Contrôles des finances publiques versus autonomie financière de la juridiction constitutionnelle congolaise sous les regards croisés des modèles français et belge. Par Trésor-Gauthier Kalonji.

Extrait de : Droit constitutionnel

Contrôles des finances publiques versus autonomie financière de la juridiction constitutionnelle congolaise sous les regards croisés des modèles français et belge.

Par Trésor-Gauthier Kalonji.

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Explorer : # autonomie financière # contrôle des finances publiques # gouvernance financière # juridiction constitutionnelle

L’autonomie d’une juridiction constitutionnelle s’entend de la faculté pour cette dernière d’auto-organiser sa procédure et les modalités de son fonctionnement. On distingue traditionnellement trois formes d’autonomies : administrative, financière et normative.
Cette trilogie permet de mesurer l’étendue de la maîtrise de la juridiction constitutionnelle sur les règles de son organisation et de son fonctionnement.

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2. Ainsi, on s’attachera uniquement, pour les besoins de la présente étude, à l’autonomie financière car, comme l’a souligné Ryckeboer, pour qu’une cour constitutionnelle puisse accomplir sa mission correctement et avec l’indépendance nécessaire, elle doit disposer, entre autres, de moyens financiers suffisants . En effet, l’autonomie financière d’une juridiction constitutionnelle se définit par rapport à « la maîtrise plus ou moins grande de deux éléments financiers essentiels : la libre détermination de son crédit et la libre exécution de ses dotations budgétaires ».

Ce continuum d’autonomie financière censée caractériser toute juridiction constitutionnelle, immunise-t-il cette dernière de divers contrôles des finances publiques qui imposent aux gestionnaires publics de rendre compte de leur gestion et de leur performance dans l’utilisation des fonds publics ? (I) Quel est le degré d’autonomie financière de la Cour constitutionnelle en droit congolais dont les principes sont largement inspirés de systèmes juridiques français et belge ? (II)

I. Les contrôles des finances publiques, levier de la nouvelle gouvernance financière publique en droit congolais

3. Les changements se perpétuent, les réformes se succèdent, la société n’est jamais figée dans le présent pour toujours. Dans le domaine des finances publiques, ce constat est d’autant plus vrai : le changement y est permanent. Chaque apparition de nouveaux enjeux lance un défi aux institutions en place pour déterminer si elles sont en mesure de s’adapter et d’être ainsi à la hauteur des nouvelles exigences.

4. Dès lors, dans le mouvement général de transformation que connaissent les finances publiques dans le monde, les changements qui affectent les contrôles occupent une place de premier plan. Tous, quelle que soit leur nature – qu’il s’agisse des contrôles administratifs, juridictionnels, politiques – sont aujourd’hui confrontés à la diffusion d’un nouveau mode de gouvernance financière axé sur la performance et l’efficacité, et à la mise en œuvre d’une nouvelle gestion publique répondant à cet objectif : c’est la nouvelle gouvernance financière publique.

5. Cette nouvelle pratique de gestion publique axée sur les résultats a positivement affecté le régime juridique des finances publiques dans la plupart des pays du globe. De ce fait, leurs législateurs ont imprimé aux systèmes financiers publics la règle de 3 E (recherche de l’Économie, de l’Efficacité et de l’Efficience) dans la réalisation des objectifs assignés aux politiques publiques. C’est donc la logique de la performance qui est désormais au cœur de la gestion moderne des finances publiques.

6. Aussi est-il que, pour garantir cette logique de performance, des mécanismes drastiques de contrôle et de surveillance de la gestion courante des finances publiques sont prévus, dans l’optique soit d’anticiper ou de prévenir certains actes de mauvaise gestion, soit de déceler ces actes une fois qu’ils auraient déjà été posés, afin de déterminer les responsabilités respectives des acteurs car, en principe, aucun acte de mauvaise gestion publique ne peut désormais demeurer impuni. C’est la logique de la « responsabilité » ou de la « redevabilité » dans la gestion des finances publiques.

7. En droit congolais, l’avènement de la LOFIP en 2011 a été le « trigger » d’une réforme cruciale dans la gestion des finances publiques. Les dispositions de cette loi organique s’inscrivent dans la donne de la nouvelle gouvernance financière publique. En tant que pierre angulaire des finances publiques tant nationales que locales, la LOFIP s’érige à juste titre en « Constitution financière ou budgétaire » du pays. Elle a constitué de facteur déclencheur de la dynamique de réforme globale en ce domaine qui s’étale sur plusieurs années. Elle fait passer la gestion publique de la logique des moyens à la pratique orientée vers l’obligation de résultats pour la réalisation des objectifs de développement…

8. Le renforcement de la transparence budgétaire et de la redevabilité dans la gestion publique, fondent l’existence de différents contrôles des finances publiques consacrés par la LOFIP. Ces contrôles se déclinent en trois dimensions, en l’occurrence le contrôle administratif, le contrôle juridictionnel et le contrôle politique ou parlementaire :

  • Le contrôle administratif des finances publiques est, par définition, la surveillance approfondie du budget, de la part de différents services et corps administratif de contrôle dont la caractéristique première est de relever, tous, des ministères ayant en charge les Finances et le Budget.

Aux termes de l’article 111 de la LOFIP, le contrôle administratif est le contrôle de l’Administration sur ses services. Ce contrôle est exercé par les contrôleurs budgétaires, les ordonnateurs, les comptables publics, les inspecteurs des finances, et les autres agents publics exerçant dans la chaine de réalisation de la recette publique ou d’exécution de la dépense publique.

Le contrôle administratif vise en général l’opportunité ou la régularité des opérations des recettes et des dépenses publiques. Il permet d’accomplir toute enquête ou mission de contrôle, de vérification, de contre-vérification et de surveillance de toutes les opérations financières de l’État, des entités territoriales décentralisées, des établissements publics, des organismes paraétatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant du concours financier des pouvoirs publics.

Spécifiquement, le contrôle administratif opéré par l’Inspection générale des Finances porte sur les actes de gestion accomplis par les ordonnateurs et les comptables publics. Il peut être sur pièce ou sur place, a priori, concomitant ou a posteriori. Lorsqu’ils sont porteurs d’un ordre de mission, les Inspecteurs de Finances ont droit de se faire présenter toutes pièces ou tout document nécessaire à l’accomplissement de la mission…

  • Le contrôle juridictionnel des finances publiques est opéré par la Cour des comptes.

En effet, comme sous d’autres cieux, la Cour des comptes congolaise est chargée de contrôler les comptes de tous les services publics. Elle vérifie, a posteriori, sur pièces et, en cas de besoin, sur place, la régularité des opérations exécutées aussi bien par l’ordonnateur que par le comptable public, en matière de recettes, de dépenses et de trésorerie retracées dans la comptabilité de l’État.

Elle s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les responsables publics ; et elle exerce un contrôle sur les organismes qui bénéficient du concours financier du pouvoir central. Elle juge les comptes des comptables publics pour aboutir soit à des arrêts de quitus, soit à des arrêts de débet qui enclenchent la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public concerné, et mentionne le cas échéant le montant de la somme mise à sa charge qu’il devra acquitter au moyen de ses deniers personnels, sauf remise gracieuse du ministre des Finances…

  • Le contrôle parlementaire ou politique des finances publiques est l’apanage du Parlement qui l’exerce, soit directement en plénière, soit indirectement par le truchement des Commissions économiques et financières.

Sur le plan strictement juridique, note le professeur Bakandeja, le contrôle parlementaire devrait être le principal contrôle en raison des prérogatives constitutionnelles conférées au Parlement en matière budgétaire. C’est tout d’abord grâce à ses pouvoirs généraux de contrôle que le Parlement pourrait exercer un contrôle de l’exécution du budget en recourant notamment aux commissions d’enquêtes et de contrôle ou par interpellation ou la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement. En effet, le Parlement veille, au cours de l’exercice budgétaire annuel, à la bonne exécution de la loi de finances, par le biais des missions d’évaluation et de contrôle des finances publiques organisés par les commissions spéciales des assemblées, chargées des finances (ECOFIN). Ainsi, les informations que celles-ci demandent ou les investigations sur pièces ou sur place qu’elles entendent conduire, ne peuvent leur être refusées. Elles bénéficient donc d’un droit à l’information sur la situation budgétaire des finances publiques.

Le contrôle politique est en fait l’expression de la souveraineté primaire exercée par le truchement des élus (parlementaires). L’efficacité d’un tel contrôle est notamment tributaire de la qualité des experts dont disposerait le Parlement. Si cette expertise est assez sourcilleuse, elle permettra de déceler suffisamment des actes de mégestion imputables aux gestionnaires publics, pour ainsi contribuer à une saine gestion des finances publiques…

9. Somme toute, les contrôles des finances publiques constituent le noyau dur de la nouvelle gouvernance financière publique. Ils confèrent à cette dernière pleine vigueur et toute son essence, en vue d’une saine et performante gestion des finances publiques. Il n’est sans intérêt, à cet effet, de paraphraser l’INTOSAI, en ces termes : « l’environnement du contrôle des finances publiques est celui dans lequel les pouvoirs publics et d’autres entités du secteur public exercent leur responsabilité en matière d’utilisation des ressources (…) afin de fournir des services aux citoyens et à d’autres destinataires. Ces entités sont tenues de rendre compte de leur gestion et de leur performance, ainsi que de l’utilisation des ressources, à la fois à ceux qui apportent ces dernières et à ceux qui dépendent des services fournis grâce à leur utilisation, y compris aux citoyens. »

10. La présente réflexion permet de savoir si les contrôles de finances publiques, tels que consacrés dans la nouvelle gouvernance financière publique, sont également applicables à la gestion financière de la juridiction constitutionnelle. Cette assertion mérite bien d’être approfondie, car les fonds (dotations) mis à la disposition de la Cour constitutionnelle sont publics et que, dans une logique démocratique, chaque Institution étatique est redevable de sa gestion financière devant le « souverain primaire », au travers des élus et d’autres institutions dédiées aux contrôles des finances publiques.

Cela ne va toujours pas sans poser problème à certaines dispositions juridiques qui accordent l’immunité de contrôle à quelques Institutions publiques, notamment à la Cour constitutionnelle dont l’indépendance fondamentale est de droit. L’idéal serait de trouver un neutron juridique susceptible d’assurer à la fois l’indépendance de la juridiction constitutionnelle ainsi que la saine gestion des fonds publics mis à sa disposition, dans l’optique de la responsabilité ou de la redevabilité qu’implique la nouvelle gouvernance financière publique.

II. Portée et étendue de l’autonomie financière des juridictions constitutionnelles française, belge et congolaise

11. D’entrée de jeu, il convient de justifier le choix, dans cette réflexion, d’un benchmarking juridique entre les droits français, belge et congolais. En effet, les trois systèmes juridiques appartiennent à la famille juridique de tradition romano-germanique dans laquelle notamment la France et la Belgique sont très influentes ; une influence qui s’étend naturellement à la République Démocratique du Congo, compte tenu de son passé colonial et de son appartenance à l’espace des pays d’Afrique francophone. Que le système juridique congolais soit d’inspiration française et belge, constitue un secret de polichinelle !

Quel est donc le degré de l’autonomie financière de la juridiction constitutionnelle dans les systèmes juridiques français, belge et congolais ?

  • L’autonomie financière du Conseil constitutionnel français : Une autonomie budgétaire et une immunité aux contrôles des finances publiques !

12. En France, l’autonomie financière du Conseil constitutionnel n’est pas expressément consacrée par un texte, pourtant reconnue et respectée par les autres institutions étatiques. Elle a cependant valeur constitutionnelle car elle s’impose comme un corollaire du principe de séparation des pouvoirs, tel qu’il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. En effet, la théorie de la séparation des pouvoirs implique non seulement la séparation des fonctions mais aussi l’indépendance de leurs dépositaires. C’est le principe même de séparation qui commande l’existence d’un statut d’indépendance des organes titulaires des différents pouvoirs de l’État. La qualité de pouvoir constitutionnel du Conseil constitutionnel emporte donc l’existence d’un principe d’indépendance.

Ce principe constitutionnel d’indépendance est donc la source formelle de l’autonomie financière du Conseil constitutionnel. Il lui permet de se donner ses propres normes en la matière. L’indépendance de ce dernier serait, en effet, une « coquille vide » si le Parlement ou le Gouvernement pouvaient exercer des pressions sur la juridiction constitutionnelle par l’intermédiaire de ses finances.

13. Dans une décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances, le Conseil constitutionnel a affirmé que l’autonomie financière des pouvoirs constitutionnels, dont il fait partie, « relève du respect de la séparation des pouvoirs ». Il fait donc ressortir le lien direct qui existe entre la position qu’il occupe dans l’État et l’autonomie financière dont il est bénéficiaire.

14. L’autonomie financière du Conseil constitutionnel français est particulièrement marquée par deux aspects :

En premier lieu, «  le Conseil constitutionnel élabore son budget en toute liberté par rapport aux autres pouvoirs constitutionnels. Concrètement, c’est le Président du Conseil constitutionnel qui arrête annuellement un projet de budget. Ce projet est transmis au ministre des Finances qui l’inscrit, sans modification, dans une partie du projet de loi de finances. Ensuite, il est approuvé sans discussion par le Parlement. »

En second lieu, « le Conseil constitutionnel décide, en toute liberté, de l’engagement de ses dépenses et de leur affectation. Au sein du Conseil, c’est le Président qui est ordonnateur des dépenses et qui les mandate . Le trésorier du Conseil, choisi et nommé par le Président et responsable devant lui, exerce les fonctions de comptable. Par conséquent, l’organisation du Conseil échappe au principe classique de séparation des ordonnateurs et des comptables qui exige que la décision d’une dépense soit prise par une autorité distincte de celle qui l’exécute. Par ailleurs, la juridiction constitutionnelle française n’a jamais été soumise au principe de spécialisation budgétaire de la comptabilité publique. Selon ce principe, un crédit ne peut pas être affecté à une autre dépense que celle initialement prévue dans le projet de budget. Or, le Conseil modifie librement l’affectation de ses crédits entre les rubriques. Enfin, le principe d’annualité ne s’impose pas non plus au budget du Conseil constitutionnel. Il dispose du pouvoir d’écarter, à titre exceptionnel, ce principe en vue de se constituer une réserve pour dépenses imprévues avec les crédits qu’il n’aurait pas utilisés au cours de l’exercice budgétaire précédent. »

15. L’autonomie financière du Conseil constitutionnel est également mise en exergue par l’absence de contrôle de l’exécution de son budget par une institution extérieure. Ainsi, ni l’Inspection générale des Finances, ni la Cour des comptes n’est compétente pour contrôler la comptabilité générale de cette juridiction constitutionnelle. Néanmoins, dans un souci de transparence, le Conseil a admis toutefois la présence en son sein d’un conseiller maître près la Cour des comptes qui, bien que ne représentant pas la Cour, apporte un concours technique et déontologique éminent à la gestion financière du Conseil. Et tout cela, en vue de respecter notamment l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen dispose que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ».

  • L’autonomie financière de la Cour constitutionnelle belge : une autonomie budgétaire et comptable strictement encadrée !

16. D’emblée, il importe de mentionner que la Cour constitutionnelle de Belgique, qui s’appelait « Cour d’arbitrage » jusqu’au 7 mai 2007, est une juridiction unique spécialisée, indépendante des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et compétente pour apprécier si les normes ayant force de loi sont conformes à la Constitution belge ainsi qu’aux règles de répartition des compétences entre l’État fédéral, les Communautés et les Régions.

17. En Belgique, la portée de l’autonomie financière de la juridiction constitutionnelle semble se démarquer de celle applicable en droit français. En effet, l’article 123, §1er de la loi spéciale belge du 6 janvier 1989 sur la Cour d’arbitrage, dispose que « les crédits nécessaires au fonctionnement de la Cour constitutionnelle sont inscrits au budget des Dotations ».
A cet effet, il importe d’indiquer que, lors de la création de la Cour, des dotations n’étaient prévues qu’au profit de la Chambre, du Sénat et de la famille royale. La dotation signifie que c’est la Cour qui détermine elle-même l’affectation des montants ainsi alloués, sans qu’une ventilation soit prévue dans la loi budgétaire qui accorde les crédits : cette autonomie de la gestion financière de l’institution est toujours apparue comme une garantie indispensable de l’indépendance de l’institution. En d’autres termes, l’autonomie financière conférée à la Cour était tout simplement nécessaire pour permettre à celle-ci d’exercer avec autorité son rôle initial, à savoir celui d’arbitre entre les différents législateurs en Belgique, doté du pouvoir d’annuler le cas échéant des dispositions législatives (ex tunc).

18. Par ailleurs, il n’est pas sans intérêt de faire remarquer qu’en l’absence de toute réglementation plus précise, la Cour n’est en principe pas soumise aux règles comptables qui régissent la comptabilité ordinaire de l’État. Cette autonomie ne signifie toutefois pas que la Cour constitutionnelle userait des deniers publics qui lui sont confiés sans aucune comptabilité ni aucun contrôle. Elle approuve elle-même ses comptes, après les avoir soumis au contrôle de la Cour des comptes. En effet, conformément à un Protocole d’accord qui date de juin 2002, entre la Chambre des représentants et la Cour constitutionnelle, les projets de comptes sont envoyés, après leur approbation provisoire par la Cour, au premier président et au président de la Cour des comptes, qui, après avoir contrôlé leur conformité au budget, en font rapport. Après l’approbation finale des comptes par la Cour, ceux-ci sont adressés au président de la Chambre des représentants, accompagnés du rapport de contrôle des présidents de la Cour des comptes… En plus, pour les opérations relatives aux rémunérations de tous les membres du personnel, la Cour constitutionnelle est assistée par la Cour des comptes.

19. Sur le plan typiquement budgétaire, selon une règle coutumière née du Protocole d’accord précité, la Cour constitutionnelle établit son budget et présente sur cette base sa dotation au président de la Chambre des représentants et la communique au ministre du Budget. A cet effet, il est demandé au ministre du Budget de faire figurer la dotation demandée dans le projet de loi contenant le budget général des dépenses qui doit être voté avant la fin de l’année .

20. De tout ce qui précède, on peut déduire que le fait pour la Cour constitutionnelle belge de soumettre ses comptes au contrôle de la Cour des comptes et de se faire assister par cette dernière dans certaines opérations, son autonomie financière se trouve être limitée et encadrée…

  • L’autonomie financière de la Cour constitutionnelle congolaise : Une autonomie essentiellement budgétaire !

21. En République Démocratique du Congo, l’installation de la juridiction constitutionnelle est récente, alors même qu’elle était déjà prévue dans la Loi fondamentale du 19 mai 1960, dans la Constitution de Luluabourg du 1er août 1964 ainsi que dans la Constitution du 18 février 2006 qui renvoie les modalités de l’organisation et du fonctionnement de la Cour à une loi organique, en l’espèce la Loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. La nomination des hauts magistrats près cette Cour est intervenue par les ordonnances présidentielles n°014/070 et 014/071 du 19 novembre 2014. La prestation de serment desdits magistrats n’a eu lieu que le 15 avril 2015, marquant ainsi le début effectif des activités de la Cour qui est, à cet effet, installée dans le Nouveau Palais de Justice (Avenue des bâtonniers, à Kinshasa/Gombe. Site web www.cour-constitutionnelle.cd ).

22. La Cour constitutionnelle est un organe indépendant, tels que le Président de la République, le Parlement, le Gouvernement, et les deux autres hautes instances du pouvoir judiciaire (Cour de Cassation et Conseil d’État). L’indépendance dont elle jouit se traduit dans une autonomie budgétaire, administrative et réglementaire.
En effet, l’autonomie financière de la Cour constitutionnelle est garantie par les dispositions de la Constitution et des textes législatifs et règlementaires en vigueur. En effet, il ressort des articles 38 et 39 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle ainsi que des articles 10 et 11 de son Règlement intérieur du 30 avril 2015, que le Président [de la Cour, ndlr] est chargé de l’administration de la Cour. Il détermine également, par décision, le règlement financier de la Cour.

Par ailleurs, la Cour constitutionnelle dispose de la liberté d’établir son propre budget et de l’exécuter . C’est donc le Président de la Cour qui en est l’ordonnateur… Au fait, l’avant-projet du budget annuel (prévisions budgétaires) de la Cour constitutionnelle est établi à l’interne par une commission budgétaire dirigée par le Président de la Cour ou son délégué. Celui-ci le transmet au Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature en vue de son intégration au projet du budget du pouvoir judiciaire. Ce projet doit, ensuite, être transmis au Gouvernement dans un certain délai antérieur à l’élaboration de la loi de finances, afin d’être inséré dans son texte. Enfin, ledit projet sera remis au Parlement afin d’être discuté et approuvé… Ce n’est pas tout à fait clair si, lors des conférences budgétaires, le Gouvernement peut, d’autorité, modifier le projet budgétaire élaboré par les services administratifs de la Cour. Cette hypothèse n’est pas totalement écartée…

Il va de soi que l’autonomie financière de la Cour constitutionnelle est l’un des traits fondamentaux de son identité. C’est l’une des principales conditions de son indépendance vis-à-vis des autres organes de l’État, en particulier les organes politiques, dont elle est censée contrôler l’activité normative. Voilà pourquoi, la Cour bénéficie d’une Dotation inscrite dans la loi des finances. L’ensemble de dotations devant permettre aussi bien le fonctionnement ordinaire de la Cour que l’accomplissement des missions périodiques telles que le contrôle de régularité des élections présidentielle, législatives ainsi que des opérations de référendum doivent apparaitre clairement dans la loi de finances…

23. Par ailleurs, quel est le degré d’autonomie de la Cour constitutionnelle congolaise vis-à-vis des institutions chargées de contrôler la gestion des finances publiques ? En d’autres termes, la gestion financière de la Cour constitutionnelle est-elle susceptible d’être confrontée aux contrôles des finances publiques effectués par l’inspection générale des Finances, la Cour des comptes et le Parlement ?

24. De lege lata, aucun texte ne permet de répondre à cette question. Le législateur congolais est encore muet sur la question. Dans son silence, on pourrait dès lors supputer, en vertu des principes généraux de droit qui consacrent l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des autres pouvoirs, à l’exonération de la Cour constitutionnelle congolaise face aux contrôles classiques des finances publiques. Néanmoins, en cas de besoin d’une expertise spécifique, la Cour constitutionnelle pourrait solliciter l’appui de telle ou telle autre structure spécialisée, en vue de conformer sa gérance financière aux règles de bonne gouvernance, telles que consacrées par les textes en vigueur. Elle pourrait, par exemple, solliciter l’appui de la Cour des comptes dans certaines opérations comptables, comme c’est le cas avec la Cour constitutionnelle belge (Voir supra, Point 18).

25. Une autre solution au mutisme du législateur congolais sur la question de l’indépendance de la Cour constitutionnelle face aux contrôles des finances publiques, pourrait bien être trouvée dans une décision expresse émanant de la Cour elle-même et ce, par « homochromie » à la posture du Conseil constitutionnel français qui s’est expressément prononcé sur son autonomie en 2001 (Voir supra, Point 13).

Ainsi, pourrait-on bien espérer que la Cour constitutionnelle congolaise, encore « nubile » et assez préoccupée par d’autres questions fondamentales de la vie nationale, notamment celles électorales, ne manquera pas, au fil du temps, de se prononcer expressément sur la portée de son autonomie financière vis-à-vis des institutions régaliennes chargées du contrôle financier public…

…en conclusion

26. L’autonomie financière de la juridiction constitutionnelle est l’un des éléments fondamentaux de son indépendance vis-à-vis d’autres institutions publiques, lui permettant ainsi de mieux exercer ses fonctions de contrôle de constitutionnalité d’actes intervenant dans l’univers juridique national et supranational.

27. Aussi bien en droit français qu’en droit belge, l’autonomie financière de la juridiction constitutionnelle est unanimement reconnue, mais à des degrés quelque peu différents : en droit français, cette autonomie est budgétaire et elle exempte le Conseil constitutionnel de contrôles de gestion opérés par les institutions publiques de contrôle ; tandis qu’en droit belge, l’autonomie financière de la Cour constitutionnelle est strictement encadrée et elle est concentrée autour des aspects budgétaire et comptable.

28. Dans l’état actuel du droit positif congolais, l’autonomie financière de la Cour constitutionnelle est essentiellement budgétaire. Cependant, quoique déduite de la Constitution et de quelques textes légaux et réglementaires en vigueur, cette autonomie ne permet tout de même pas de déterminer clairement si la Cour constitutionnelle est exemptée de contrôles des finances publiques. Il serait convenable, à l’instar du Conseil constitutionnel français qui s’est prononcé en 2001 dans une décision pro domo, que la Cour constitutionnelle affirme, sans équivoque, son indépendance de gestion vis-à-vis des contrôles notamment de l’Inspection générale des Finances, de la Cour des comptes et du Parlement.

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Trésor-Gauthier Kalonji
Détenteur d’un Master en Droit public de l’Université de Rouen (France) et diplômé en Droit économique et social (Bacc+5) de l’Université de Lubumbashi (RD Congo).
Chargé d’études juridiques au sein du Secrétariat Général aux Finances de la R.D. Congo.
Membre de la Société Française des Finances Publiques.

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