Effets juridiques d’une promesse d’embauche acceptée, par Nadine Regnier Rouet

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Explorer : # promesse d'embauche # inexécution contractuelle # indemnités de rupture # contrat de travail

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Voici une décision complexe mais intéressante de la Cour de cassation qui

(1) rappelle à quelles conditions une lettre adressée par une entreprise à un candidat à un emploi est considérée comme une offre d’embauche ferme et définitive,

(2) expose quelles sont les conséquences pour les deux parties en présence en cas d’inexécution et,

(3) juge que le salarié a droit à l’ensemble des indemnités de rupture même s’il n’a pas eu l’occasion de démarrer son emploi.

La décision du 12 juillet 2010 (n°09-40507) concerne les faits suivants :
Le propriétaire, résidant allemand, d’un bien immobilier sis en France et où il compte emménager, adresse une lettre d’embauche à un jardinier gardien pour un emploi devant débuter le 1er juin 2003 sur cette propriété.

Par lettre du 10 février 2003, le propriétaire promet également par écrit un emploi de garde d’enfants à la compagne du jardinier gardien à compter du 1er juin 2004, date à laquelle il compte s’installer avec sa famille dans la propriété. L’échange de courriers précise en outre la nature de l’activité, les horaires et le salaire de la garde d’enfants et établit l’accord des volontés.

Unilatéralement, le propriétaire décale ensuite sa venue au 1er août 2004 sans que sa co-contractante ne réagisse. Cependant, se prévalant de l’existence d’un contrat de travail, qui aurait dû s’exécuter à compter du 1er juin 2004, la garde d’enfants refuse de prendre ses fonctions au 1er août 2004 en arguant d’une inexécution fautive du contrat de travail par l’employeur (par le mécanisme juridique de « prise d’acte ») et saisit le Conseil de Prud’hommes pour solliciter des indemnités de rupture aux torts de son employeur.

L’affaire jugée au CPH est ensuite portée devant la Cour d’appel de Toulouse qui déboute la salariée de ses demandes, le 9 avril 2008 en jugeant :
« que la lettre du 10 février 2003... qui fixe la nature de l’activité de la salariée, le temps de travail et le montant du salaire à compter du 1er juin 2004 constitue une promesse d’embauche ferme et définitive qui a été acceptée par l’intéressée, la date de début du travail étant reportée ensuite au 1er août 2004, que cette dernière n’a pas exécuté cette promesse d’embauche et n’a fourni aucune explication à cet égard ».

Ainsi, la salariée est jugée coupable de l’inexécution contractuelle et, non seulement la Cour d’appel ne lui accorde pas les diverses indemnités de rupture sollicitées par elle mais encore elle la condamne à verser 3.000 euros de dommages-intérêts à l’employeur pour réparer le préjudice subi par lui en raison de l’inexécution par elle de la promesse d’embauche.

La salariée se pourvoit en cassation ce qui donne lieu à la décision du 12 juillet 2010 qui casse l’arrêt d’appel justement pour avoir jugé que la salariée « n’a pas exécuté cette promesse d’embauche et n’a fourni aucune explication à cet égard ».

La Cour de cassation rappelle que la salariée « avait accepté la promesse ferme et définitive d’embauche…, ce dont il résultait qu’un contrat de travail avait été formé entre les parties… »

Elle applique alors aux faits la règle de l’article 1134 du Code civil (force exécutoire du contrat signé entre les parties) qui interdit que l’employeur modifie unilatéralement l’une des caractéristiques essentielles du contrat de travail : en l’espèce, il avait repoussé la date de début d’emploi. Très classiquement en droit du travail, la circonstance que la salariée ait gardé le silence sur cette modification du contrat de travail jusqu’à sa prise d’acte n’avait aucune influence sur son droit ultérieur à revendiquer l’inexécution du contrat par l’employeur.

La Cour précise que la Cour d’appel aurait dû examiner si la prise d’acte se justifiait et lui donner les conséquences, soit d’une démission, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans ce cadre, elle ne pouvait pas condamner la salariée à verser des dommages-intérêts à l’employeur « pour inexécution de la promesse d’embauche ».

La Cour de cassation considère que la prise d’acte a les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ouvre droit à des dommages-intérêts pour la salariée (en fonction du seul préjudice réellement subi et démontré par elle, puisqu’elle n’a pas d’ancienneté).

La Cour précise : « la circonstance que le contrat n’ait pas reçu exécution n’excluait pas que la salariée puisse prétendre au paiement d’une indemnité de préavis et des congés payés afférents ».

Par conséquent, la salariée obtient également une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents.

En conclusion, mon conseil est le suivant :

(1) Prendre garde aux écrits ! Le courrier du chef d’entreprise proposant un emploi et comportant le détail des conditions essentielles d’embauche engage l’entreprise à titre définitif dès lors que le salarié pressenti l’a accepté.

La rencontre des volontés opère création d’un contrat de travail qui doit s’exécuter aux conditions prévues. Toute marche arrière ou toute modification suppose ensuite l’accord des deux parties.

Si l’entreprise n’est pas certaine d’avoir besoin de pourvoir l’emploi offert, peut-être est-il judicieux de retarder l’offre ou de prévoir - dans le cas de postes liés à l’obtention d’un marché par exemple - quelle circonstance extérieure conditionne l’effectivité de l’offre d’emploi qui est faite ?

Une autre approche est de réserver la promesse d’embauche aux seuls emplois permanents que l’entreprise est certaine de devoir pourvoir pour son fonctionnement régulier.

Prévoir une clause de rétractation est possible mais elle jouera pour les deux parties et l’entreprise ne sera pas certaine des intentions du salarié pressenti, ce qui peut se révéler contradictoire avec la démarche de la promesse d’embauche !

Pensez que le salarié peut prendre son temps pour réagir… Or, votre démarche est basée sur votre besoin de visibilité en termes d’emploi. Prévoyez une date de validité de votre promesse d’embauche : si le salarié pressenti ne répond pas avant le …, la promesse sera caduque et il ne pourra plus s’en prévaloir.

(2) L’inexécution contractuelle engage la responsabilité de son auteur et s’il s’agit de l’employeur, ce dernier, s’il n’offre pas le poste convenu, encourt la condamnation au paiement des indemnités de rupture prévues pour licenciement abusif (puisque contrat de travail il y a).

Ces indemnités incluent le préavis et les congés payés afférents au préavis même si le salarié n’a pas eu l’occasion de débuter son emploi. Lourde peine !

(3) On voit dans cette affaire une illustration de la lenteur de la justice en raison de l’encombrement des tribunaux : des faits datant de 2004 font l’objet d’une décision de la Cour de cassation en 2010 qui renvoie les parties devant une deuxième Cour d’appel qui devra donner la décision définitive dans cette affaire, au mieux en 2011 !

N’oublions pas également que ce marathon judiciaire cause des dégâts en termes financiers et en termes de temps passé, tant pour le salarié que pour l’employeur. Or, beaucoup de salariés ont des moyens financiers limités, surtout lorsqu’ils perdent leur emploi, et beaucoup d’employeurs sont des PME ou des TPE, des commerçants ou des artisans, débordés de travail et dont la trésorerie est si faible que le risque contentieux peut être catastrophique puisque synonyme de dépôt de bilan…

Dans ce type de litige, le diagnostic juridique approprié, donné le plus en amont possible, par un praticien du contentieux prud’homal, est à privilégier afin que chaque partie soit informée sur les différentes options qui s’offrent à elle et prenne ainsi la décision qui convient à ses objectifs et à son patrimoine.

Nadine REGNIER ROUET

Avocat à la Cour spécialisé en droit social

Certificat de spécialisation Droit Social du Barreau de Paris

Site : http://www.n2r-avocats.com

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