Agents immobiliers : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation sur la nullité sanctionnant le non-respect des dispositions de la loi Hoguet.

Par Aurore Tabordet-Merigoux, Avocat.

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Explorer : # nullité relative # loi hoguet # agents immobiliers

Les conditions de forme imposées pour la validité du mandat de l’agent immobilier ne sont plus sanctionnées par la nullité absolue mais par une nullité relative qui ne peut donc être invoquée que par les parties.

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La loi Hoguet, promulguée le 2 janvier 1970, avait pour objectif affiché « d’assainir » la profession d’agent immobilier. Il s’agissait de protéger les mandants en leur apportant une information complète et précise afin qu’ils connaissent l’étendue de leur engagement et par ailleurs, de permettre un contrôle des mandats par leur inscription obligatoire sur un registre numéroté en continu à l’image d’une facturation comptable.

Ainsi, l’article 73 de la loi précitée requiert par exemple la détermination précise du calcul des honoraires, des commissions et du débiteur de leur paiement. Le mandataire ne pouvant solliciter d’autre rémunération que celle ainsi expressément prévue.

La loi Hoguet répondait donc à un ordre public de direction et de protection.

Dans ce contexte, la Cour de cassation avait une position très ferme quant au respect du formalisme imposé par les textes législatifs.

A titre d’exemple, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 avril 2008 (n°07-21610) énonçait :
« Mais attendu qu’il résulte de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1970 que les conventions conclues avec des personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant d’une manière habituelle leur concours aux opérations portant sur les biens d’autrui doivent respecter les conditions de forme prescrites par l’article 72 du décret du 20 juillet 1972 à peine de nullité absolue qui peut être invoquée par toute partie y ayant intérêt ».

La jurisprudence était constante et implacable : tout manquement aux conditions de forme prévues par la loi Hoguet entrainait la nullité du mandat, ladite nullité pouvant être invoquée par les parties ou par tout tiers y ayant intérêt.

Toutefois, par un arrêt de la chambre mixte du 24 février 2017 (n°15-20411), la Cour de cassation change de position en passant d’une nullité absolue à une nullité relative.

La note explicative communiquée par la Haute juridiction en accompagnement de la décision est d’une limpidité incroyable et écarte toute ambiguïté. Je vous invite à la lire pour de plus amples informations.

Cette décision répond en réalité à une évolution législative notamment dans le domaine immobilier et donc à une prise en compte des différentes protections dont bénéficient les parties, agent-immobilier, mandataire, mandant, locataire.

Pour une bonne appréciation de l’arrêt et du cheminement de la pensée des juges, il est essentiel de rappeler les faits de l’espèce.

Un locataire titulaire d’un bail d’habitation se voit délivrer un congé pour vente par un agent immobilier agissant pour le compte du bailleur. Le locataire soulève la nullité du congé au motif que l’agent immobilier ne disposait pas d’un mandat valablement établi.

Ladite agence était titulaire d’un mandat d’administration et de gestion avec « pouvoir de donner tous congés ». Par ailleurs, le bailleur avait adressé à l’agence une correspondance par laquelle il la mandatait pour vendre le bien et délivrer dans ce contexte le congé pour vente.

Le locataire excipe du fait que le mandat n’est pas valable dans la mesure où il ne reprend pas les obligations prévues par la loi Hoguet et ne comporte notamment pas de numéro d’inscription dans le bordereau prévu à cet effet.

Voici les faits résumés en quelques lignes.

De cette situation, la Cour de cassation a considéré que le locataire ne pouvait pas soulever la nullité du mandat car les dispositions de la loi Hoguet était sanctionnée par une nullité relative et non une nullité absolue.

En d’autres termes, seul le bailleur aurait pu soulever la nullité du mandat.

Les Hauts Magistrats ont, par cette décision, appliqué le principe de proportionnalité mis en avant par la Cour européenne des droits de l’Homme et la Cour de justice de l’Union européenne.

En effet, d’une part, des lois récentes (2014 et 2015) ont visé la profession d’agent immobilier en prévoyant des obligations de formation des membres, la création d’instances disciplinaires, la rédaction d’un code de déontologie, etc. La profession n’avait donc plus besoin d’être « assainie » comme cela était présenté dans les travaux préparatoires de la loi Hoguet.

D’autre part, et cet aspect est à mon sens à saluer, la Cour de cassation met en avant le fait que les locataires font déjà l’objet de mesures protectrices très importantes depuis la loi du 6 juillet 1989 renforcée encore davantage par la loi ALUR de 2014.

Les droits des locataires étant déjà bien protégés dans la cadre du congé, il n’est pas nécessaire de leur permettre de s’immiscer dans le couple mandataire-mandant.

La nullité relative ainsi reconnue par la décision du 24 février 2017 est donc une réponse parfaite à une évolution législative globale.

Aurore TABORDET-MERIGOUX
Avocat en Droit Immobilier à Paris
e-mail : aurore.merigoux chez tabordet-avocat.com
Site internet : http://www.tabordet-avocat.com/
Blog : http://www.tabordet-avocat.com/blog/

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Discussions en cours :

  • Maître.

    Merci à l’époque où la Cour de cassation avait donnée une décision de justice différente des précédentes de l’avoir mis en exergue et de nous l’avoir commentée avec beaucoup de clarté.
    J’ai trouvé votre article sur ce sujet fort intéressant.
    Trois années plus tard, le Tribunal Judiciaire et la cour d’appel, pour des affaires similaires ont-ils tendance à suivre cet arrêt de la Cour de cassation ?

    Mes salutations.

  • par AUSSEL , Le 25 janvier 2018 à 07:45

    Bonjour,

    Je serais curieux de voir le commentaire de Maître TABORDET de l’arrêt du 20 septembre 2017 sur le même sujet...là, point de principe de proportionnalité et absence TOTALE de mandat...(bien lire l’arrêt, notamment celui d’appel qui est un morceau d’anthologie !!! )
    Ce n’est pas une simple mention secondaire qui manque au mandat où la locataire n’est pas contractante comme dans l’arrêt du 24 février 2017...ici, c’est pas d’écrit du tout entre mandant et mandataire.

    Bon courage !

  • par AUSSEL J. , Le 27 octobre 2017 à 16:26

    Bonjour,

    A votre avis, l’absence totale de mandat écrit concernant la loi hoguet mérite t-elle une nullité relative ?

  • par Pierre ALCINA, Conseiller en Gestion de Patrimoine Certifié , Le 29 mars 2017 à 17:21

    Bonjour,

    Merci, Maître, pour cette analyse concise et pertinente.

    Bien cordialement,

    Pierre ALCINA
    Conseiller en Gestion de Patrimoine Certifié

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