Contrôle URSSAF : quelques réflexions sur les majorations figurant sur la mise en demeure.

Par Nicolas Taquet et François Taquet, Avocats.

2167 lectures 1re Parution: 3.78  /5

Ce que vous allez lire ici :

Le système de majorations de retard en matière de cotisations sociales est complexe et souvent mal compris. Les cotisants se heurtent à un manque de précision dans les mises en demeure, rendant difficile leur gestion. De plus, ces majorations peuvent être perçues comme des sanctions, entraînant des obligations spécifiques pour l'URSSAF.
Description rédigée par l'IA du Village

L’issue d’un contrôle URSSAF (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales) est bien souvent le redressement, auquel s’ajoutent également des majorations de toutes sortes. L’analyse de ces majorations est pour le moins complexe, à tel point que peu d’auteur se sont hasardés à procéder à une telle étude. Quant au calcul de ces mêmes majorations, il peut paraître insurmontable pour le commun des mortels (à qui il est pourtant destiné).

-

1. Premier constat : le calcul des majorations est infiniment complexe à appréhender.

Rappelons que l’article R243-16 du Code de la Sécurité sociale prévoit le système suivant :

  • il est appliqué une majoration de retard de 5% du montant des cotisations et contributions qui n’ont pas été versées aux dates limites d’exigibilité ; cette majoration n’est pas toutefois applicable en cas de contrôle (sauf en cas d’absence de mise en conformité, de travail dissimulé, d’abus de droit ou d’obstacle à contrôle) ou si le montant global du supplément de cotisations et contributions établi à l’issue du contrôle est au moins égal à la valeur annuelle du plafond de la Sécurité sociale en vigueur à la date de sa notification [1].
  • à cette majoration s’ajoute une majoration complémentaire de 0,2% du montant des cotisations et contributions dues, par mois ou fraction de mois écoulé, à compter de la date d’exigibilité des cotisations et contributions. Ce taux est réduit à 0,1% en cas de paiement dans les trente jours suivant l’émission de la mise en demeure. Cette réduction ne s’applique toutefois pas en cas d’absence de mise en conformité, de travail dissimulé, d’abus de droit ou d’obstacle à contrôle [2] ; qui plus est, rappelons que la majoration de retard complémentaire n’est pas due pour la période comprise entre la date de la fin de la période contradictoire et celle de l’envoi de la mise en demeure, dès lors que cet envoi est réalisé plus de 2 mois après la fin de la période contradictoire [3].

C’est la mise en demeure (et non la lettre d’observations) qui doit comporter le montant de ces majorations de retard [4].

En cas de travail dissimulé, le montant de la majoration (dite majoration de redressement) varie en fonction de différents critères : de manière générale, le montant du redressement est majoré de 25% de 40% lorsque le travail dissimulé concerne un mineur de 16 ans ou plusieurs personnes ou une personne vulnérable ou dépendante [5]. En cas de nouvelle constatation de travail dissimulé dans les 5 ans suivant un redressement pour travail dissimulé, la majoration est portée à 45% lorsque la majoration de redressement prononcée lors de la constatation de la première infraction était de 25% et de 60% lorsque la majoration de redressement prononcée lors de la constatation de la première infraction était de 40% ; enfin, cette majoration peut être réduite de 10 points si, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la mise en demeure, l’employeur procède au règlement intégral des cotisations, pénalités et majorations de retard ou si, dans le même délai, il a présenté un plan d’échelonnement du paiement accepté par le directeur de l’URSSAF (cette réduction n’est toutefois pas applicable lorsque l’employeur a déjà fait l’objet d’un redressement pour travail dissimulé dans les 5 ans).

Le montant des majorations applicables doit figurer sur le document constatant le travail dissimulé ainsi que sur la lettre d’observations [6].

Le mois que l’on puisse dire, c’est que ce système est d’une rare complexité et nul ne sera surpris que cotisants et professionnels soient perdus à l’heure du calcul de ces majorations. Cette difficulté devrait logiquement amener les pouvoirs publics à faire preuve d’une grande précision vis-à-vis du cotisant. Or, ce n’est malheureusement pas le cas.

2. Deuxième constat : le montant des majorations de retard figurant sur les mises en demeure n’est pas précis pour le cotisant.

Rappelons, s’il en était besoin que le contenu de la mise en demeure doit être « précis et motivé » [7]. Or, peut-on affirmer que le montant des majorations de retard est « précis », dès lors que n’apparait pas sur le document la distinction entre les majorations de retard initiales et complémentaires ?

Cette affirmation est loin d’être théorique lorsque l’on sait que le système de remise est différent dans ces deux situations.

En effet, suivant l’article R243-20 du Code de la Sécurité sociale, et s’agissant des majorations de retard initiales, la demande du cotisant en remise totale ou partielle des majorations n’est recevable qu’après règlement de la totalité des cotisations (ou en cas de proposition d’un plan d’apurement à l’organisme de recouvrement).

En ce qui concerne maintenant la majoration complémentaire, elle ne peut faire l’objet d’une remise qu’à titre exceptionnel, en cas d’événements présentant un caractère irrésistible et extérieur.

On sait en outre que le directeur de l’organisme est compétent pour statuer sur les demandes portant sur des montants inférieurs à un seuil fixé par arrêté. A partir de ce seuil, il est statué sur proposition du directeur par la commission de recours amiable.

Certes, dans les deux hypothèses de demande de remise, le formalisme est identique. Mais, les causes de remise sont différentes suivant la majoration concernée.

Mais, si aucun détail ne figure dans la mise en demeure comment le cotisant (à qui il appartient d’expliciter sa demande) sera-t-il à même de savoir quel montant correspond à chacune de ces majorations et quelle motivation il se doit de mettre en avant ? N’est-il pas paradoxal que l’on ne donne pas au cotisant tous les moyens pour gérer efficacement sa démarche ?

Qui plus est, on relèvera que cette connaissance précise du montant des majorations de retard doit intervenir « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » [8]. En outre, la référence à la lettre d’observations sur la mise en demeure ne serait ici d’aucun secours puisque le calcul des majorations de retard n’apparait pas dans ce dernier document.

Pratiquement et faute de détail et de transparence, le cotisant redressé n’aura d’autre choix que d’envoyer un courrier général au directeur de l’organisme, à charge pour ce dernier d’affecter les sommes aux majorations correspondantes et de se prononcer sur une éventuelle remise...

Toutefois, cette solution n’est guère satisfaisante en droit. Et à une heure où maintes mises en demeure sont remises en cause pour absence de précision, n’y a-t-il pas ici un argument de défense permettant au cotisant (au milieu d’une législation confuse) d’obtenir la nullité de la mise en demeure ?

3. Troisième constat : les majorations peuvent (dans certains cas) être considérées comme des sanctions.

Commençons par le plus simple : les majorations de cotisations de 25%, 40% ou 60% notifiées par l’URSSAF à la suite de la constatation d’une situation de travail dissimulé présentent incontestablement le caractère d’une punition [9].

Cette observation est loin d’être neutre lorsque l’on sait que les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA) sont applicables (sauf exceptions) aux organismes de Sécurité sociale, via l’article L100-3.

Ainsi, suivant l’article L122-1 du CRPA, « les décisions mentionnées à l’article L211-2 (c’est-à-dire, les décisions qui « infligent une sanction ») n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix.
L’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique
 ». Ce qui veut dire qu’avant que n’intervienne la « décision » de l’URSSAF [10], le cotisant doit être informé de la possibilité de demander et d’obtenir [11] un entretien au cours duquel il pourra oralement faire valoir ses observations. Et suivant la jurisprudence administrative, dès lors que la présentation d’observations orales constitue une garantie, le non-respect de cette garantie rend la décision irrégulière [12].

On sait également que dans le cadre d’une sanction, la personne concernée doit pouvoir avoir accès à son dossier. Ainsi et notamment en matière d’amendes administratives prononcées par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), établissement public sous tutelle du ministère de l’Intérieur, le Conseil d’état, dans un arrêt du 29 juin 2016, avait décidé que

« s’agissant des mesures à caractère de sanction, le respect du principe général des droits de la défense suppose que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et puisse avoir accès aux pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus, à tout le moins lorsqu’elle en fait la demande » [13].

Ledit Conseil d’état est même allé plus loin, puisqu’il a exigé ensuite que

« la personne en cause soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus » [14]. En clair, et dans le cas où le prononcé d’une sanction est envisagé, non seulement l’autorité administrative devrait permettre à la personne concernée d’avoir accès à son dossier mais encore mentionner expressément ce droit.

Or, on rappellera que cet accès au dossier dans le cadre du contrôle URSSAF n’est guère facilité par la jurisprudence [15]. Qui plus est, et au visa de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a admis dans deux arrêts de principe qu’il appartenait au juge d’apprécier « l’adéquation d’une sanction à caractère punitif prononcée par un organisme de Sécurité sociale à la gravité de l’infraction commise » [16].

Ainsi, il est clair qu’au milieu d’une procédure de travail dissimulé qui amoindrit bien souvent les garanties des cotisants, le « label » de sanction oblige l’URSSAF à respecter des droits spécifiques pour les personnes poursuivies. Reste enfin à savoir si ces garanties, prévues en matière de travail dissimulé, trouvent également application dans le cadre d’un contrôle de cotisations. Et sur ce point, la réponse est plus incertaine.

Pour certains, il conviendrait de distinguer les majorations de retard initiales qui représenteraient une « sanction financière » [17] et les majorations de retard complémentaires qui correspondraient au loyer de l’argent [18]. Pour K. Meiffret-Delsanto le fait de considérer les majorations de retard initiales comme une « sanction financière » pourrait davantage être défendu depuis la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi Essoc » n° 2018-727 du 10 août 2018 et le décret n° 2019 -1050 du 11 octobre 2019 qui font dépendre la remise des majorations de retard de l’attitude et du comportement du cotisant. Ainsi, dès lors que le cotisant de bonne foi corrige ses manquements de manière spontanée ou sur demande de l’organisme, il sera déchargé du paiement des majorations. On ne saurait affirmer mieux que ces majorations constituent une sanction. En sens inverse aucune remise de la majoration de 5% ne peut avoir lieu en cas de constat d’absence de mise en conformité vis-à-vis des observations notifiées lors d’un précédent contrôle, travail dissimulé, actions ou omissions ayant pour objet de faire obstacle ou de se soustraire aux opérations de contrôle [19].

En résumé, il convient d’accorder de l’importance tant aux majorations de retard qu’aux majorations de redressement. Les prochaines décisions de la jurisprudence sont attendues avec impatience.

Nicolas Taquet
Avocat au Barreau de Pau
https://www.taquet-avocats.fr/
taquetnicolas chez gmail.com

François Taquet
Avocat au Barreau de Cambrai
https://www.taquet-avocats.fr/
francois-taquet chez orange.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

9 votes

Notes de l'article:

[1CSS art R243-17 al 1, 2 et 3.

[2CSS art R243-17 al 4.

[3CSS art R243-17 al 5.

[4CSS art R244-1.

[5CSS, art. L243-7-7.

[6CSS art L133-1 - R243-59 III.

[7CSS art L244-2 - loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015, art 19.

[8Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682.

[9Cons const, décision n°2021-937 QPC du 7 octobre 2021 : « l’article L243-7-7 du Code de la Sécurité sociale prévoit que le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement est majoré de 25% en cas de constat de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou d’emploi salarié. Ce taux est porté à 40% si l’infraction est commise envers des personnes mineures ou vulnérables ou en bande organisée. Cette majoration revêt le caractère d’une punition ».

[10La mise en demeure soit être considérée comme une « décision de recouvrement » : Cass civ.2°. 14 février 2019. pourvoi n° 17-27759 - Nîmes. 5° chambre Pôle social. 15 juin 2023. RG n° 21/01055 - Paris. Pôle 6 - Chambre 12. 26 avril 2024. RG n° 21/08513 - Paris. Pôle 6 - Chambre 13. 24 mai 2024. RG n° 20/03931.

[11Sauf restriction prévue par l’article L211-2.

[12V. par exemple : CAA Nantes, 5 octobre 2016, n° 14NT02723 ; CAA Marseille, 10 juillet 2021, n° 19MA01640.

[13CE, EURL DLM Sécurité, 29 juin 2016, N° 398398, B.

[14CE, 30 décembre 2021, N° 437653, B.

[15V. ainsi la jurisprudence relative au rapport de contrôle mentionné à l’article R243-59 IV al 1 du Code de la Sécurité sociale, suivant laquelle l’absence de transmission du procès-verbal à l’employeur n’a pas d’incidence sur la régularité des opérations de contrôle puisque ce document a une simple vocation d’information de l’autorité hiérarchique : V. Cass soc. 31 octobre 2000 pourvoi n° 99-13322, Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 8 janvier 2020, RG n° 18/10042, 29 janvier 2021, RG n° 18/19028 - Angers, Chambre sociale, 30 juin 2020, RG n°17/00655 17/00542, 25 novembre 2021, RG n° 19/00371 19/00373.

[16Cass civ. 2°. 8 avril 2010 pourvois n° 09-11232 et 08-20906.

[17V. Rapport d’information Sénat. n° 405 (2017-2018).

[18V. Circ. Acoss 2007-107 du 27 juillet 2007.

[19De quelques réflexions contemporaines autour des sanctions prononcées par l’URSSAF. RJS 11/22.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 000 membres, 27404 articles, 127 190 messages sur les forums, 2 480 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Exclusif] Notre interview de la Justice.

• Parution du Guide 2025 des études privées en Droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs