Depuis l’ordonnance de 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, une succession de textes ont été adoptés par le Parlement afin d’encadrer les relations commerciales entre les différents acteurs économiques et, plus particulièrement, concernant les délais de paiement.
La directive adoptée par le Parlement Européen et le Conseil de l’Union Européenne le 29 juin 2000,
concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales, a, quant à elle, engendré
un mouvement législatif et règlementaire dont le but est de réduire les délais de paiement en Europe.
Cette évolution s’est faite en plusieurs étapes, de la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001
(1), au décret du 30 avril 2008 (3) en passant par l’instauration de délais maximaux de paiement dans certains
secteurs (2), la dernière en date étant, à ce jour, la loi de Modernisation de l’Économie du 4 août 2008 (4).
1) La loi NRE du 15 mai 2001 ou l’instauration d’un délai de principe
La loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite loi NRE, a institué un délai légal de paiement de
principe de 30 jours qui court à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la
prestation.
Cette disposition est supplétive de volonté, c’est-à-dire qu’elle s’applique à défaut de disposition contraire : les
partenaires économiques peuvent déroger à cette règle en insérant des délais plus courts, mais aussi plus
longs, dans leurs conditions de ventes ou par un accord convenu entre les parties (C. com., art. L. 441-6).
En théorie, cette liberté était encadrée par l’interdiction des pratiques discriminatoires ou abusives
(notamment, si elles sont sans rapport avec les risques liés à la solvabilité des acheteurs ou avec la rotation des
stocks), l’existence de telles pratiques pouvant conduire leur auteur à engager sa responsabilité civile.
En pratique, les délais pouvaient atteindre 90, voire 120 jours.
La Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC), instance consultative qui veille à l’équilibre
des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur, a émis en
2005 une recommandation en faveur de la réduction des délais de paiement. Selon elle, il était impératif de
limiter les délais de paiement abusifs. Elle entendait comme abusif le fait d’imposer un délai de règlement
supérieur au délai de principe de 30 jours et ce, sans raison objective.
La CEPC n’était toutefois pas en faveur d’une modification législative, mais préconisait une détermination des
délais de paiement abusifs par secteurs d’activité, par négociation entre les organisations professionnelles de
chaque filière.
C’est notamment dans ce cadre qu’un accord a été adopté le 24 janvier 2007 dans la filière automobile afin de
réduire, de manière progressive, les délais de paiement.
Pour autant, une telle négociation interprofessionnelle ne s’est pas généralisée.
2) La mise en place de délais maximaux de paiement dans certains secteurs
2.1. Le secteur des transports
La loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports, a introduit, au sein de
l’article L. 441-6 du Code du commerce, un délai maximal de paiement de trente jours à compter de la date
d’émission de la facture pour « les transports routiers de marchandises, pour la location de véhicules avec ou sans conducteur,
pour la commission de transport ainsi que pour les activités de transitaire, d’agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et
de commissionnaire en douane ».
Le non respect de ce texte étant sanctionné d’une amende pouvant s’élever à 15 000 €, il a été rapidement pris
en considération.
2.2. Le secteur des denrées alimentaires, du bétail sur pied et des boissons alcooliques
Un délai maximal de paiement de « trente jours après la fin de la décade de livraison » a été instauré pour les
livraisons de denrées périssables.
L’article L.443-1 du Code de commerce précise les denrées qui sont considérées comme périssables :
produits alimentaires périssables ;
viandes congelées ou surgelées ;
poissons surgelés ;
plats cuisinés et de conserves fabriqués à partir de produits alimentaires périssables, à l’exception des achats de produits saisonniers visés aux articles L.326-1 à L.326-3 du Code rural pour lesquels une liberté de négociation des délais de paiement a été maintenue.
En vertu du même article L 443-1 du Code de commerce, le délai maximal de paiement prévu pour les achats
de bétail sur pied destinés à la consommation et de viandes fraîches dérivées est, quant à lui, de vingt jours
après le jour de livraison.
Plusieurs délais maximaux instaurés en matière de boissons alcooliques sont repris à l’article L 443-1 du Code
de commerce :
un délai maximal de paiement de « trente jours après la fin du mois de livraison » pour les achats de
boissons alcooliques passibles des droits de consommation prévues à l’article 403 du CGI (savoir les
alcools dits « forts »),
un délai maximal de paiement de soixante-quinze jours après le jour de livraison pour les achats de
raisins et de moûts destinés à l’élaboration de vins ainsi que de boissons alcooliques passibles des
droits de circulation prévus à l’article 438 du CGI (savoir vins mousseux, champagne…). Ce délai
s’applique à défaut d’accords interprofessionnels rendus obligatoires par voie règlementaire et a été
réduit conformément à la loi LME (cf infra).
En cas de non respect par le professionnel des obligations prévues par l’article L. 443-1 du Code de
commerce, il encourt une amende pouvant atteindre 75 000 €.
3) Les marchés publics
Un décret, entré en vigueur le 29 avril 2008, a instauré un délai maximum de paiement dans les marchés
publics lorsque la personne publique se trouve en position d’acheteuse.
Le décret a été codifié au sein du Code des marchés publics en son article 98.
Ainsi, depuis cette date, les délais de paiement maxima autorisés sont les suivants :
1- trente jours pour l’État et ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et
commercial et autres que ceux mentionnés au 3- ;
2- quarante-cinq jours pour les collectivités territoriales et les établissements publics locaux autres que
ceux mentionnés au 3- ;
3- cinquante jours pour les établissements publics de santé et les établissements du service de santé
des armées.
Le non-respect de ces délais ouvre de plein droit et sans formalité, pour le titulaire du marché ou le soustraitant,
le bénéfice d’intérêts moratoires, à compter du jour suivant l’expiration du délai.
Le régime des marchés publics ouvrait ainsi la voie à une généralisation de la réduction.
4) La loi LME du 4 août 2008 ou la volonté affichée de rejoindre la moyenne européenne de 57 jours
4.1. La réduction légale du délai maximum
La loi de modernisation de l’économie, dite LME, prévoit en son article 21 une réduction des délais de
paiement.
Ainsi, le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues, pour les produits et services non visés
par des textes spéciaux (cf supra 2 et 3), ne pourra pas dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante
jours à compter de la date d’émission de la facture.
Les professionnels d’un secteur, clients et fournisseurs, pourront décider conjointement de réduire le délai de
paiement en dessous de ce nouveau seuil et de proposer de retenir la date de réception des marchandises ou
d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai et non la date
d’émission de la facture. Les accords conclus par les organisations professionnelles pourront être étendus à
l’ensemble des entreprises du secteur par décret.
La loi prévoit, également, la possibilité de dérogations exceptionnelles pour une durée limitée, afin de tenir
compte des spécificités sectorielles et de permettre une bonne application de cette réforme. En effet, un
accord interprofessionnel peut définir un délai de paiement maximum supérieur au seuil fixé par la loi, sous
réserve que les conditions suivantes soient remplies :
le dépassement du délai légal devra être motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques
à ce secteur (notamment, en raison des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la
situation particulière de rotation des stocks) ;
l’accord devra prévoir la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal ;
la durée de l’accord ne devra pas dépasser le 1er janvier 2012 ;
l’accord devra être reconnu, comme satisfaisant ces conditions, par décret pris après avis du Conseil
de la concurrence.
Un tel accord dérogatoire a notamment été adopté par les professionnels du bricolage et du jouet.
Par ailleurs, la loi prévoit de porter le taux minimal des pénalités de retard fixé par les parties de 1,5 fois le
taux d’intérêt légal à 3 fois ce taux.
A défaut de convention entre les parties, le taux des pénalités de retard serait égal au taux d’intérêt appliqué
par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré non plus de 7
points, mais de 10 points.
Enfin, par principe et sauf clause contraire, le délai légal de paiement reste fixé à trente jours à compter de la
date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation et ce, depuis la loi NRE (cf supra 1).
4.2. Application de ce nouveau dispositif dans le temps et dans l’espace
Sauf pour ce qui concerne la possibilité de dérogations exceptionnelles par accords professionnels, le nouveau
délai maximum de règlement est applicable aux contrats conclus après le 1er janvier 2009 et, pour les
commandes ouvertes, aux appels de commande postérieurs à cette date.
Par ailleurs, ce texte étant d’ordre public, le dispositif est naturellement applicable lorsque le droit français est
applicable à la relation commerciale.
En outre, il est envisageable qu’il soit reconnu comme étant une loi de police et soit, de ce fait, appliqué par
une juridiction française alors même que le droit français ne serait pas applicable.
De nouveaux développements, notamment jurisprudentiels, sont attendus sur ce sujet dans les prochaines
semaines.
4.3. Sanction
Tout délai de règlement supérieur au délai maximal prévu sera considéré comme abusif et donc susceptible
d’entraîner la responsabilité civile de celui qui l’aura fixé, ce qui pourra lui faire encourir une amende civile
d’un montant maximum de deux millions d’euros.
Par ailleurs, les sociétés dont les comptes annuels sont certifiés par un commissaire aux comptes devront
publier des informations sur les délais de paiement de leurs fournisseurs ou de leurs clients suivant des
modalités fournies par décret.
Ces informations feront l’objet d’un rapport du commissaire aux comptes qui l’adressera au Ministre de
l’Économie (DGCCRF) s’il apparaît des manquements significatifs et répétés aux nouvelles dispositions.
Le décret est attendu pour préciser les conditions de cette « information ».
Dans l’immédiat, il est étonnant de constater que le dispositif est nettement alourdi au détriment des sociétés
dont les comptes sont certifiés par un commissaire aux comptes…
4.4. Conséquences de la réduction
La réduction des délais de paiement sera loin d’être anodine pour les acteurs économiques.
Elle conduira indéniablement à harmoniser les délais de paiement en permettant d’éviter des discriminations à
l’égard de certains partenaires économiques, à renforcer la compétitivité des entreprises françaises et à
permettre aux créanciers de réaliser d’importants gains de trésorerie.
Toutefois, il convient de s’assurer que cette réduction des délais de paiement ne favorise pas démesurément
les acheteurs jouissant d’une grande puissance économique, lesquels seront tentés d’imposer, en contrepartie,
une réduction des prix d’achat pour compenser le déséquilibre de leur trésorerie.
A l’inverse, certains distributeurs dont l’activité nécessite d’avoir un stock large et dont la rotation des
produits est longue, tels que les libraires, pourraient se voir contraints d’emprunter afin de pouvoir honorer
leurs factures d’achat dans les délais imposés. Leur dette s’en trouverait accrue d’autant, ce qui freinerait le
développement de leur activité et la création d’emplois. Ils pourraient alors être obligés d’augmenter leurs
prix, ce qui aurait un impact direct sur le consommateur final.
Pour pallier cet effet vicieux d’un dispositif pourtant vertueux, les fournisseurs pourraient subir une pression
accentuée pour approvisionner les magasins en flux tendus…ou être tentés d’échapper à une disposition
française.
Une attention toute particulière devra donc être accordée à la mise en oeuvre de ce nouveau dispositif,
notamment dans le contexte économique actuel qui n’avait pas pu être pris en compte, à sa juste mesure, dans
le cadre des débats parlementaires…
Aurélie Dantzikian
Avocat
Lamy Lexel Avocats Associés
http://www.lamy-lexel.com/