Conformément à ce même article, la Cour de cassation affirme que si le harcèlement sexuel est constitutif d’une faute grave, il ne peut néanmoins pas constituer un manquement à l’obligation d’honorabilité, du fait de l’absence de lien direct et étroit avec l’activité professionnelle d’investissement à risque.
I. Faits et procédure.
Un salarié engagé en qualité de responsable des risques marché au sein du Crédit Agricole Corporate Investment Bank (CACIB) banque a adressé de manière régulière et répétée à des salariées placées sous son autorité, des propos à connotation sexuelle.
C’est pourquoi l’employeur prend la décision de licencier le salarié pour faute grave, décision contestée par le salarié qui saisit ensuite la juridiction prud’homale afin de demander notamment des rappels de rémunération différée.
Par un arrêt rendu le 6 juillet 2022, la cour d’appel de Versailles fait droit à la demande du salarié au motif que, les faits relevés à l’encontre du salarié, ne caractérisent pas le défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales.
Ainsi, l’employeur se pourvoit en cassation sur le fondement des articles L511-84 et R511-24 du Code monétaire et financier selon lesquels respectivement,
« Par dérogation à l’article L1331-2 du Code du travail, le montant total de la rémunération variable peut, en tout ou partie, être réduit ou donner lieu à restitution lorsque la personne concernée a méconnu les règles édictées par l’établissement en matière de prise de risque, notamment en raison de sa responsabilité dans des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou en cas de manquement aux obligations d’honorabilité et de compétence.
Le versement des prestations de pension discrétionnaires est effectué sous forme d’instruments financiers mentionnés à l’article L511-81 du présent code et est différé de cinq ans à compter du départ de la personne de l’établissement de crédit ou la société de financement » et « Pour l’application de l’article L511-84, les agissements susceptibles d’entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement en considération notamment des pertes sérieuses qu’ils peuvent occasionner à ces établissements ou sociétés.
La décision de réduction ou de restitution mentionnée au premier alinéa de cet article tient compte de l’implication de la personne intéressée dans les agissements en cause. Une décision de réduction ou de restitution peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d’honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause ».
II. Moyens.
En effet, le demandeur au pourvoi rappelle, selon les articles susmentionnés, que l’employeur peut ne pas verser une rémunération variable différée, en considération du défaut de respect, par le salarié, des exigences d’honorabilité auxquelles il est soumis.
En d’autres termes, l’employeur souligne que des manquements à l’honorabilité ou à la déontologie par le salarié d’un établissement financier peuvent justifier le non-versement d’une rémunération variable différée.
Or, à cet égard, l’employeur considère que constituent précisément de tels manquements, le harcèlement sexuel ou les comportements assimilés comme ceux reprochés au salarié.
En conséquence, l’employeur demandeur au pourvoi devant la Cour de cassation, considère que le harcèlement sexuel caractérise un défaut de respect des exigences d’honorabilités prévues par l’article L511-84 du Code monétaire et financier, justifiant ainsi le non-paiement par l’employeur de la rémunération différée.
III. Solution.
Le harcèlement sexuel commis par un salarié qui exerce un haut niveau de responsabilité, peut-il être caractérisé comme une faute grave susceptible de constituer un manquement à l’obligation d’honorabilité justifiant ainsi la restitution du montant total de la rémunération variable ?
La Cour de cassation répond par la négative sur le fondement des articles L511-84 et R511-24 du Code monétaire et financier.
Le dispositif, prévu par l’alinéa 1 de l’article L511-84 du Code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, issu de la transposition de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, et l’article R511-24 du Code monétaire et financier, a pour objet de prévenir les prises de risques excessives, pouvant nuire à une gestion saine et efficace des risques au sein des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, de la part des salariés amenés à prendre des décisions d’investissement, en prévoyant un malus ou une récupération à 100% de la rémunération variable à l’égard d’un preneur de risques qui a participé à des agissements ayant entraîné des pertes significatives pour l’établissement ou a été responsable de tels agissements ou n’a pas respecté les normes applicables en matière d’honorabilité et de compétences, lesdites normes s’entendant de règles professionnelles en lien direct et étroit avec l’activité professionnelle d’investissement à risques.
La Cour de cassation admet, en application de l’article R511-24 du Code monétaire et financier, que les agissements susceptibles d’entraîner la réduction ou la restitution, en tout ou partie, de la rémunération variable sont définis par les établissements de crédit et les sociétés de financement, et qu’une décision de réduction ou de restitution peut également être prise en considération du défaut de respect des exigences d’honorabilité et de compétence qui sont applicables à la personne en cause.
Or, selon la Cour de cassation, quand bien même le comportement du salarié est totalement inadapté pour un salarié ayant une position de responsabilité vis-à-vis de jeunes femmes (harcèlement sexuel en l’occurrence), il n’est pas pour autant, en lien direct et étroit avec une activité professionnelle d’investissement à risques.
De cette manière, le comportement adopté par le salarié ne caractérise pas un défaut de respect des exigences d’honorabilité prévu par les dispositions légales, car ces exigences ont seulement pour objet de prévenir des prises de risques excessives au sein des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
Par conséquent, le moyen invoqué par le Crédit Agricole Corporate Investment Bank est rejeté.
Sources.
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 mars 2024, 22-20.970, Publié au bulletin
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