La révocation du Maire : une prérogative exceptionnelle de l’exécutif.

En 2022 et en 2023, des affaires judiciaires impliquant des édiles locaux ont mis en lumière la possibilité pour le président de la République de révoquer, à titre disciplinaire, un maire à l’origine d’actes ou de comportements graves.
Cette procédure est d’autant plus inédite qu’elle n’a été utilisée qu’à très peu d’occasions sous la Vème République.
Il s’agit donc de jurisprudences administratives peu abondantes.

I) Le maire une autorité administrative sous haute surveillance.

Tout d’abord, rappelons certains principes inscrits dans notre Constitution.

Adoptées à partir de 1982 « les lois dite Defferre » [1] puis la révision constitutionnelle de 2003 [2] ont donné de nouvelles libertés aux collectivités locales.

L’Etat français est unitaire et décentralisé [3] : « La République est démocratique sociale et décentralisée ».

Par la suite, la jurisprudence a reconnu comme une liberté fondamentale la libre administration des collectivités territoriales [4].

Ainsi doté de compétence propre en tant qu’autorité exécutive de la commune, le maire est à la fois titulaire des pouvoirs déconcentrés et décentralisés.

En effet, l’article L2122-24 du CGCT confie au maire « l’exercice des pouvoirs de police » tandis que l’article L2212-1 le charge « de la police municipale ».

Il s’agit donc d’un pouvoir propre du premier magistrat municipal qu’il est seul à pouvoir mettre en œuvre.

Ainsi, conformément à l’article 2212-2 du Code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

Il doit donc assurer l’ordre publique au sein de sa commune tout en étant le représentant de l’état dans la commune.

En effet rappelons qu’il est aussi officier d’état civil et officier de police judiciaire [5].

Il jouit donc en apparence d’une grande liberté d’action pour assurer la protection de l’ordre public au sein de sa commune, qu’il doit aussi concilier avec le respect des droits fondamentaux [6].

Néanmoins, il est utile de rappeler qu’en cas d’inaction du maire dans l’utilisation de ses pouvoirs de police, la responsabilité pour faute de l’administration peut être engagée [7] et surtout l’autorité de tutelle peut se substituer au maire.

Enfin, certains actes sont susceptibles d’être contrôlés par le représentant de l’état dans le département, le préfet du département, qui peut s’auto-saisir ou le faire sur demande des administrés (déféré préfectoral classique ou sur demande).

C’est le contrôle de légalité a posteriori des actes administratifs.

Ses actes sont donc sous la surveillance étroite du représentant de l’état dans le département [8].

A titre d’exemple, le conseil d’Etat a pu censurer des maires ayant pris des arrêtés municipaux réglementant les cultures d’OGM dans sa commune [9] ou s’opposant à l’implantation d’antennes relais de téléphonie mobile au nom du principe de précaution [10].

De même, rappelons que les budgets des communes sont régulièrement contrôler par les préfets [11] en liaison avec la chambre régionale des comptes afin vérifier la sincérité des comptes et pour signaler tout dépassement de l’équilibre budgétaire communal imposé par les textes [12].

C’est ce qu’on appelle le contrôle budgétaire.

A ce sujet, l’article article 110 de la Loi du 7 août 2015 relative à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE) a confié à la Cour des comptes, en liaison avec les chambres régionales des comptes, la responsabilité de piloter une expérimentation des dispositifs destinés à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes des collectivités locales, et d’établir les conditions préalables et nécessaires à la certification de ces comptes.

En cas de non-respect des règles budgétaires, le préfet a un pouvoir de substitution.

II) La révocation, une sanction ultime prise par le chef de l’Etat.

En premier lieu, deux possibilités de sanctions s’offres à l’exécutif :

  • la suspension qui est une mesure conservatoire prononcée par un arrêté ministériel, motivé pour un temps qui n’excède pas un mois ;
  • la révocation proprement dite est prononcée par décret motivé en conseil des ministres.

A ce titre, précisons que notre Constitution du 4 octobre 1958 fait du chef de l’Etat le garant des institutions et du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et donc le gardien du respect de la légalité républicaine [13].

« Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat.
Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités
 ».

En outre, en vertu de l’article 9 de la Constitution, c’est le chef de l’Etat qui préside le conseil des ministres.

Dans ce cadre et en vertu de l’article 13 à la Constitution :

Le président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres (……)

Ainsi, s’est effectivement le président de la République qui doit signer le décret délibérés en conseil des ministres de révocation d’un maire comme l’énonce l’article L2122-16 du CGCT :

« Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres.

Le recours contentieux exercé contre l’arrêté de suspension ou le décret de révocation est dispensé du ministère d’avocat.

La révocation emporte de plein droit l’inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d’adjoint pendant une durée d’un an à compter du décret de révocation à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux ».

C’est une certaine solennité qui préside à l’édiction de cette sanction puisqu’on peut considérer qu’il est le seul et l’unique auteur de ce décret selon la philosophie de la jurisprudence Meyet [14] ce décret ne pourra être modifié que par texte de même valeur c’est-à-dire un texte délibéré en conseil de ministre.

Ce qui démontre, une nouvelle fois, selon certains auteurs, la suprématie du président de la République par rapport au premier ministre et que pour reprendre les mots du professeur M. Duverger nous sommes dans un système de « Monarchie Républicaine ».

Pour autant, dans le cadre de notre Etat de droit, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas pour autant arbitraire.

En effet, cette sanction est prise en vertu de la Loi et l’édile locale peut en Principe générale du droit de la défense (PGD) consacré par la jurisprudence administrative [15] présenter ses observations et contester cette décision devant la haute juridiction administrative.

En effet, compte tenu de la gravité de la sanction, et de ces conséquences c’est-à-dire l’inéligibilité de plein droit du maire pendant une période d’un an à compter du décret de révocation, les droits de la défense doivent être respectés.

C’est la raison pour laquelle, certains auteurs parlent volontiers d’un pouvoir disciplinaire par homologie avec la procédure suivie dans la fonction publique.

Tout ceci en lieu et place d’un pouvoir de tutelle proprement-dit.

L’administration doit donc respecter le principe du contradictoire durant cette procédure.

Le Conseil Constitutionnel a d’ailleurs consacré ce principe au regard de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme [16].

Quels sont ces droits ? C’est d’abord le respect du formalisme (rappel de l’adage la procédure est sœur des libertés) : c’est le respect du principe du contradictoire durant toute l’instruction ainsi que la motivation de la sanction de celle-ci.

Ce qui signifie concrètement que le maire :

  • Le droit d’être informé des griefs portés contre lui (sous forme de courrier de la préfecture).
  • Une instruction avec audition avec établissement d’un PV d’audition
  • Laisser un délai raisonnable pour la production de ses observations par écrit par l’intermédiaire d’un conseil ou non.

A l’issue de cette instruction la décision doit être motivée [17].

Cette législation a d’ailleurs donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité [18] posant la problématique de la conformité à la constitution de l’article L2122-16 du CGCT avec le principe de la libre administration des collectivité territoriale [19].

Cet article a finalement été jugé conforme à la Constitution.

En matière contentieuse, conformément à l’article D2122-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) impose de juger les recours dirigés contre les mesures de suspension et de révocation de maires comme une affaire urgente et sans frais :

« le recours contentieux, visé à l’article L2122-16, exercé contre les arrêtés de suspension et les décrets de révocation des maires et adjoints est jugé comme une affaire urgente et sans frais ».

A ce titre, le juge administratif de l’excès de pouvoir exerce désormais un contrôle normal sur les motifs du décret présidentiel [20].

Partant du fondement de cette législation, nous devons maintenant nous recentrer sur l’application concrète par les tribunaux administratif de ce pouvoir de révocation.

Ces dernières années, les juridictions administratives nous ont offerts des exemples variés de comportements d’édiles locaux ayant abouti à leurs révocations.

En matière d’examen sur le fond, le juge administratif exerce un contrôle normal non seulement sur la matérialité des faits mais aussi entre la proportionnalité entre la sanction et les faits du décret présidentiel de révocation d’un maire [21] et ce contrairement à un arrêt fort ancien [22].

Dans un premier cas d’espèce, un maire a été révoqué à la suite de graves manquements dans la gestion comptable de sa commune, pour ne pas avoir durant plusieurs années respecter principe d’équilibre budgétaire de et ne pas avoir suivi les recommandations de la chambre régionale des comptes [23].

Dans une affaire concernant la révocation d’un maire coupable de faux et usage de faux en écritures publiques, tout en rappelant l’indépendance de la procédure disciplinaire par rapport à la procédure pénale, le conseil n’a pas censuré le décret de révocation :

« (…) qu’eu égard à la nature et à la gravité des faits en cause, le décret attaqué n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’article L2122-16 du Code général des collectivités territoriales en prononçant la révocation de M. A (…) » [24].

Dans une autre affaire, le Conseil d’état examinait une procédure de référé suspension engagée par un maire contre le décret de radiation [25].

En l’espèce, le Ministère public avait engagé plusieurs procédures pénales contre lui (prise illégale d’intérêts, complicité de faux en écritures, détournements de fonds publics) ainsi qu’une saisine du procureur de la république par la chambre régionale des comptes pour dysfonctionnement dans la gestion financière de la commune
Après avoir rappelé, une nouvelle fois, l’indépendance de la procédure disciplinaire et pénale, le conseil a rejeté ce recours.

Enfin, pour parachever notre propos, il conviendra d’évoquer cette ancienne affaire concernant la révocation d’un maire condamné pour atteinte à la pudeur sur mineur de moins de 15 ans aux motifs que ce : « Qui lui étaient reprochés le privait de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonction » [26].

Formule utilisée jadis dans un ancien arrêt l’attitude d’un maire est « de nature à rendre impossible le maintien de l’intéressé à la tête de l’administration communal » [27].

Néanmoins, rappelons que ces jurisprudences spécifiques ne sont pas toujours défavorables aux édiles locaux.

Dans ce contentieux de l’excès de pouvoir, le juge administratif reste fort heureusement le gardien de la légalité s’opposant à l’arbitraire de l’administration.

Ainsi, dans un arrêt ancien, le Conseil d’Etat avait annulé un décret en considérant que les griefs reprochés par la Préfecture au maire n’étaient pas fondés [28].

Marc Lecacheux, Avocat.
Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Acte I de la décentralisation.

[2Loi constitutionnelle n°2003-276 du 26 mars 2003.

[3Article 3 de la Constitution.

[4Titre XII article 72 modifié par la réforme de 2003, CE 18 janvier 2001 n°229247 Cne de Venelles.

[5L2122-31, L2122-32 du CGCT.

[6EX-CE 19 mai 1933 Benjamin ou plus récemment CE 26 octobre 2011 association pour la promotion de l’image N°317827.

[7CE 10 févr. 1905, Tommaso Greco.

[8EX : L2122-27 CGCT.

[9CE 31 mars 2004 n°254637.

[10CE 2 juillet 2008 n°310548.

[11Article 72 de la Constitution.

[12L1612-1 à L1612-20 CGCT.

[13Titre II article 5.

[14CE Ass 10 décembre 1992 Meyet.

[15CE 5 mai 1944 dame TP.

[16Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006.

[17Loi du 8 juillet 1908, CE 29 novembre 1985, Secrétaire d’Etat chargé des DOM-TOM c/ Charron, Lebon p. 519.

[18QPC 2011-2010 du 13 janvier 2012, article 61-1 de la constitution.

[19Article 72-3 de la constitution.

[20CE 2 mars 2010 N°328843.

[21CE 2 mars 2010 N°328843.

[22CE ass 27 février 1981.

[23CE 2 mars 2010 précité.

[24CE 26 février 2014 MRA N°372015.

[25CE référé 3 /09/2019 n°434072.

[26CE 12 juin 1987 n°78114.

[27CE 14 janvier 1916, Camino.

[28CE 12 mars 1969 n°74081.

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