Résidence alternée. Par Jacqueline Phélip

Résidence alternée.

Par Jacqueline Phélip

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Explorer : # résidence alternée # aliénation parentale # partage des tâches parentales # santé mentale infantile

Nouvelle proposition de loi Mallié, Decool, Delatte

Trois députés UMP, R. Mallié, JP. Decool, R. Delatte, sont revenus à la charge avec une nouvelle proposition de loi, mouture de la précédente et de la proposition de loi R. Delatte voulant sanctionner « l’aliénation parentale » par une importante amende et la prison ferme. Cette nouvelle proposition de loi, cosignée par 83 députés, UMP eux aussi, veut faire de la résidence alternée le mode de garde à imposer « par défaut » si un « parent », il faut comprendre un père bien sûr, l’exige.

L’exposé des motifs relève d’une manipulation, agrémenté de contre vérités.

En voici une analyse critique :

-

I- Le « syndrome d’aliénation parentale » :

Alors que le psychiatre Paul Bensussan qui est aussi expert près des tribunaux, affirmait dans un article paru dans les Annales Médico-Psychologiques (2009) intitulé : « L’aliénation parentale, vers la fin du déni ? » que :

« la validité du concept est démontrée et que les recommandations sur la conduite à tenir sur le plan psychologique comme sur le plan judiciaire sont validées ».

Cette affirmation vient d’être catégoriquement démentie.

En effet, une Lettre ouverte rédigée il y a trois semaines par le président de l’American Psychological Association et le président de la Society for Humanistic Psychology, (en coopération avec diverses sociétés scientifiques), fut adressée aux responsables du DSM (Diagnostic and Statistical Manual) et signée par plus de 5000 professionnels de la santé mentale. Les auteurs et cosignataires de cette Lettre contestent l’inclusion dans le futur DSM, de différents syndromes, dont le « syndrome d’aliénation parentale », précisant

« qu’ils n’ont pratiquement pas de fondement dans la littérature empirique".

Ce 4 novembre 2011, les responsables de l’American Psychiatric Association répondaient 1 à leur tour :

"Nous tenons à clarifier plusieurs questions spécifiques que vous soulevez. Plusieurs troubles qui ont été mentionnés, tels que le Syndrome d’aliénation parentale, et proposés par des groupes extérieurs, mais n’ont pas été proposés par la Task Force pour leur inclusion ».

Par ailleurs, R . Mallié évite avec soin et un zeste d’hypocrisie, d’utiliser les termes « père » ou « mère » pour désigner celui des parents qui exige la résidence alternée et celui qui s’y oppose.
Il affirme

« qu’il n’est pas question de généraliser la résidence alternée, mais qu’il est nécessaire de traiter avec une plus grande égalité les demandes des deux conjoints et ce, même si l’un des deux s’oppose à la résidence en alternance."

Autrement dit pour R. Mallié, si un père n’en veut pas on ne lui impose pas, mais s’il l’exige on l’impose !

II- Participation des pères aux tâches de soins

R. Mallié déclare que les pères aujourd’hui assument 40 % des tâches de soins et d’éducation auprès des enfants.
Or cette affirmation est contredite par toutes les études sociologiques (INED, DREES, Rapport Tabarot etc).
Dans la revue « Politiques sociales et familiales, » de mars 2011, C. Brugeilles et P. Sebille concluent d’une étude sur l’évolution du partage des activités parentales entre 2005 et 2009, que :

« l’étude de la répartition des tâches parentales et leur évolution confirme que les mères sont toujours les principales actrices dans la prise en charge des enfants, l’implication des pères restant au second plan et limitée dans le temps.
De même, au sein des couples où la répartition des tâches est plutôt égalitaire, les changements sont légèrement plus fréquents, montrant que lorsque les activités sont plus partagées, les chances pour qu’au fil du temps les pères se désengagent sont plus importantes ».

R. Mallié aborde le congé paternité pris par 70 % des pères, mais omet de préciser que sur la totalité des congés parentaux, 98 % sont pris par les mères et 2 % par les pères.

II- Les pédopsychiatres cités

R. Mallié cite le professeur Olié, mais comment un professeur de psychiatrie adulte peut-il donner un avis éclairé sur un domaine qu’il ne pratique pas ?
Serge Hefez est un psychiatre spécialisé en thérapie familiale : combien de situations de résidences alternées a-t-il suivies ?
Jean Le Camus est également cité lorsqu’il idéalisait ce mode d’hébergement. Mais fin 2009, confronté certainement aux réalités, il a précisé que la résidence alternée égalitaire ne pouvait s’appliquer aux jeunes enfants, mais aussi lorsque les parents étaient en conflit ou avaient des différences éducatives importantes.
Et si « un magistrat doit se montrer attentif aux raisons qui poussent un parent à s’opposer à la résidence alternée », il serait judicieux qu’il se montre également attentif aux raisons qui poussent un parent à la demander...
Quant au professeur Golse, il a demandé expressément à messieurs Mallié et Decool, que son nom soit retiré de cette proposition de loi, considérant que ses propos sont instrumentalisés et qu’il trouve scandaleux qu’une résidence alternée puisse être imposée et quel que soit l’âge d’un enfant.

III- La résidence alternée imposée par "défaut" dans des pays étrangers ?

Selon ces députés UMP, la résidence alternée serait imposée par « défaut » en Italie, Belgique, USA ou pays scandinaves. Cette affirmation relève purement et simplement de l’intox.
En Belgique, Madame Onkelinx, alors ministre de la justice, avait du revoir son projet initial à la baisse et la loi définitive est identique à la nôtre.

USA  :

a- la Californie qui fut le premier pays au monde à voter une loi privilégiant « la garde physique partagée, » a fait marche arrière, en raison des problèmes identiques à ceux que nous rencontrons, et a amendé sa loi en 1994, pour ne plus privilégier que les résidences alternées demandées conjointement mais aussi librement par les deux parents.

b- Sur le site d’un important cabinet d’avocats qui explique les différents modes d’hébergement

http://www.divorcepage.com/PracticeAreas/Joint-or-Shared-Custody.asp

On peut lire :

« Ces dernières années, le label de garde physique partagée est communément utilisé pour décrire un arrangement parental ; cependant, le partage effectif 50-50 du temps de l’enfant N’EST PAS la norme ou le plus fréquent des plans de responsabilités parentales adopté, que ce soit par les parents ou par les tribunaux. »

c- Lors de la conférence 2 que maître Michel Tétrault a donné au congrès de la branche canadienne de la WAIMH (Association mondiale pour la santé infantile), il précise : (Page 45 )

« Dans l’article Shared Parental Responsability : a harm reproduction-based approach to divorce law reform » d’Edward Kruk , on identifie 4 éléments comme les plus dommageables pour les enfants :
- La rupture du lien d’attachement positif,
- L’exposition de l’enfant au conflit parental
- L’instabilité et le manque de continuité dans la vie de l’enfant post-divorce
- La diminution du niveau de vie de l’enfant.
L’auteur de l’article indique que dans la majorité des Etats américains , les tribunaux concluent que la garde partagée n’est pas une solution appropriée quand les parents ne peuvent collaborer. »

D- Dans une étude sociologique réalisée par la CNAF (2008) sur la résidence alternée, il est indiqué que le recensement de 2004 aux USA, évalue à 14 % en moyenne le nombre de résidences alternées, alors que ce mode d’hébergement a trente ans d’existence derrière lui, et que « garde physique partagée » ne signifie pas un temps égalitaire.

E- La Suède a non seulement pris ses distances avec ce système depuis de nombreuses années, mais le Réseau Judiciaire Européen confirme que si les parents ne sont pas mariés, seule la mère a l’autorité parentale exclusive sauf accord contraire des parents. Il en est de même dans les autres pays nordiques.

Enfin, R. Mallié précise :

« Le non-respect par le conjoint de son obligation parentale d’entretien définie à l’article 371-2, d’obligation alimentaire définie aux articles 205 à 211 et de la pension alimentaire remet en cause la décision de résidence en alternance."

S’il s’était documenté un minimum, comme sa responsabilité de député l’exigeait, il aurait su que dans 76 % de situations de résidences alternées, il y a une exemption de pension alimentaire, alors même qu’il parait improbable que les deux parents aient les mêmes revenus (outre qu’à diplômes et compétences égaux, les salaires féminins sont 25 % inférieurs à ceux des hommes, le ministère de la justice indique qu’en 2009, dans 25 % des divorces, les femmes avaient moins de 700 euros de revenus alors que les hommes n’étaient que 6 % dans ce cas)

Conclusion

N’oublions pas que si la résidence alternée garantit un partage égal des domiciles parentaux, elle ne garantit jamais une égalité de présence, de soins et d’implication de chaque parent auprès de l’enfant.

Or depuis 10 ans bientôt que la loi de mars 2002 a été promulguée, des centaines d’enfants soumis à des résidences alternées inadéquates présentent différents symptômes qui traduisent une insécurité psychoaffective profonde et surtout non traitable si ce mode d’hébergement est maintenu, comme il l’est le plus souvent par le pouvoir judiciaire. Les conséquences seront au mieux une fragilité psychologique à l’âge adulte, ou des troubles plus graves comme une anxiété généralisée, des troubles du comportement alimentaire, des troubles dépressifs voire des troubles dissociatifs.

Alors même qu’il y a un consensus des spécialistes en santé mentale infantile pour déconseiller la résidence alternée si l’enfant est trop jeune et/ou si les parents sont en conflit et ne communiquent pas suffisamment, il serait impératif d’amender la loi de 2002. A l’instar de la Californie, des députés UMP sans doute en mal d’électeurs croient naïvement les appâter, en proposant de la durcir.

Des solutions alternatives existent pourtant qui protègent l’enfant ainsi que chaque fonction parentale.
Au-delà de la gravité d’une telle proposition de loi, ce sont les procédés utilisés par ceux qui sont aussi les législateurs qui sont profondément inquiétants pour les citoyens que nous sommes.

1)http://www.dsm5.org/Newsroom/Documents/DSM5%20TF%20Response_Society%20for%20Humanistic%20Psychology_110411r.pdf

2) « Le nourrisson, la garde et les tribunaux : quand la justice fait dans la puériculture » 2007

Par Jacqueline Phélip,
Présidente de l’Enfant d’Abord

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