Malgré ces avancées, nombreuses sont encore les femmes victimes de violences qui renoncent à porter plainte ou à entamer les démarches judiciaires en vue d’obtenir une protection, notamment du fait de l’accueil parfois reçu dans les commissariats et des difficultés rencontrées pour déposer plainte, récemment dénoncés par le collectif « Double Peine ».
Ces constats posent ainsi la question des dispositifs juridiques qui existent à ce jour pour protéger les femmes victimes de violences et de la manière dont ils peuvent être mis en œuvre.
La notion de violences faites aux femmes.
Les violences faites aux femmes recouvrent de multiples réalités : sexistes, physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, elles peuvent également prendre la forme de cyberviolences [1].
Juridiquement, la plupart de ces violences sont réprimées par le Code pénal (viol, agression sexuelle, violences physiques ou psychologiques, meurtre [2], harcèlement sexuel ou moral, partage sans consentement d’images à caractère sexuel...). Les peines varient selon la gravité de l’acte, la qualité de l’auteur ou encore l’âge de la victime.
Plusieurs voies de droit sont ouvertes aux femmes victimes de violences. Sans prétendre à l’exhaustivité, les principaux dispositifs juridiques sont présentés ci-après.
La voie pénale : le dépôt de plainte et ses suites.
La plainte.
Toute personne victime d’une infraction peut porter plainte, à sa discrétion, dans un commissariat ou par écrit auprès du procureur de la République.
Les officiers de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes [3]. Ainsi, contrairement à certaines pratiques, ils ne peuvent refuser de prendre une plainte ni enjoindre à la victime de déposer une main courante en lieu et place.
Les officiers de police ne peuvent pas non plus interdire à l’avocat d’accompagner la victime lors du dépôt de plainte. En effet, si le Code de procédure pénale prévoit seulement que la victime peut, à tous les stades de l’enquête, « être accompagnée par son représentant légal ou la personne majeure de son choix » [4], cette disposition doit être interprétée comme lui permettant d’être assistée, à tous les stades de la procédure y compris lors du dépôt de plainte, de son avocat [5].
Si les faits nécessitent la réalisation d’un examen médical, l’officier de police judiciaire pourra le requérir et adressera à cette fin la victime aux urgences médico-judiciaires.
La plainte conduira en général à l’ouverture d’une enquête préliminaire. Différents actes pourront être diligentés, tels que l’audition ou le placement en garde à vue du suspect ou encore la confrontation entre le suspect et la victime (qui a, dans ce cadre, le droit d’être assistée d’un avocat [6]).
A l’issue de l’enquête, il reviendra au procureur de la République d’apprécier les suites à donner à la plainte. Il pourra :
classer sans suite la procédure, notamment s’il estime que les preuves sont insuffisantes ou que l’action publique est prescrite ;
engager des poursuites, en saisissant un juge d’instruction pour l’ouverture d’une information judiciaire ou en renvoyant l’affaire devant le tribunal correctionnel ; ou
mettre en œuvre une procédure d’alternative aux poursuites : étant précisé que, depuis la loi du 30 juillet 2020, le recours à la médiation pénale est expressément exclu en cas de violences au sein du couple [7].
Il devra, dans tous les cas, en aviser la victime [8].
Les voies ouvertes en cas de classement sans suite de la plainte.
Si le procureur a fait connaître à la victime qu’il n’engagera pas de poursuites, ou si un délai de trois mois s’est écoulé depuis le dépôt de plainte, la victime peut porter plainte avec constitution de partie civile. Cet acte entraînera l’ouverture d’une information judiciaire, à l’issue de laquelle un juge d’instruction pourra (i) rendre une ordonnance de non-lieu mettant fin aux poursuites, notamment s’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen, ou (ii) ordonner le renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel ou la mise en accusation devant la cour d’assises.
Par ailleurs, la victime peut mettre en mouvement l’action publique, par le biais d’une citation directe devant le tribunal correctionnel ou de police. Toutefois, la victime devra rapporter elle-même la preuve de la culpabilité de l’auteur, qui devra être identifié.
Dans ces deux cas, la victime devra, en principe, verser une consignation.
Les mesures de protection dans l’attente d’un jugement.
En cas de dépôt de plainte, avant tout jugement, la victime de violences peut bénéficier de certaines mesures de protection, parmi lesquelles :
La possibilité de déclarer comme domicile l’adresse d’un tiers avec l’accord de celui-ci ;
La possibilité d’être soutenue par une association d’aide aux victimes ;
Le droit d’être informée sur les mesures de protection dont elle peut bénéficier, notamment l’ordonnance de protection (cf. infra) ;
L’octroi d’un téléphone grave danger, selon certaines conditions (cf. infra) ;
Le placement sous contrôle judiciaire de l’auteur, assorti de certaines mesures telles que l’interdiction d’approcher la victime ou de paraître dans certains lieux et, dans le cadre de violences conjugales, l’obligation de résider hors du domicile conjugal, de faire l’objet d’une prise en charge sociale ou psychologique, ou encore la pose d’un bracelet anti-rapprochement (cf. infra).
La voie civile : l’ordonnance de protection.
Lorsque les violences exercées par un conjoint ou ancien conjoint mettent en danger la personne qui en est victime ou les enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection [9].
L’ordonnance de protection n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable [10].
Le juge la délivre dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d’audience, s’il estime
« qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés » [11].
Le juge saisi peut également prononcer les mesures suivantes :
Interdire au défendeur d’entrer en relation avec certaines personnes et de se rendre dans certains lieux ;
Proposer au défendeur une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes (le juge devant aviser immédiatement le procureur de la République si le défendeur refuse) ;
Statuer sur la résidence séparée des conjoints, la jouissance du logement étant en principe attribuée à la victime des violences (même si elle bénéficie d’un hébergement d’urgence), les frais pouvant être à la charge de l’auteur ;
Se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et du droit de visite et d’hébergement, ainsi que, le cas échéant, sur la contribution aux charges du mariage pour les couples mariés, sur l’aide matérielle pour les partenaires d’un PACS et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
Autoriser la partie demanderesse à dissimuler sa résidence.
Depuis la loi du 30 juillet 2020, le juge aux affaires familiales qui a prononcé l’interdiction d’entrer en contact avec la victime peut, après avoir recueilli le consentement des deux parties, ordonner le port d’un bracelet anti-rapprochement. En cas de refus du défendeur, le juge en avise immédiatement le procureur de la République [12].
Les mesures susmentionnées sont prises pour une durée maximale de six mois, pouvant être prolongées si une demande en divorce a été déposée ou si le juge a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale. Le juge peut, à tout moment, à la demande du ministère public ou d’une partie, supprimer ou modifier tout ou partie des mesures énoncées dans l’ordonnance de protection [13].
Le non-respect des mesures prononcées par l’ordonnance de protection constitue un délit puni de deux ans d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende [14].
Zoom sur le téléphone grave danger et le bracelet anti-rapprochement.
Le téléphone grave danger.
Les victimes de violences de la part de leur conjoint (actuel ou ancien), ainsi que les victimes de viol, peuvent se voir attribuer un téléphone grave danger par le procureur de la République [15].
Le dispositif ne peut être attribué qu’en l’absence de cohabitation entre la victime et l’auteur de violences, et seulement :
si l’auteur a fait l’objet d’une interdiction d’entrer en contact avec la victime (dans le cadre d’une ordonnance de protection, d’une alternative aux poursuites, d’une composition pénale, d’un contrôle judiciaire, d’une assignation à résidence, d’une condamnation, d’un aménagement de peine ou d’une mesure de sûreté) ; ou
en cas de danger avéré et imminent, lorsque l’auteur est en fuite ou que l’interdiction d’entrer en contact n’a pas encore été prononcée.
La victime peut solliciter l’attribution du téléphone par tout moyen. Il lui est accordé, si elle y consent, pour une durée de six mois renouvelable. Il lui permet, en cas de danger, d’alerter de façon prioritaire les forces de l’ordre par le biais d’une plateforme de téléassistance.
Le bracelet anti-rapprochement.
Mis en place par la loi du 28 décembre 2019, le bracelet anti-rapprochement permet de géolocaliser un auteur (réel ou présumé) de violences conjugales pour l’empêcher de se rapprocher de la victime, à qui est attribué un dispositif de téléprotection.
La mesure est ordonnée pour une durée qui ne peut excéder six mois et peut être renouvelée sous certaines conditions, sans pouvoir dépasser deux ans. La distance d’alerte ne peut être inférieure à 1 kilomètre ni supérieure à 10 kilomètres.
La mise en œuvre du dispositif doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne en cause et ne pas entraver son insertion sociale.
Dans le cadre d’une procédure pénale, la mesure peut être prise, avant jugement, à l’encontre d’une personne placée sous contrôle judiciaire, si l’infraction est punie d’au moins trois ans d’emprisonnement et a été commise à l’encontre d’un conjoint ou ancien conjoint. Le juge compétent peut, à la demande ou avec le consentement de la victime, interdire à la personne placée sous contrôle judiciaire de se rapprocher de la victime et astreindre cette personne au port d’un bracelet anti-rapprochement [16].
La mesure peut également être prise à l’issue de la procédure pénale, par la juridiction de jugement ou le juge de l’application des peines, dans le cadre notamment d’un sursis probatoire, d’une semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’une détention à domicile sous surveillance électronique, d’une suspension de peine, d’un suivi socio-judiciaire ou d’une libération conditionnelle.
La pose du bracelet ne peut être effectuée sans le consentement de la personne en cause, mais le fait de la refuser peut donner lieu, selon le cas, à la révocation de son contrôle judiciaire, de son sursis probatoire ou de sa mesure d’aménagement de peine.
La mesure peut, enfin, être décidée par le juge aux affaires familiales saisi d’une demande d’ordonnance de protection, mais elle nécessite l’accord des deux parties (cf. supra).
En conclusion, si les évolutions législatives récentes tendent à élargir la protection juridique des femmes victimes de violences, il reste désormais à espérer que ces mesures seront, en pratique, effectivement déployées et mises en œuvre par les différents acteurs de la justice.