La violence conjugale est un processus évolutif au cours duquel un partenaire le plus souvent un homme exerce dans le cadre d’une relation privilégiée, une emprise qui s’exprime par des agressions physiques, psychiques ou sexuelles sur l’autre partenaire.
Les violences peuvent être d’ordre physiques, sexuelles psychologiques et peuvent même constituer en des privations ou contraintes (vols, destruction de propriété, enfermement, séquestrations…).
La violence conjugale se distingue du conflit de couple tant par ses moyens que par ses effets.
Dans une situation de violence, le partenaire cherche à avoir le pouvoir sur l’autre, l’objet de la dispute est un moyen choisi, c’est un prétexte générant peur et honte.
La violence est un processus ritualisé, les stratégies sont cycliques et récurrentes, ce qui n’est pas le cas pour le conflit de couple.
Le conflit de couple porte sur un sujet de discorde non planifié. Les deux partenaires se sentent libres de s’exprimer. Il n’y a pas de peur qui paralyse [1].
Au titre de la lutte contre les violences faites aux femmes la France a ratifié la « convention d’Istanbul », Premier instrument juridiquement contraignant au niveau européen.
En signant cette convention et en adoptant une définition commune des violences conjugales [2].
La France tout comme les autres états signataires a donc l’obligation positive d’assurer la protection de ses ressortissants en la matière.
C’est par ailleurs en ce sens que s’inscrivent certains arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Dans une jurisprudence abondante la Cour rappelle notamment dans l’arrêt Talpis contre Italie du 02 mars 2017 que les autorités italiennes n’ayant pas agit rapidement suite au dépôt de plainte d’une personne en situation de violences conjugales avait privé celle-ci de toute efficacité créant un contexte d’impunité favorable à la répétition des actes de violences ayant conduit à la tentative de meurtre de la requérante et au décès de son fils. En l’espèce la Cour considérait que l’Etat avait failli à son obligation de protection à l’égard de ces personnes, et que la façon dont les autorités avaient mené les poursuites pénales participait d’une passivité judiciaire. Il s’agissait d’une mère de famille victime de violences conjugales, échappant à une tentative de meurtre.
La Cour a également pu rappeler l’importance de la lutte contre les violences faites aux femmes dans son arrêt Volodina contre Russie rendu le 09 juillet 2019. Elle considère en l’espèce que le droit russe ne reconnaît pas la violence conjugale et ne permet pas de prononcer d’ordonnances d’éloignement ou de protection s’agissant d’une requérante qui se plaignait du manque d’assistance de la part des autorités russes pour des actes répétés de violences conjugales.
La France consciente du caractère prioritaire de la lutte contre les violences conjugales a développé son arsenal juridique afin d’enrichir la réponse judiciaire donnée aux victimes et condamner fermement les auteurs.
C’est au travers de la loi du 09 juillet 2010 que l’ordonnance de protection fut mise en place.
Véritable instrument juridique à la portée du juge aux affaires familiales, l’ordonnance de protection a suscité un vif intérêt.
Alors qu’elle propose une définition extensive du couple elle étend par la-même les compétences du juge.
Définie aux articles 515-9 à 515-13 du Code civil, elle permet aux personnes victimes de violences en couple (mariage, pacs ou concubinage) ou connaissant ces violences avec un ex, de saisir le juge aux affaires familiales si besoin assistée ou avec l’accord de celles-ci par le ministère public pour obtenir en urgence une ordonnance de protection.
Dans les meilleurs délais le juge aux affaires familiales au vu des éléments produits estimant comme vraisemblables la commission des faits allégués et le danger auquel la victime est exposée délivrera une ordonnance de protection. Cette ordonnance de protection qui viendra offrir un cadre sécurisant à la victime [3] sera valable pour une durée de 6 mois renouvelable, lui laissant le temps d’entamer une procédure civile (ex : divorce) ou pénal.
L’ordonnance de protection permet-elle de lutter efficacement contre les violences conjugales ?
Appréhendée comme un dispositif procédural autonome (1) elle apparaît néanmoins comme un moyen de protection insuffisant sur bien des aspects (2)
1- L’ordonnance de protection : un dispositif procédural autonome.
La procédure offre un gage de simplicité. Régie par les articles 1136-3 à 1136-13 du Code de procédure civil, elle permet à toute victime de saisir le juge par voie de requête, ou par assignation en la forme des référés. L’avocat n’est pas obligatoire, mais sa présence est préférable pour accompagner utilement ces victimes en situation de vulnérabilité. La procédure est orale et l’ordonnance est susceptible d’appel dans un délai de 15 jours suivant sa notification.
Cette procédure d’urgence innovante permet au juge une prise en compte globale de la victime (A) étendant ainsi son champ de compétence (B).
A- La prise en compte inédite des violences psychologiques.
Selon l’article 515-9 du Code civil « lorsque les violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. »
S’entend comme toutes violences exercées au sein du couple, non seulement les violences physiques mais aussi psychologiques. Instituées par la loi du 9 juillet 2010 et consacrées au sein du Code pénal aux articles 222-14-3 (pour le délit de violences psychologiques) et 222-33-2 (pour le délit de harcèlement moral au sein du couple).
La violence psychologique se définit selon la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 février 1892 comme des violences qui sont réalisées dès lors que sans atteindre directement et matériellement une victime, l’agression provoque sur elle une émotion aussi forte que des coups et blessures.
Dans un arrêt rendu le 2 juin 2015 cette même cour précise que « la violence morale suppose un acte volontaire provoquant une sérieuse émotion impliquant un choc ou un trouble psychologique ».
Ainsi, le fait de menacer une personne avec un revolver (cass.crim 7 août 1934) ou d’appeler entre autre régulièrement son ancienne amie à toutes les heures du jour et de la nuit, le listing des appels relevant près de 300 appels en moins de deux mois (Pau 14 avril 2004) sont des situations constitutives du délit de violences psychologiques.
La jurisprudence en la matière est abondante, seulement aucun article codifié ne donne de définition précise sur ce type de violence. Par ailleurs la violence psychologique pose une réelle difficulté en matière probatoire.
Il est quasiment impossible pour une victime de prouver qu’elle subit des violences de telle nature. Ces situations de violences qui se déroulent non seulement dans la sphère de couple et qui relèvent alors de l’intime ont lieu en l’absence de témoins, et ne laissent aucune trace visible.
L’absence de témoignages ou de preuves suffisantes peut ainsi décourager une victime à engager des démarches.
Le certificat médical qui apparaît souvent comme l’unique élément de preuve est difficile à obtenir. Nombreux sont les médecins réticents à en établir un alors même qu’ils doivent restés objectifs et circonstanciés dans l’établissement dudit document.
Il revient en effet à la victime qui souhaite saisir le juge d’une demande d’ordonnance de protection de constituer un dossier solide qu’il appréciera in concreto afin de faire droit à sa demande s’il estime comme vraisemblables les faits qui lui sont allégués (B)
B- l’élargissement incontestable des missions du juge aux affaires familiales.
Selon l’article 515-11 du Code civil, le juge doit apprécier les preuves apportées par la victime et apprécier la vraisemblance de la commission des faits de violences allégués.
La première chambre civile de la cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 octobre 2016 réaffirme ce principe, venant confirmer que « l’appréciation vraisemblable de la commission des faits de violence et du danger auquel la victime est exposée relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. »
Le juge civil devient un juge hybride et voit ses compétences élargies en se fondant notamment sur des éléments de preuve répondant aux règles du code de procédure civile mais en appréciant de surcroît la vraisemblance des faits allégués, en ce que la victime doive emporter sa conviction alors même que cela relève du champ de compétence du juge pénal.
En effet, selon l’article 427 du Code de procédure pénale « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ».
Cette appréciation extensive du juge civil permet l’allègement de la charge de la preuve pour la victime qui se trouvant dans une situation de danger imminent peut obtenir des difficultés à constituer un dossier dans l’urgence, mais peut porter atteinte à la présomption d’innocence du présumé coupable en ce que le juge apprécie des vraisemblances.
Le débat a été soulevé par une question prioritaire de constitutionnalité posé à la cour de cassation, il était question de savoir si l’article 515-11 du Code civil était conforme aux droits et libertés garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la constitution du 4 octobre 1958 concernant le principe de la présomption d’innocence en ce qu’il conditionne la délivrance d’une ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales appréciant comme vraisemblables la commission des faits allégués et le danger auquel la victime et plusieurs enfants sont exposés. Le 8 juin 2016 ayant rejeté la demande d’ordonnance de protection, la cour de cassation n’a pas transmis cette question prioritaire de constitutionnalité car l’instance qui n’était plus en cours rendait cette question sans objet.
L’ordonnance de protection qui apparaît comme la solution par excellence de lutte contre ce fléau n’est en réalité que très peu souvent prononcée malgré les nombreuses sollicitations des victimes et de leurs avocats.
Il n’est pas rare pour certains parquets de ne pas faire de la lutte contre les violences conjugales leur priorité.
2- l’ordonnance de protection : un dispositif procédural décevant.
La banalisation des répercussions que peuvent engendrer les violences conjugales sur les enfants victimes et sous-estimée par de nombreux juges (A), Le maintien du lien parent enfant dans une situation de violence conjugale extrême peut conduire à la mort de la victime quand bien même celle-ci serait en possession d’un téléphone d’un grave danger, appréhendé comme le moyen de protection le plus complet (B).
A- La banalisation du lien violences conjugales / autorité parentale.
Le rapport de la mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles et sur l’évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux , éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance de mai 2018 [4] établit « un lien très fort entre la violence conjugale et les violences commises sur les enfants ».
Il est indéniable que les violences conjugales portent préjudice aux enfants. C’est la raison pour laquelle le juge dans le cadre de l’ordonnance de protection peut se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale (article 515-11 du Code civil), en tenant compte « des pressions ou violences à caractère physique ou psychologique exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre » (article 373-2-11 du Code civil).
Selon Edouard Durand juge pour enfant au Tribunal de Grande Instance de Bobigny « protéger la mère c’est protéger l’enfant », ainsi il revient au juge dans l’appréciation de ce contentieux et des enjeux que cela représente tant pour la sécurité de la victime que pour celle de ses enfants de proposer que les modalités d’exercice de l’autorité parentale aient lieu dans des espaces de rencontres ou dans le cadre de visites médiatisée. Cette possibilité prévue par l’article 373-2-9 du Code civil est peu utilisée par les juges appréhendant des situations de violence conjugales comme des conflits de couple.
Le fait de favoriser et systématiser la co-parentalité est dangereux. Maintenir l’autorité parentale c’est offrir un élément supplémentaire à l’auteur de garder l’emprise sur l’autre.
Il faut garder à l’esprit qu’un mari violent avec sa femme peut l’être avec ses enfants et réfléchir à exclure au moins de manière provisoire l’auteur du quotidien du ou des enfants.
De toute évidence les violences psychologiques notamment sont très peu caractérisées comme telles. Les décisions de justices sont décevantes et ne permettent pas l’obtention d’une ordonnance de protection ni même de poursuites devant le tribunal correctionnel. En ce sens l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 15 décembre 2016 au sujet d’une mère de famille qui subissait des violences physiques et psychologiques de la part de son conjoint. Alors même que les faits de violences avaient été reconnu par son conjoint, et deux dépôts de plainte la cour n’ pas établi que « les violences exercées par le mari à l’encontre de son épouse la mettait en situation de danger » pour justifier son refus de délivrer une ordonnance de protection.
L’autorité parentale quant à elle n’est jamais retirée à un auteur de violences ou à de très rares exceptions alors même que les textes le prévoient (article 378 du Code civil).
Le manque de formation des professionnels du droit sur le sujet empêche de jouir des bénéfices apportés par l’arsenal législatif.
Arsenal législatif pourtant complété avec l’article 36 de la loi du 4 août 2014 relatif à la mise en place de téléphones grave danger au sein des différents tribunaux du territoire national. (B)
B- L’alternative carencée du Téléphone Grave Danger.
Le Téléphone Grave Danger a pour but d’empêcher le passage à l’acte et de sécuriser les femmes et les enfants en situation de danger de mort.
Ce dispositif s’adresse aux situations les plus graves.
Difficile d’accès, il permet à une victime sous 3 conditions cumulatives (absence de cohabitation avec l’auteur des faits, une mesure d’interdiction d’entrer en contact avec l’auteur, et son accord expresse) de bénéficier d’un téléphone.
Equipé d’un bouton d’alerte à son dos, le téléphone permet, lorsque celui-ci est activé de dépêcher les forces de police à l’endroit où elle se trouve.
Les tribunaux équipés généralement de 3 téléphones en moyenne par ressort doivent prioriser les situations de violence les plus extrêmes.
Sa délivrance est soumise en amont à l’évaluation de la situation de la personne par une association spécialisée ou un bureau d’aide aux victimes.
La personne alors en possession d’un téléphone devra appeler a minima une fois par mois une plateforme de téléassistance pour s’assurer d’une part que le téléphone soit en bon état de marche et d’autre part qu’elle soit encore vivante.
Ce téléphone qui est délivré pour une durée de 6 mois engage la bénéficiaire à faire l’objet d’un accompagnement avec l’une des associations spécialisée agréee.
Le but de cette démarche est de conduire la victime à se sentir assez forte et en totale sécurité pour se dessaisir de ce dispositif, soit parce que Monsieur a été incarcéré ou qu’elle ait pu trouver les appuis nécessaires pour entamer un nouveau départ.
L’accès à ce dispositif reste néanmoins sélectif et peu utilisé en réalité. De nombreux téléphones ne sont pas attribués. Les raisons sont édifiantes et tiennent au fait que peu de victimes dénoncent les violences subies ou lorsqu’elles le font leurs plaintes ne sont pas prises ou lorsqu’elles le sont n’aboutissent pas.
De nombreuses situations passent entre les mailles du filet et ne sont pas connues des services de justice.
Ce qui rend cette lutte contre les violences conjugales illusoire et impossible à éradiquer.