Information des salariés en cas de cession d’entreprise : quels enseignements tirer de l’arrêt du Conseil d’État du 8 juillet 2016 ?

Par Hubert Mroz, Diplômé Notaire.

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Explorer : # information des salariés # cession d'entreprise # droit de la vente # conseil d'État

Il s’agit du retour devant le Conseil d’État de l’affaire qui avait été soumise au Conseil constitutionnel (QPC du 17 juillet 2015) et qui avait soulagé les praticiens, à défaut de donner des solutions solides.

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Le Conseil constitutionnel avait déclaré les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 23-10-1 et les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 23-10-7 du Code de commerce contraires à la Constitution.
Il s’agissait des alinéas qui prévoyaient la possibilité d’annulation des cessions de parts ou actions réalisées en violation du droit d’information préalable des salariés. Désormais, la sanction peut atteindre 2% du montant de la vente (pour les cessions de parts ou actions, comme pour les cessions de fonds de commerce). Le juriste est soulagé, il ne pourra plus voir son acte annulé, mais les parties ne sont toujours pas rassurées.

L’objectif du recours devant le Conseil d’État était d’établir le point de départ du délai de 2 mois à compter duquel l’information des salariés doit avoir été faite.

Les articles du Code de commerce fixent un délai de « deux mois avant la vente ». Nous avions à plusieurs reprises déduit de cette terminologie l’impossibilité juridique de constater une vente par un contrat synallagmatique (protocole de cession, compromis etc.) même assorti de conditions suspensives diverses, avant de procéder à l’information des salariés. Seule une lettre d’intention unilatérale émanant du candidat acquéreur pouvait être imaginée.

Le décret du 28 octobre 2014, codifié (notamment article D141-3), précisait que la date de la vente devait être « entendue comme étant la date à laquelle s’opère le transfert de propriété ».

Problème : Pourquoi la date de la vente serait-elle, spécialement pour l’information des salariés, la date à laquelle s’opère le transfert de propriété ?

En effet, le Conseil d’État relève, au visa de l’article 1583 du Code civil, pierre angulaire de notre droit de la vente, promulgué en 1804 et non modifié depuis (!), que la vente est parfaite dès échange des consentements sur la chose et le prix, quelles que soit les modalités de livraison de la chose ou de règlement du prix. C’est la première incohérence du décret : il renvoie à une date qui peut tout à fait être incertaine.

Le Conseil relève également que l’article 1583 est supplétif de la volonté des parties. En effet, celles-ci peuvent tout à fait y déroger pour fixer différemment l’instant du transfert de propriété. C’est la seconde incohérence du décret : il omet la liberté des parties.

Enfin, le Conseil relève spécialement pour le cas présenté que, dans l’hypothèse d’une cession de valeurs mobilières, l’article L228-1 du Code de commerce, issu de l’ordonnance du 24 juin 2004 qui avait aligné les règles régissant les sociétés cotées et non cotées, le transfert de propriété n’intervient qu’au moment de l’inscription des valeurs mobilières au compte de l’acheteur, à la date fixée par l’accord des parties et notifiée à la société émettrice. C’est la troisième incohérence du décret : il ne tient pas compte de règles spéciales issues du droit des sociétés.

La sanction : sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés à l’appui des mêmes conclusions, la société requérante est fondée à soutenir que l’article 1er du décret attaqué est illégal en tant qu’il a inséré l’article D. 23-10-1 dans le Code de commerce.

Jeu sans enjeu ?
Le pouvoir réglementaire avait, dès le 28 décembre 2015, modifié par décret la rédaction de l’article D141-3 pour prévoir que la date de la vente devait être « entendue comme étant la date de conclusion du contrat ».

Cette modification est-elle juridiquement satisfaisante ? Oui et non.

Non : La conclusion du contrat n’est que le moyen de prouver une vente, et non la vente elle-même. Le contrat peut tout à fait faire rétroagir le transfert de propriété de quelques semaines ou quelques mois… Mais l’objectif était de rectifier le décret initial !

Oui : puisqu’il faut bien se référer à un évènement certain.
La date du contrat a le mérite d’être certaine puisqu’au mieux il est établi par acte authentique et il est daté de la date sa signature, et, au pire, il est enregistré auprès de l’administration fiscale (droits de mutation) qui lui confère date certaine… au jour de l’enregistrement !

L’arrêt traite aussi d’un moyen pour faire annuler l’article D. 23-10-2 du Code de commerce (7 modes de consultation des salariés), malheureusement rejeté par le Conseil d’État : la liste des modalités d’information serait de nature à rendre certaine la date de sa réception par les salariés. Nous resterons très réservés sur la question puisque nous rappellerons, par exemple, que le décret répute certaine la date « apposée par l’administration des postes ». Mais comme écrivait Franklin : « dans ce monde, rien ne peut être considéré comme étant certain, à part la mort et les impôts ».

Aussi vertueux que soit le sentiment qui incita, dans la langueur propre aux tièdes soirées d’été, le législateur à adopter ces dispositions, force est de constater que les aspects rédactionnels législatifs, et les aspects de mise en œuvre réglementaires, ont été très largement négligés.
Fort heureusement, eu égard à leurs conséquences quotidiennes pour la transmission d’entreprises, on constatera que les différentes juridictions en ont très vite pris la mesure.

Hubert MROZ
PROUVOST & Associés, notaires
Département Droit des Affaires

.prouvost-roubaix.notaires.fr

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 12 septembre 2016 à 18:19
    par Hibertus , Le 10 septembre 2016 à 10:36

    La vente d’une entreprise exige de la confidentialité pour ne pas générer des rumeurs en mesure d’être très ruineuses pour l’image de l’entreprise dans son univers. En effet, concurrents, clients, fournisseurs sont souvent des colporteurs d’informations visant dans un tel contexte à fragiliser volontairement ou indirectement l’entreprise. Une entreprise "en vente" peut créer dans le même temps une déstabilisation interne : le personnel pouvant craindre pour son avenir selon le secteur d’activité, l’ambiance interne existante, les fragilités chroniques ou conjoncturelles de l’entreprise..
    Tout repreneur potentiel a besoin de temps et de sérénité pour examiner l’intérêt de reprendre l’entreprise dans un contexte apaisé sans pression et sans halo anxiogène afin de bâtir une offre juste et argumentée, in fine négociée et acceptable par les cédants. Il va de soi que l’information des salariés de l’entreprise est nécessairement difficile à placer dans le temps : bien des candidats repreneurs échouent à boucler leurs plans de financement, butent sur les clauses ultimes à l’exemple de la garantie d’actif et de passif, changent de point de vue à l’examen des résultats des audits d’acquisition, entrent dans un bras de fer avec les cédants dans les derniers points du protocole de cession.
    En substance, tout peut achopper à l’heure des signatures définitives. On imagine dès lors les désillusions possibles à tous les niveaux avec les effets des incertitudes et des bruits de couloir auprès des salariés pendant ce temps de cheminement.
    Nos politiques sont de piètres connaisseurs des modes de fonctionnement des entreprises ce qui explique ici cette disposition peu gérable dans la vraie vie des entreprises. .

    • par h.mroz , Le 12 septembre 2016 à 18:19

      Cher Monsieur,

      Je partage parfaitement votre analyse, rappelant que l’objectif de la loi était de permettre aux salariés de présenter une offre de reprise.

      Ce processus est dénué de sens si le cédant a déjà contractualisé avec un tiers repreneur.

      Les praticiens et professionels de la transmission se doivent de partager leur expérience de "la vraie vie des entreprises" (je retiens l’expression !), pour parvenir (peut-être) à une révision judiciaire ou législative du texte.

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