De la notification en procédures de presse.

Par David Boccara, Avocat.

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Explorer : # notification # procédure civile # liberté de la presse # délits de presse

DIFFAMATION - PROCÉDURE CIVILE – ACTION DE PRESSE – LOI DU 29 JUILLET 1881 - NOTIFICATION D’ACTES – MINISTÈRE PUBLIC – FORMALITÉS – SANCTIONS - NULLITÉ :

La question lancinante des notifications au ministère public et « prévenus » des citations en matière de presse continue toujours de se poser et la procédure électronique, désormais en vigueur ou ouverte auprès des juridictions ne fait que relancer le débat sur les moyens de satisfaire à cette exigence formelle.

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On le sait, l’article 53 2ème alinéa in fine de la loi du 29 juillet 1881 dite « Sur la liberté de la presse », selon sa désignation consacrée en forme de véritable fourre-tout hétéroclite, prescrit à la partie privée initiatrice de l’action de notifier la citation tant au prévenu qu’au ministère public ; et ce à peine de nullité de la poursuite.

Mais cette terminologie résolument empruntée à la procédure pénale circonscrit-elle son domaine d’application uniquement aux actions entreprises devant le juge pénal ?

Non ! Depuis l’arrêt Descaves, que nous avions commenté à la Gazette (v° « Bis Repetita (Non) Placent », note sous cour de cassation, 2ème Chambre civile, 19 Février 1997, présidence de M. Zakine, affaire : P. Descaves C./ Labarre [Cassation de CA. Amiens, 25 Fév. 1994 - 1° Ch. Civ.] Gazette du Palais, 1997 4° trim.) la portée de cette loi s’étend même aux actions intentées devant les juridictions civiles ; ce qui dans le détail rigoureux devant prévaloir est minutieusement exposé au Juris-Classeur Procédure civile, « Presse - Contentieux de la presse devant les juridictions civiles : dérogations impératives au code de procédure civile - spécificité de l’action civile pour les délits de presse  », Fasc. n° 997 dont nous sommes l’auteur.

Cela étant, trêve d’auto-sanctification dédiée à votre serviteur très humble, voyons comme il ne l’avait jamais été fait auparavant ce qu’implique la formalité, prescrite à peine de nullité, exigeant que la citation soit notifiée.

— Si l’acte introductif de l’instance pénale, qu’est la citation directe est indéniablement une citation qu’en est-il exactement de l’assignation au civil ?

C’est incontestablement une citation lato sensu puisque le défendeur à l’action civile y est cité . Ce qui prévaudrait alors même que le code de procédure civile ne traiterait pas de ce mot ; ce qu’il fait néanmoins aux articles 406 et 407.

Cependant, là le débat est sans conséquence pour notre objet puisqu’il ne fait nul doute que le défendeur se voit toujours notifier, à sa personne ou à domicile, l’acte par exploit extra-judiciaire de l’huissier de justice instrumentant.

Autrement dit, dans ces conditions, la notification par huissier de justice est plus exactement une « signification », selon les distinctions dont traite exhaustivement le code de procédure civile.

À l’inverse, le distinguo entre signification et notification au ministère public revêt un relief significatif dans les deux cas suivant : lorsqu’il s’agit d’une procédure devant une juridiction pénale, d’une part, et quand il faut ester devant une juridiction civile, d’autre part…

Cette dissociation recoupe précisément deux interrogations : comment « notifier » in concreto et quoi notifier exactement ?

Ce qu’il faut notifier est, nous dit le texte, la citation, certes !

Mais si la citation qui est « notifiée » à l’adversaire — qu’il soit prévenu ou simple défendeur au civil — ne peut être logiquement que l’acte qui lui est destiné avant qu’il puisse lui avoir été délivré, est-ce que la citation à notifier au ministère public peut-être le même acte avant remise ou plutôt proprement la notification de celui-ci – en l’occurrence une copie authentique réalisée par l’huissier de justice - qui est destiné à saisir le tribunal ?

La nuance est importante : Ici, vous avez la notification d’une véritable copie du second original, comportant les mentions ajoutées par l’officier ministériel précisant les conditions de sa remise. Tandis que là, vous n’avez que la copie similaire du projet d’assignation sans les feuillets précisant les conditions dans lesquelles l’acte inaugural d’instance aura saisi son destinataire partie privée.

Dans le détail, il s’agit soit d’une notification au parquet qui précède — ou soit concomitante à celle destinée à la partie défenderesse — soit d’une notification de la véritable signification à cette dernière.

En vérité, la question reste toujours entière. Et fort heureusement, la pratique processuelle n’est pas trop exigeante à cet endroit. En fait, il suffit seulement de pouvoir établir que le parquet s’est vu notifier l’assignation ; ce dont il est attesté par une mention confirmant que c’est le procureur de la république ou l’un de ses substituts qui a reçu l’acte. Attention : une secrétaire ou une greffière ne serait pas habilitée pour ce faire. Il faut impérativement que ce soit un magistrat du ministère public.

Or, en matière pénale, l’avocat de la partie-civile ne la représentant stricto sensu pas, il ne peut jamais notifier. Il faudra alors signifier obligatoirement par huissier de justice la citation directe au ministère public ; que ce soit avant ou après sa délivrance au prévenu. In concreto, c’est indifférent car vous tiendrez votre date du parquet qui chaperonne l’audiencement.

Par contre, en matière civile, c’est là l’importance primordiale, l’assignation emporte constitution de l’avocat du demandeur dans les procédures avec représentation obligatoire. Donc ce n’est théoriquement qu’après la signification proprement par huissier de justice de l’acte introductif d’instance, devant la juridiction de fond du tribunal de grande instance, que l’avocat « poursuivant » qui postule peut en vertu de son pouvoir de représentation, notifier lui-même directement par acte du Palais au ministère public une copie, qu’il dresse et authentifie par là même lui-même, du second original.

Dès lors, l’avocat du demandeur ne pourra lui seul notifier — sans l’entremise d’un huissier de justice — au parquet qu’après signification de l’acte habilitant instituant sa faculté de représentation à l’instance, c-à-d. après délivrance de l’assignation. Mais normalement pas avant, sauf à considérer que le pouvoir de représentation investit l’avocat dans ce ministère dès l’instant où le demandeur l’a chargé de le représenter ; ce indépendamment de toute autre forme...

Cette précaution est capitale. À défaut d’attendre que l’huissier de justice ait délivré son acte — à personne, à domicile ou selon les articles 656-659 du C. pr. civ. – la notification risque de ne pas être valable. Du moins dans l’absolu car cette formalité ne fait que manifester la représentation, prévue à l’article 652 du même code, alors que l’office de représenter découle directement du mandat que le postulant tient de son client.

Pour peu que cette chronologie soit à peu près suivie, que la notification par le postulant ne soit pas prématurée, il ne faut pas non plus omettre de recourir aux huissiers audienciers. Cela vaut, à tout le moins, lorsque l’avocat n’aura pas recueilli la signature lisible d’un représentant du ministère public sur le double de sa remise au parquet qui le contesterait ou encore s’il n’a pas pu faire fonctionner correctement son interface au RPVA que l’on sait facétieuse. Désormais, la procédure électronique permet de saisir ainsi matériellement le procureur de la république où à Paris il existe, pour l’heure, quatre entrées pour tenter le sort…

Autrement, en cas de procédure de référé ou d’instance intentée devant le tribunal d’instance, faute de postuler véritablement, la signification par huissier de justice selon les formes classiques constitue un absolu incontournable.

En effet, depuis maintenant longtemps, près de vingt ans !, la procédure spéciale prévue par la loi du 29 juillet 1881 emporte un régime dérogatoire qu’il convient nécessairement de respecter scrupuleusement en toute circonstance, au risque d’encourir la nullité de l’ensemble de la procédure, y compris en référé.

— En appel, comme pour le cours normal de l’instance pendante devant la juridiction de premier ressort, ce n’est plus tant de notifier au parquet qu’il s’agit que de surveiller la phase initiale d’introduction du contentieux devant la cour quant aux notifications à partie.

L’hypothèse à entrevoir est le cas d’expiration d’un délai excédant trois mois révolus, à compter du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite car l’action est prescrite, selon l’article 65 de la loi précitée.

Or par le truchement du jeu des articles 478 et 528-1, alinéa 1er, du code de procédure civile, la procédure peut encourir pernicieusement la caducité et perdre irrémédiablement le demandeur à la faveur d’un retournement de situation que celui-ci n’aurait pas suspecté sans jamais pouvoir reprendre la main.

Dans ces circonstances, un demandeur ayant gagné en premier ressort pourrait alors très bien ne plus pouvoir rien faire consécutivement et perdre son instance.

Ainsi s’ouvre au diffamateur ayant succombé la possibilité de sortir indemne de toutes les fins de la procédure pour peu que le convoitant - assidument ou pas – il prenne soin de faire appel après les trois mois révolus du prononcé du jugement mais dans la période semestrielle ou biennale, selon qu’il aura comparu ou pas devant le tribunal.

Symétriquement, le demandeur qui n’aurait pas prospéré en première instance et qui attendrait au-delà de trois mois pour saisir la cour se verrait définitivement compromis quels que soient les mérites soutenant son recours.

D’où l’on apprendra qu’en action de presse il incombe toujours de notifier les jugements pour fermer dans cette optique le flanc à l’adversaire.

N’en déplaise à quelques chantres auto-promus de la discipline qui se reconnaîtront puisqu’ils prêchent par entrisme, sans pouvoir jamais convaincre, l’acculturation de la procédure de presse, ces spécificités garantissent la liberté d’expression.

Ce particularisme procédural favorise l’exercice de ce droit fondamental en restreignant les poursuites ou, a minima, en impliquant que l’auteur de celles-ci s’en donne la peine.

Ce régime juridique restrictif, que nous avions pu dire « formulaire » au sens pleinement romaniste du terme, permet donc de pouvoir encore exprimer ce que l’on souhaite jusqu’à tant que celui qui s’en offusque puisse passer le crible du critérium procédural pour défier l’auteur sur le sens de ses propos.

Les détracteurs du régime spécifique de la loi sur la presse ne le comprennent pas. Trop baignés et attendris dans les facilitations de la société consumériste ils ne cernent pas cet objectif primal.

Or c’est résolument ainsi que la dispute doit être organisée afin de permettre à l’auteur de dire ce qu’il pense pour ne répondre que des atteintes qualifiées qu’il peut commettre tout en lui garantissant que sa pensée ne sera pas entravée à trop bon compte en favorisant une déformation que réalise toujours le public ne serait-ce que pour se l’approprier, la comprendre et la discuter.

David BOCCARA
Docteur d’État en droit
Avocat à la Cour de Paris
DDBLAW

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