toujours de la possibilité de solliciter un étalement du paiement de l’amende, auprès de la Direction des créances spéciales du Trésor, qui assure le recouvrement des sanctions prononcées pour manquements aux délais de paiement légaux.