Un nouveau Saint protecteur de la sécurité juridique des Plans Locaux d’Urbanisme.

Par Florestan Arnaud, Avocat.

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Explorer : # sécurité juridique # urbanisme # plans locaux d’urbanisme (plu)

Le changement d’échelle de la planification urbaine, qui tend à déposséder les communes au profit des EPCI, induit une évolution des projets de territoires. C’est en suivant cette logique que de nombreux Plans Locaux d’Urbanisme intercommunaux sont en cours d’adoption sur tout le territoire national.

A propos de Conseil d’Etat (section), 5 mai 2017, Commune de Saint-Bon-Tarentaise, n° 388902, publié au Recueil.

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Dans ce contexte, la question de la sécurité juridique de ces documents d’urbanisme se pose évidemment avec acuité. Il y a là une dimension en matière d’aménagement du territoire, afin de conférer au projet urbanistique retenu une logique cohérente et justifiée, mais également des enjeux humains et financiers importants.

Globalement, le contentieux de l’urbanisme s’inscrit dans un mouvement d’accroissement de cette sécurité juridique tant des documents d’urbanisme que des autorisations d’urbanisme. A cet égard, par une décision de section du 5 mai 2017, le Conseil d’Etat opère une étape importante pour protéger les plans locaux d’urbanisme.

De l’ère de Saint-Lunaire à l’avènement de Saint-Bon-Tarentaise.

Dans une décision « Commune de Saint-Lunaire » remarquée, le Conseil d’Etat jugeait que :

« Considérant, en premier lieu, qu’aux termes du I de l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme : Le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation associant, pendant toute la durée de l’élaboration du projet, les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées dont les représentants de la profession agricole avant : a) Toute élaboration ou révision du schéma de cohérence territoriale ou du plan local d’urbanisme (...) / Les documents d’urbanisme (...) ne sont pas illégaux du seul fait des vices susceptibles d’entacher la concertation, dès lors que les modalités définies par la délibération prévue au premier alinéa ont été respectées (...) ; qu’il résulte de ces dispositions que la délibération du conseil municipal doit porter, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser un document d’urbanisme, d’autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ; que cette délibération constitue, dans ses deux volets, une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d’illégalité le document d’urbanisme approuvé, alors même que la concertation aurait respecté les modalités définies par le conseil municipal ; » (Conseil d’Etat, 10 février 2010, Commune de Saint-Lunaire, n° 327149).

Par cette décision, le juge du Palais-Royal ouvrait la voie à une période d’insécurité juridique pour les plans locaux d’urbanisme. En effet, les objectifs définis par la délibération prescrivant la procédure d’élaboration ou de révision du plan local d’urbanisme n’étaient pas forcément suffisamment précis en pratique, ce qui a induit de nombreuses annulations de documents d’urbanisme pour ce motif.

En dépit d’une jurisprudence plus ou moins sévère des différentes Cours Administratives d’Appel (pour un exemple sévère : Cour Administrative d’Appel de Lyon, 26 mai 2015, commune d’Arthaz-Pont-Notre-Dame, n° 13LY02412 ; et pour un exemple plus souple : Cour Administrative d’Appel de Marseille, 6 mars 2014, Commune de Pelissanne, n° 12MA02019), cette exigence demeurait un risque juridique prégnant pour les plans locaux d’urbanisme.

Certes, et de manière plus récente, il a semblé s’ouvrir une phase d’assouplissement relatif de cette exigence, s’appuyant notamment sur un examen in concreto des différentes situations (voir par exemple : Cour Administrative d’Appel de Lyon, 9 février 2016, commune de Bernex, n° 14LY02762 ; Cour Administrative d’Appel de Douai, 28 décembre 2015, commune de Haut-Lieu, n° 14DA01837). Néanmoins, le risque juridique persistait pour les collectivités territoriales.

Par la décision présentement commentée, le Conseil d’Etat vient sérieusement limiter ce risque juridique en le minimisant drastiquement.
Ainsi, cette décision précise :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’adoption ou la révision du plan local d’urbanisme doit être précédée d’une concertation associant les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées ; que le conseil municipal doit, avant que ne soit engagée la concertation, délibérer, d’une part, et au moins dans leurs grandes lignes, sur les objectifs poursuivis par la commune en projetant d’élaborer ou de réviser ce document d’urbanisme, et, d’autre part, sur les modalités de la concertation ; que, si cette délibération est susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, son illégalité ne peut, en revanche, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoquée contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme ; qu’ainsi que le prévoit l’article L. 300-2 du code de l’urbanisme précité, les irrégularités ayant affecté le déroulement de la concertation au regard des modalités définies par la délibération prescrivant la révision du document d’urbanisme demeurent par ailleurs invocables à l’occasion d’un recours contre le plan local d’urbanisme approuvé. »

Il en résulte que le moyen tiré de l’insuffisante précision des objectifs poursuivis par la procédure d’élaboration ou de révision du document d’urbanisme ne peut plus être utilement invoqué dans le cadre d’un recours dirigé contre la délibération d’approbation d’un plan local d’urbanisme.

La sécurisation juridique assumée des plans locaux d’urbanisme.

Il convient toutefois de préciser que cette décision ne nous apparaît constituer un véritable revirement de jurisprudence, mais davantage un cantonnement de la solution dégagée par la décision « Commune de Saint-Lunaire » précitée. En effet, l’exigence de définition des objectifs poursuivis par la procédure ne disparaît pas complètement.

En réalité, et ainsi que l’exprime le considérant précité, un tel moyen peut toujours être soulevé dans le cadre d’un recours dirigé contre la « délibération initiale », c’est-à-dire celle qui prescrit la procédure d’élaboration ou de révision du plan local d’urbanisme, définissant les objectifs poursuivis et les modalités de la concertation. Dans ce cas, l’annulation de cette délibération pourra entraîner l’annulation de la délibération finale adoptant le plan local d’urbanisme le cas échéant.

Néanmoins, en pratique, il est bien évident que de tels recours contre la « délibération initiale » demeurent bien plus rares, dès lors que la majorité des recours contentieux engagés contre les plans locaux d’urbanisme sont le fait d’administrés insatisfaits de choix urbanistiques opérées par la collectivité territoriale, lesquels ne se révèlent bien souvent qu’à un stade bien plus avancé de la procédure.

Au demeurant, cette « délibération initiale » avait un intérêt à être contestée en pratique notamment parce qu’elle constituait le point de départ théorique de la possibilité d’opposer des sursis à statuer aux autorisations d’urbanisme individuelles sur la base du futur document d’urbanisme, si ces dernières étaient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan. Toutefois, il en va différemment depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui a différé ce point de départ à l’étape de la procédure relative au débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) du plan local d’urbanisme.

Pour appréhender la position adoptée par le juge du Palais-Royal dans cette importante décision, il est intéressant de se pencher sur les conclusions éclairantes du Rapporteur Public, Monsieur Dutheillet de Lamothe, rendues sur cet arrêt.
Ainsi, pour justifier une telle solution, celui-ci proposait :

« de compléter, de prolonger » la jurisprudence Commune d’Illats (Conseil d’Etat, 8 octobre 2012, n° 338760).

Pour rappel, cette jurisprudence retenait l’inopérance des moyens critiquant le caractère insuffisant des modalités définies par la délibération prescrivant l’élaboration ou la révision du plan local d’urbanisme, sur le fondement de l’article L. 300-2 du Code de l’urbanisme (dans sa version alors en vigueur). Autrement dit, seul le non-respect des modalités définies par la « délibération initiale » pouvait être contestée lors d’un recours contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme, mais pas la substance de ces modalités.

Cette logique repose notamment sur le fait qu’une procédure d’élaboration ou de révision du plan local d’urbanisme constitue juridiquement une opération complexe. Or, la jurisprudence admet que, dans ce cadre, un grief dirigé contre un point particulier d’un des actes de cette opération complexe soit sans incidence sur la légalité de l’acte final. Le moyen est alors considéré comme inopérant.

En l’espèce, en se plaçant dans cette perspective jurisprudentielle, l’irrégularité des objectifs poursuivis, lesquels servent de base à la concertation, constituerait donc un vice de cette dernière. Par suite, la critique de la régularité de ces objectifs devient donc un moyen inopérant dans le cadre d’un recours dirigé contre la délibération approuvant le plan local d’urbanisme. En conséquence, en prolongeant une jurisprudence antérieure tout en cantonnant les effets d’une autre, le Conseil d’Etat vient sécuriser juridiquement les plans locaux d’urbanisme.

Conclusion

La jurisprudence Saint-Lunaire semble donc avoir vécu, son intérêt pratique devenant plus résiduel même s’il ne disparaît pas totalement, et il faudra désormais compter sur la jurisprudence Saint-Bon-Tarentaise compte tenu des conditions dans lesquelles cette décision a été rendue.

Les collectivités territoriales se réjouiront à juste titre de cette avancée pour la sécurité juridique des documents d’urbanisme, laquelle est effectivement primordiale compte tenu du coût humain et financier que ceux-ci impliquent. Toutefois, dans ce mouvement de balancier, on regrettera qu’une solution qui préserve davantage le principe de légalité des actes administratifs n’ait pas été apportée. Le mouvement de subjectivisation du droit de l’urbanisme se poursuit donc.

Florestan ARNAUD - Avocat au Barreau de Lyon

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