Comment optimiser la gestion des délégations de pouvoirs en période de crise. Par Renalda Harfouche, Directeur Juridique

Comment optimiser la gestion des délégations de pouvoirs en période de crise.

Par Renalda Harfouche, Directeur Juridique

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Explorer : # gestion des délégations de pouvoirs # crise économique # responsabilité pénale # organisation d'entreprise

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INTRODUCTION

A – DE NOUVELLES EXIGENCES DUES AU CONTEXTE DE CRISE

La mis en place d’une chaîne de délégations de pouvoirs dans une entreprise n’est pas toujours aisée en soi compte tenu de la complexité du sujet. Toutefois, le contexte économique oblige à repenser une nouvelle distribution des pouvoirs au sein des entreprises et à anticiper, dans la mesure du possible, des changements soudains ou volontaires du paysage directionnel ou décisionnel suite notamment à des restructurations.
Cette nouvelle donne a un impact sur les délégations de pouvoirs mises en place par le dirigeant au profit de ses collaborateurs assumant des responsabilités de haut niveau.

D’où la nécessité de se doter de véritables outils de mise en place et de suivi des délégations de pouvoirs afin de pouvoir remédier à tout moment à une rupture de la chaîne de responsabilité pénale. Ceci est encore plus vrai dans des organisations dotées de structures décisionnelles complexes ou pour des activités intrinsèquement exposées au risque pénal.

Voici un bref rappel des conditions de validité des délégations de pouvoirs avant de rentrer dans le vif du sujet.

B – BREF RAPPEL DES CONDITIONS DE VALIDITE DES DELEGATIONS DE POUVOIRS

DEFINITION

La délégation de pouvoir est un acte par lequel le titulaire initial d’un pouvoir légitime (le délégant) habilite une autre personne (le délégataire) à prendre à sa place certaines décisions afin d’accomplir une fonction déterminée au sein de l’entreprise. Le délégataire peut à son tour déléguer une partie des pouvoirs qui lui ont été confiées à un sub-délégataire dès lors que celui-ci est pourvu de la compétence et investi de l’autorité nécessaire.

 Elle implique le transfert d’un pouvoir de décision et de la responsabilité pénale attachée à ce pouvoir et permet donc au chef d’entreprise de s’exonérer de sa responsabilité pénale en rapportant la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé. C’est donc le titulaire de la délégation qui encourt le risque pénal en cas d’infraction aux obligations qui lui ont été transférées.

CONDITIONS

Conditions liées à l’existence de la délégation : la délégation de pouvoirs doit être justifiée par l’impossibilité pour le dirigeant de surveiller l’application de toutes les réglementations liées à l’activité de son entreprise ; la délégation est admise dans de nombreux domaines (Finances, ressources humaines notamment hygiène et sécurité, concurrence, environnement, etc…), sauf si la loi l’exclut expressément.

Conditions liées au délégant : le délégant doit disposer de l’autonomie de décision et la plénitude des pouvoirs de direction.

Conditions liées au délégataire :

• Avoir un lien hiérarchique avec le délégant

• Etre doté de la compétence : elle est essentiellement technique et résulte d’une expérience dans le secteur concerné.

• Etre doté des moyens matériels, humains et financiers pour assumer réellement ses obligations.

• Etre doté de l’autorité vis-à-vis des personnes placées sous sa direction et disposer d’un pouvoir de commandement sur ses personnes.

Si ces conditions ne sont pas réunies, la délégation sera inopérante sur le plan pénal.

LIMITES

• Il n’est pas possible pour un délégant de déléguer tous ses pouvoirs.
• Le délégant ne doit pas s’immiscer dans l’activité du délégataire afin de ne pas affaiblir l’existence de la délégation.

• Il n’est pas possible de transférer une même responsabilité pénale à deux ou plusieurs personnes.

ANTICIPER LES BOULEVERSEMENTS D’ORGANIGRAMMES

C – COMMENT IDENTIFIER CORRECTEMENT LES ACTEURS DE LA DELEGATION DE POUVOIRS ?

La mise en place efficace d’une chaîne de délégations de pouvoirs (y compris des subdélégations) implique des étapes préalables qui sont incontournables :

 Le recensement des activités déployées par l’entreprise et qui seront déléguées ainsi que les risques pénaux attachés à chacune de ces activités : ceci implique la mise en place d’une véritable cartographie des activités et des risques relatifs à l’entreprise afin de faire le tri entre les risques délégués et les risques non délégués.

 La hiérarchisation des risques afin de mieux identifier les périmètres de responsabilités

 L’analyse de l’ensemble des textes législatifs et réglementaires liés aux activités déléguées ainsi que l’interprétation que les juges en font.

 La compréhension de l’organisation de l’entreprise et de ses « business units » : direction centrale unique v/s directions centrales transverses : quelles sont les personnes dotées d’un véritable pouvoir de décision et capable d’engager l’entreprise vis-à-vis des tiers ?

 La compréhension du système de management des risques l’entreprise : la gestion des risques, les différents réseaux impliqués dans la gestion et la veille du risque ainsi que les outils mis en place par l’entreprise pour contrôler les risques.

 L’établissement d’une fiche descriptive de poste concernant le délégataire avant toute mise en place d’une délégation qui devra faire apparaître principalement les rubriques suivantes :

 Le périmètre du poste : objectif/étendue/zone géographique/nombre d’établissements en charge en France et à l’étranger.

 Le rattachement hiérarchique et fonctionnel du délégataire.

 Les compétences du délégataire : qualification/niveau de salaire/ancienneté dans la fonction en général.

 Les moyens techniques, matériels et financiers mis à la disposition du délégataire : la capacité à engager des dépenses et à partir de quels seuils, équipements et matériels mis à sa disposition.

 L’autorité exercée par le délégataire sur ses équipes : nombre de salariés sous ses ordres/tâches et fonctions exercées par chaque collaborateur du délégataire/pouvoir d’embaucher du personnel/restrictions/moyens permettant de lui faire appliquer la réglementation dans le domaine qui lui est délégué (mesures conservatoires, pouvoir disciplinaire).
Cette fiche est indispensable pour bien rédiger la délégation et déterminer correctement l’identification des acteurs de la délégation.

D – METTRE EN PLACE UN MODE OPERATOIRE DE GESTION DES DELEGATIONS DE POUVOIRS

La mise en place d’un mode opératoire de suivi entre les différents services impliqués (DRH, Direction Juridique, ou autre direction administrative ou de contrôle) est essentielle pour la mise en place et le suivi des délégations de pouvoirs dans la durée, et ce afin notamment :

 D’être informé de l’arrivée ou du départ ou de l’absence prolongée d’un délégant/délégataire.

 De prévoir périodiquement des points sur l’exhaustivité des délégations mises en place et leur réalité par rapport à l’organisation de l’entreprise à un instant T.

 De réviser les délégations existantes en cas de changement de poste ou de périmètre d’un délégant/délégataire.

 De mettre en place en commun et mettre à jour un organigramme fonctionnel faisant apparaître la chaîne de délégation de pouvoirs existante à l’instant T.

 D’informer de la création d’une nouvelle filiale ou établissement et plus généralement d’une modification de l’organigramme du groupe.

 L’organigramme fonctionnel devra correspondre à la réalité décisionnelle et économique de l’entreprise.

 Il devra y a voir une adéquation constante entre l’organigramme fonctionnel et l’organisation sociétale.

En dehors de la veille juridique effectuée généralement par la direction juridique de l’entreprise, la direction juridique ou la direction des ressources humaines devraient participer à la formation ponctuelle ou régulière des cadres qui sont titulaires d’une délégation de pouvoirs afin de les familiariser ou les informer des aspects pénaux découlant de leurs obligations.

Ceci concourt à une gestion efficace de la délégation de pouvoirs et à sensibiliser le délégataire sur son rôle dans l’entreprise.

GERER LES BOULEVERSEMENTS D’ORGANIGRAMMES

E – DU POINT DE VUE DU DELEGATAIRE

Les délégataires peuvent être amenés à ne pas pouvoir assurer pendant une certaine période leurs obligations telles qu’elles auront été déléguées par le dirigeant. Plusieurs raisons peuvent conduire à une indisponibilité prolongée du délégataire (congés, maladie, mission à l’étranger, pilotage d’un projet particulier).

Une absence non prolongée du délégataire (période de vacances) n’est pas de nature à remettre en cause la délégation formalisée mais le délégataire devra s’organiser pour compenser son absence surtout si sa délégation comporte une obligation de surveillance opérationnelle et régulière (ex : supervision d’un chantier et de la sécurité des salariés affectés).

En revanche, une indisponibilité prolongée du délégataire du fait du délégant (pour des raisons autres que les congés) conduira le délégant à sécuriser sa délégation selon différents moyens. Trois options peuvent s’offrir à lui :

• La reprise des pouvoirs transférés au délégataire à titre temporaire ;

• L’extension provisoire de la délégation concernée à un autre délégataire de son choix sous réserve que ce nouveau délégataire dispose des conditions citées plus haut pour l’activité déléguée ;

• La désignation d’un nouveau délégataire, pour le périmètre de la délégation consenti initialement au délégataire indisponible, qui recevra provisoirement une nouvelle délégation de pouvoirs. Ce nouveau délégataire pourra disposer d’une formation spécifique (portée et enjeux de la délégation, points de vigilance…) si le besoin s’en fait ressentir.

Par ailleurs, il est fréquent, surtout en période de crise, que le délégataire connaisse une modification du périmètre de ses fonctions aussi bien dans le sens d’une extension que d’une restriction. Dans ce cas, le délégant devra veiller à :

• adapter et mettre à jour la délégation initiale, et

• circulariser l’information aux équipes du délégataire.

Toutefois, le délégant devra vérifier dans l’hypothèse où il souhaite restreindre le périmètre de la délégation octroyée à son délégataire, qu’une telle décision ne sera pas de nature à l’empêcher d’exercer sa fonction.

F – DU POINT DE VUE DU DELEGANT

La gestion du changement des délégants (PDG ou DG ou cadres supérieurs) se traduit principalement par la cessation de leurs fonctions dans l’entreprise. Dès lors, il est permis de s’interroger du sort des délégations consenties par les anciens délégants et à qui revient l’obligation d’actualiser les délégations existantes dans la mesure où le changement de délégant est la conséquence d’une décision prise par le représentant légal de la société.

Sous réserve que la désignation d’un nouveau délégant n’ait pas été précédée de changements majeurs au niveau de l’entreprise, c’est à la personne ayant succédé au délégant, de s’interroger sur le sort des délégations antérieurement consenties.

Plusieurs options s’offrent au nouveau délégant :

• Si le nouveau délégant souhaite invoquer les anciennes délégations consentis par son prédécesseur : il doit les confirmer individuellement à l’attention des délégataires. De même, il devra justifier avoir informé les délégataires concernés au moyen par exemple d’une circulaire.

• Si le nouveau délégant souhaite redéfinir le périmètre des délégations ou désigner de nouveaux délégataires, il devra alors rédiger ou réactualiser les délégations impactées par les changements organisationnels.
A défaut de confirmation ou de mise à jour des délégations préexistantes par le nouveau délégant, ce dernier est considéré comme ayant repris les pouvoirs antérieurement transférés et la qualité de responsable pénal et il ne pourra invoquer les délégations consenties par son prédécesseur comme moyen d’exonération de sa responsabilité pénale, d’où l’importance de préciser le sort des délégations antérieurement accordées.

CONCLUSION

La délégation de pouvoirs permet une meilleure organisation des responsabilités et des activités au sein d’une entreprise et peut constituer un véritable outil de prévention, de contrôle et de gestion des risques si les points suivants sont observés avec rigueur :

 Un audit préalable des activités et des risques de l’entreprise avant toute mise en place d’un système de délégations de pouvoirs.

 Une compréhension organisationnelle, matricielle et décisionnelle de l’entreprise et de ses filiales.

 Une connaissance précise du périmètre et des fonctions des personnes clés assumant des responsabilités auprès du dirigeant (d’où l’importance d’une fiche descriptive de poste du délégataire).

 Une réelle coopération entre les différents services chargés de mettre en place et de contrôler ces délégations : formaliser un mode opératoire et l’adapter ou l’améliorer si besoin est.

 Une formation et une assistance continue des délégataires sur les réglementations touchant à l’activité déléguée et aux sanctions encourues grâce notamment au concours des directions de support.

 Se doter de moyens performants pour contrôler à tout moment la chaîne et la traçabilité des délégations de pouvoirs afin d’éviter des ruptures dans la chaîne de délégations à un instant T (se doter par exemple d’un logiciel de gestion dédié aux contrôle des délégations de pouvoirs et d’un archivage fiable.)

 La mise à jour régulière de la cartographie des risques juridiques pour chaque domaine d’activités en indiquant la liste des infractions et leur indice de gravité afin de pouvoir adapter les moyens de gestion à la gravité de l’infraction.

Plus que jamais en période crise où les groupes connaissent incontestablement des bouleversements subis ou voulus, il est nécessaire de se doter d’outils performants et pertinents pour maîtriser la cohérence des délégations de pouvoirs avec le véritable mode d’organisation et le processus décisionnel de l’entreprise et assurer une veille juridique. Ces outils, eux aussi, participent à « sauver » la rentabilité et la performance d’une entité et par la même la crédibilité de ses dirigeants, car ne pas déléguer dans une structure complexe et décentralisée pourrait conduire à une faute du dirigeant.

Les outils mis en place devront être adaptables à des bouleversements inopinés des organigrammes et à la réalité des processus décisionnels. Ils devront s’inscrire dans une véritable gestion volontariste pour minimiser les risques liés à des infractions et mieux clarifier les rôles et les responsabilités, plutôt que de défausser le dirigeant d’une partie de ses responsabilités…

Renalda Harfouche

Directeur Juridique

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