De l’utilité d’un avenant en matière de télétravail.

Par Alain Hervieu, Avocat.

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Explorer : # télétravail # avenant # code du travail # crise sanitaire

Pour passer au télétravail, faut il ou non établir un avenant au contrat de travail ?

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Le télétravail est une modalité d’exécution du travail possible pour certains emplois, qui est apparue et s’est développée parallèlement aux nouvelles technologies et aux moyens modernes de communication. Pourtant son domaine d’application est pendant longtemps resté marginal pour des raisons très diverses. La crise sanitaire que nous connaissons depuis deux mois, avec le confinement et ses conséquences, a amené une explosion du télétravail, seule forme de travail, lorsqu’elle est possible, préservant totalement la santé et la sécurité des salariés.

Le gouvernement sans le rendre obligatoire l’a fortement encouragé et cet encouragement ne prendra pas fin avec le déconfinement puisque le premier ministre vient de le recommander pour au moins les trois ou quatre semaines suivant celui-ci.

En dehors des entreprises qui le pratiquaient déjà, l’instauration du télétravail s’est faite dans l’urgence, avec le plus souvent un minimum de formalités, sans qu’il soit besoin conformément à l’article L 1222-11 du Code du Travail de l’accord du salarié, en raison des circonstances exceptionnelles résultant de la pandémie du COVID 19.

Mais, d’abord, en principe, le télétravail est fondé selon l’article L 1222-9 du Code du travail, sur le volontariat, et ce principe doit redevenir applicable dès la fin des circonstances exceptionnelles qui le motivent actuellement.

Sans doute, un certain nombre de salariés s’accommoderont ils de cette situation, et l’employeur aura peut-être du mal quelquefois à les faire revenir dans l’entreprise, même si en l’état, il en a le droit, en vertu de son pouvoir de direction.

Néanmoins, il peut être opportun de s’assurer de l’accord des intéressés, et surtout, de réglementer cette situation de télétravail, et cela devrait même devenir une nécessité si la situation de télétravail perdure.

En effet, la réglementation des rapports instaurés par le télétravail, est en l’état très incomplète.

Le Code du travail dans les articles L 1222-9 à 1222-11 résultant de la loi du 22 MARS 2012, se borne après l’avoir défini, à organiser les modalités de sa mise en place, à rappeler certains droits des télétravailleurs, notamment l’égalité avec les autres salariés et à dé-terminer trois obligations spécifiques de l’employeur.

A côté des dispositions légales, le télétravail est également réglementé par un accord national interprofessionnel du 19 JUILLET 2005, étendu par arrêté du 30 MAI 2006, et donc obligatoire pour la grande majorité des entreprises, entrant dans le champ d’activité des organisations patronales signataires, le MEDEF, la CGPME et l’UPA.

Mais cet ANI s’il est beaucoup plus complet que le Code du Travail n’a pour objet essentiel que de déterminer les obligations que le télétravail fait peser sur l’employeur.

Il prévoit ainsi l’obligation de fournir au salarié des informations écrites sur les conditions d’exécution du travail y compris le télétravail, sur le rattachement hiérarchique du salarié, les modalités d’exécution de la charge de travail, les modalités de compte rendu et de liai-son avec l’entreprise ainsi que celles relatives aux équipements, à leurs règles d’utilisation, à leurs coûts et aux assurances... , la fourniture des équipements nécessaires au télétravail et l’obligation d’en assurer l’adaptation et l’entretien….
Pour autant, cet accord est incomplet, en ce que notamment, il ne mentionne aucune obligation à charge du salarié, alors qu’il y en a pourtant.

En ce qui concerne la mise en place du télétravail, l‘article L 1222-9 al 2 prévoit que le télétravail est mis en œuvre dans le cadre d’un accord collectif ou à défaut d’une charte, élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique s’il existe, et l’alinéa 7 précise les points que ces documents doivent aborder.

Si un accord collectif existe, il peut autoriser la mise en oeuvre éventuellement directe du télétravail, avec l’accord du salarié auquel il est opposable, sous réserve que l’intéressé ait été informé lors de son embauche, des dispositions de l’accord et ait pu en prendre con-naissance.

Legifrance recense 201 conventions ou accords de branche traitant du télétravail et plus de 2000 accords d’entreprise. Parmi ceux-ci, certains sont spécifiquement consacrés au télé-travail comme l’accord AXA du 29 Janvier 2020 [1] particulièrement complet, mais nécessitant cependant comme il le prévoit des aménagement à chaque cas particulier.

D’ ailleurs, cet accord comme l’ANI du 19 JUILLET 2005 prévoient lors du passage au télé-travail, l’établissement d’un avenant au contrat de travail. [2]

Mais si les grandes entreprises peuvent être dotées de tels accords, cela est beaucoup moins évident pour les moyennes et petites entreprises dans lesquelles le nombre de télé-travailleurs peut être restreint et ne pas justifier la négociation d’un accord collectif.

A défaut d’accord collectif, l’article L 1222-9 prévoit la possibilité de mettre en place le télé-travail par l’intermédiaire d’une charte élaborée par l’employeur dans le cadre de son pou-voir de direction.

Mais, les chartes ou codes de bonne conduite qui se sont développées ces dernières an-nées pour déterminer les engagements et obligations respectifs de l’employeur et des salariés [3] ont un régime juridique variable selon leur contenu et incertain et il est souvent recommandé de reprendre certaines de leurs dispositions dans le contrat de travail, pour en assurer le caractère obligatoire.

Enfin, à défaut d’accord et de charte, l’article L 1222-9 prévoit pour le recours occasionnel au télétravail, que le salarié et l’employeur « formalisent leur accord par tout moyen ».

Cette formulation qui semble autoriser un accord purement verbal, malgré que l’ANI du 19 Juillet 2005 exige un avenant écrit, est dangereuse dans la mesure où en l’absence d’écrit qui marque l’accord des parties et détermine les obligations respectives de chacun, la preuve de celles-ci, risque en cas de litige d’être difficile à faire.

Il est donc souhaitable, quelles que soient les circonstances de toujours accompagner le passage au télétravail, de l’établissement d’un avenant au contrat de travail.

Cet avenant devra d’abord, reprendre les points mentionnés par les articles L 1222-10 et 11, c’est-à-dire :
- les conditions du passage au télétravail, et de sa réversibilité. [4]
- les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail. [5]
- les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.
- la détermination des plages horaires pendant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.
- L’informer de toutes restrictions à l’usage des équipements informatiques, et des sanctions en cas de non-respect de telles restrictions.

En outre, il devra également respecter les exigences de l’ANI de 2005, et informer le télé-travailleur de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité, en particulier en matière de télétravail.

L’ANI permettant des dérogations sur ce point, il devra préciser qui assume la charge de l’entretien du matériel et des équipements ainsi que des coûts engendrés par le télétravail, notamment ceux liés aux communications.

Enfin, l’article 9 de l’accord précisant de façon évidente, que le télétravailleur gère l’organisation de son temps de travail, dans le cadre de la législation, des conventions collectives et règles d’entreprise applicables, l’avenant devra rappeler les horaires de travail éventuellement variables, avec l’obligation de respecter les durées maxima de travail, quotidiennes et hebdomadaires, les pauses, l’amplitude maximum de la journée de travail, les repos quotidiens et hebdomadaires et les modalités du droit à la déconnexion.

Cette liste non exhaustive de points à aborder dans l’avenant de passage au télétravail, montre que l’établissement de celui -ci n’est pas superflu, mais constitue au contraire à une garantie indispensable pour l’entreprise.

Alain HERVIEU
Avocat
spécialiste en Droit du travail
Cabinet AHF. AVOCATS
email : alain.hervieu chez ahf-avocats.fr
site internet : https//www.ahf-avocats.fr/

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Notes de l'article:

[1Publié sur Legifrance le 28 AVRIL 2020.

[2Dans sa version résultant de la loi du 22 MARS 2012, l’article L 1222-9 al 1 prévoyait que la mise en œuvre du télétravail se faisait « dans le cadre d’un contrat ou d’un avenant à celui-ci ». Cette disposition a été abrogée par l’ordonnance du 22 SEPTEMBRE 2017.

[3Circulaire DGT N° ?2008-22 du 19/11/2008 relative aux chartes éthiques, dispositifs d’alerte professionnelle et au règlement intérieur.

[4Cette faculté de réversibilité ne joue évidemment que pour les salariés ordinaires, qui passent au télétravail. Elle ne s’applique pas aux salariés engagés en télétravail, qui ne bénéficient que d’une priorité pour retrouver un poste en entreprise.

[5Cette mention exigée par les documents qui organisent de façon collective le télétravail, n’a au contraire pas d’intérêt dans un avenant qui constate l’accord du salarié.

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