La transmission d’entreprise ne se résume jamais pour le cédant à la seule recherche d’un repreneur. Quand vient le moment de passer la main, il doit aussi envisager l’après-cession, et particulièrement l’emploi des capitaux issus de la transmission.
A cet égard, l’assurance-vie peut constituer pour le cédant, selon sa situation, une solution à cette question qu’il se posera tout naturellement. Il est important de rappeler ici qu’en pratique le terme d’assurance-vie reste très générique et englobe des réalités bien diverses, entre les contrats destinés à garantir les conséquences d’un décès (assurance-décès) et les contrats purement financiers destinés à la constitution d’une épargne. C’est cette dernière catégorie qui nous intéressera, indépendamment de l’opportunité éventuelle du recours à ce type d’investissement, du support de placement et de la fiscalité des revenus générés par le contrat.
Seule la transmission des capitaux placés sera abordée, et en la matière, une bonne connaissance des règles applicables permet de tirer le meilleur parti de ce type d’investissement, mais aussi et surtout d’éviter les écueils d’une mauvaise préparation.
Le rappel des principales règles civiles à connaître
L’avantage majeur du contrat d’assurance-vie réside dans son fonctionnement. Il a pour effet permettre la transmission d’un capital « hors succession », c’est-à-dire indépendamment des règles de dévolution successorale.
Mais cette affirmation comporte des nuances tant civiles que fiscales.
En effet, sur le plan civil, les règles de droit en vigueur interdisent à une personne de déshériter entièrement certains de ses proches, notamment enfants et descendants, et lui imposent de transmettre une quote-part minimale de ses biens à son décès, appelée réserve héréditaire.
Cette réserve héréditaire permet de réduire, voire d’annuler, les donations et legs faits à son mépris. Elle permet également de requalifier en donation indirecte, annulable ou réductible, le versement de primes d’assurance manifestement exagérées par rapport aux facultés du souscripteur d’un contrat d’assurance-vie.
Par ailleurs, un contrat d’assurance-vie peut faire perdre à son souscripteur sa liberté de décision, contrairement à un testament qui reste toujours révocable. En effet, si le bénéficiaire désigné par le souscripteur accepte auprès de la compagnie d’assurance le bénéfice du contrat, le souscripteur ne pourra plus modifier l’identité du bénéficiaire sans l’accord de ce dernier. Il peut ainsi perdre le choix de la destination des fonds placés. Autrement dit, le souscripteur peut être généreux à condition de rester très discret.
Sur le plan fiscal, les avantages sont également à nuancer.
Le rappel du régime fiscal à maîtriser.
Compte tenu de ce principe de transmission « hors succession », donc « hors droits de succession », le législateur est venu limiter singulièrement cet avantage pour éviter :
Que les personnes âgées voyant arriver leurs derniers jours ne soient tentées de placer leur patrimoine sur ce type de support en pensant échapper à l’impôt de succession, c’est l’objet de la réforme datant de 1991,
Que des sommes importantes échappent trop facilement à l’impôt de succession quelque soit l’âge du souscripteur, c’est l’objet de la réforme datant de 1998.
Ce régime fiscal est très sommairement exposé dans le tableau qui suit. Il a fait l’objet de nombreux commentaires et interprétations, notamment en cas de modification de l’économie du contrat et auxquels nous renvoyons.
Primes versées avant le 13 octobre 1998 | Primes versées depuis le 13 octobre 1998 | |
Contrat souscrit avant le 20 novembre 1991 | Principe d’absence de taxation | Prélèvement de 20% après application d’un abattement de 152.500 € par bénéficiaire, sauf exonération totale pour le conjoint ou partenaire pacsé survivant |
Contrat souscrit depuis le 20 novembre 1991 mais primes versées avant 70 ans | Principe d’absence de taxation | Prélèvement de 20% après application d’un abattement de 152.500 € par bénéficiaire, sauf exonération totale pour le conjoint ou le partenaire pacsé survivant |
Contrat souscrit depuis le 20 novembre 1991 mais primes versées après 70 ans | Droits de succession sur la fraction des primes qui excède 30.500 € | Droits de succession sur la fraction des primes qui excède 30.500 € |
Le souscripteur sera particulièrement avisé de s’informer précisément des conséquences fiscales de la transmission par décès des capitaux placés.
Les nouvelles stratégies après les dernières réformes fiscales
La fiscalité successorale a connu de nombreux bouleversements ces derniers temps avec l’adoption du « paquet fiscal [i] » comprenant principalement :
L’exonération de droits de succession pour le conjoint survivant et le partenaire du défunt lié par un pacte civil de solidarité (PACS),
Le bénéfice d’un abattement de 150.000 € pour les donations et successions en ligne directe (parents, enfants, descendants), reconstitué tous les 6 ans en cas de donation.
Dans ces conditions, il est désormais possible de transmettre, de son vivant, et de manière échelonnée dans le temps, des sommes relativement importantes au profit de ses enfants ou descendants par le jeu des abattements.
Il faut également compter sur la possibilité d’effectuer des donations avec réserve d’usufruit (donation de la seule nue-propriété) qui permet de réduire la base taxable des droits de donation.
Ainsi, en cumulant tous les abattements possibles, un couple âgé de la cinquantaine ayant 3 enfants pourrait donner en une fois jusqu’à 900.000 € en pleine propriété et 1.800.000 € en nue-propriété.
D’autre part, en cas de décès et quelque soit désormais le mode de transmission, le conjoint survivant ou le partenaire pacsé demeure exonéré de taxation.
Sur le plan de la transmission patrimoniale entre parents et enfants ou entre conjoints, l’intérêt du contrat d’assurance-vie apparaît moins évident qu’avant.
Néanmoins, au vu de ces différentes règles, la fiscalité attachée au contrat d’assurance-vie (prélèvement de 20 %, abattement de 30.500 €) peut demeurer attractive, notamment pour les transmissions au profit de frères, sœurs, neveux, nièces et étrangers où les droits de succession excèdent très largement le taux de 20 %.
Dans certains cas, le souscripteur sera également bien avisé de mettre en place un démembrement de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie : cette technique permet de transmettre l’usufruit du capital d’assurance à une ou plusieurs personnes, et la nue-propriété de ce capital à une ou plusieurs autres. A cet égard, l’administration fiscale est venue préciser qu’au titre du prélèvement de 20 %, seul l’usufruitier du capital était redevable de cet impôt[ii]. Le nu-propriétaire en demeure exonéré. Dans ces circonstances, il est possible pour le souscripteur de transmettre l’usufruit du capital d’assurance-vie à son conjoint, qui disposera de son vivant de l’intégralité des sommes transmises en franchise totale d’impôt, puis au décès de ce conjoint, permettre aux nus-propriétaires de recouvrer la disposition de ces sommes, à nouveau en franchise de taxation.
Cette technique permet ainsi de transmettre sur deux générations un même capital en franchise d’impôts.
L’opportunité d’une clause bénéficiaire testamentaire
Rien n’interdit au souscripteur de renvoyer, dans son contrat d’assurance-vie, pour la désignation du bénéficiaire à un autre document, tel par exemple son testament. Bien au contraire !
Le souscripteur peut ainsi indiquer que les bénéficiaires du contrat sont ceux désignés dans son testament déposé dans un coffre ou chez son notaire.
Cette possibilité lui permet ainsi de bénéficier d’une plus grande souplesse de rédaction et notamment :
De garder secrète la désignation du bénéficiaire et d’éviter l’acceptation des capitaux par ce dernier, puisqu’un testament est toujours révocable,
De relater dans un document, maintenu secret et conservé dans d’excellentes conditions, l’intégralité des contrats souscrits et ainsi que leurs références, évitant que les capitaux ne soient jamais réclamés à défaut pour les héritiers d’en connaître l’existence,
De mettre en place un éventuel démembrement de clause bénéficiaire, en prévoyant en particulier des obligations de placement et d’emploi des fonds afin de sécuriser le mécanisme, tant sur le plan civil que fiscal,
De bénéficier d’un meilleur support pour organiser au mieux la destination des sommes transmises ; les capitaux pouvant servir par exemple, pour partie, au paiement des droits de succession auxquels seront tenus les héritiers. Cette stipulation présentera notamment un intérêt en cas de transmission d’un usufruit universel au profit du conjoint survivant, les autres héritiers ne bénéficiant d’aucune trésorerie pour acquitter l’impôt de succession.
Nombreuses sont les possibilités offertes pour organiser au mieux l’utilisation de l’assurance-vie dans une optique de transmission patrimoniale, pour peu que cette utilisation soit encadrée par des conseils avisés et circonstanciés car ne l’oublions pas … chaque situation est unique !
[i] Loi n°2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
[ii] Instruction fiscale du 12 janvier 2006, BOI 7 K-1-06.
Article paru dans LA GAZETTE DU NORD PAS DE CALAIS (www.gazettenpdc.fr) le 29 novembre 2007.