Facebook rendrait-il l’homo numericus éternel ?

Par Valentin Chuekou, Juriste.

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Explorer : # données personnelles # confidentialité # réseaux sociaux

Avec l’évolution numérique, l’homo sapiens sapiens cède de plus en plus la place doucement, mais surement à l’homme nouveau et moderne, l’homo numericus. Sa planète par excellence est Facebook réseau social planétaire d’environ « 1,056 milliard d’utilisateurs actifs dont 680 millions sur mobile ».

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Comme tout homme, l’homo numericus, naît le jour de la création d’un compte numérique notamment sur Facebook. Mène une vie numérique, au cours de laquelle il échange un nombre important de ses données personnelles avec ses amis et/ou les amis de ses amis, puis un jour vient la fin où il décède. Mais seulement, qu’advient-il de sa page Facebook après son décès ?

Les dispositions proposées par Facebook

En réponse à cette question, Facebook répond : « lorsqu’un utilisateur décède, nous transformons son compte en compte de commémoration pour protéger sa confidentialité… ». En effet, après le décès d’un proche, il suffit juste de remplir un formulaire de déclaration de décès proposé par Facebook en y joignant une preuve de décès. Les caractéristiques d’un tel compte sont : personne ne peut plus s’y connecter à et aucun nouvel ami ne peut être accepté ; selon les paramètres de confidentialité du compte de la personne décédée, ses amis peuvent partager leurs souvenirs sur le journal de commémoration ; tout le monde peut envoyer des messages privés à la personne décédée ; les contenus qui ont été partagés par la personne décédée (par ex. : les photos, les publications) restent sur Facebook et sont toujours visibles par les personnes avec qui ils ont été partagés, les journaux de commémoration n’apparaissent pas dans la section « Vous connaissez peut-être » ni dans les autres suggestions.

Comme on le voit, Facebook ne propose malheureusement pas la suppression définitive du compte d’un utilisateur décédé et en pratique, la procédure de mutation du compte utilisateur en compte de commémoration a de nombreuses lacunes et ne se passe pas toujours avec succès. Plusieurs mois après la perte d’un des leurs, les amis du défunt peuvent toujours continuer de recevoir dans le chagrin et l’amertume, des notifications leur suggérant de souhaiter un joyeux anniversaire à ce dernier pourtant disparu depuis des lustres. Très douloureux n’est-ce pas ?

Tel est le cas d’un fait survenu au Brésil et relaté par BBC. Après le décès de sa fille unique Juliana Ribeiro Campos morte à 24 ans de suite d’une complication chirurgicale, Mme Campos, après une longue démarche amiable infructueuse auprès de Facebook visant à fermer définitivement et complètement la page Facebook de sa fille décédée, a déposé une plainte devant le tribunal de l’Etat du Mato Grosso do Sul au motif pris de ce que « les messages, les chansons et les photos postées par des amis et la famille lui causent une détresse extrême ». Pour elle, la page de commémoration est un « mur de lamentation  » lugubre et ignoble.

Une menace du droit à la dignité humaine

Dans ses différentes décisions rendues les 19 Mars et le 10 Avril 2013 après sa saisine, le juge Vania de Paula Arantes motive que le fait pour Facebook de maintenir actif le profil de la défunte à travers une « page de commémoration  » va à « l’encontre du droit à la dignité humaine et inflige de grandes souffrances à la mère attristée » et par la suite, a ordonné la « fermeture immédiate » de la page Facebook querellée. La mère éplorée, tente toujours de faire appliquer la décision par Facebook.

Comme quoi, sur Facebook, l’homo numericus est éternel, il traverse les temps et les âges et reste bon gré, malgré, présent parmi les siens. Cette vie numérique éternelle que confère Facebook amène à nous interroger sur la résistance de Facebook à fermer définitivement la page d’un utilisateur décédé. Pourquoi cela cloche-t-il ?

Un réseau perfectible

Max Schrems, un jeune autrichien de 25 ans étudiant en Droit, dont les travaux et l’engagement pour la transparence sur Facebook ne sont plus à démontrer, a été surpris, après avoir sollicité et pris connaissance sur le fondement de la Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, que les informations dont le réseau social conservait sur lui, de même que les données supprimées étaient soigneusement archivées par Facebook. La «  taille du fichier PDF lui concernant faisait plus de 1220 pages », constituée pour la plupart des informations qu’il avait supprimées du réseau social. Et depuis lors, il a adressé 22 plaintes à l’autorité de protection des données en Irlande, où se trouve le siège européen de Facebook. D’après ses recherches, Facebook nous « fait croire » que nous pouvons « supprimer  » nos « échanges, et en fait non ».

En réalité bien que Facebook, propose des possibilités de désactivation et de suppression de comptes, il pratiquerait exclusivement la désactivation de comptes, c’est-à-dire, leur mise en veille. Le compte supprimé existe bel et bien mais reste tout simplement inactif. Cela s’expliquerait par la structure en anneau du réseau Facebook où chaque personne se connecte à une dizaine d’autres en élargissant l’anneau. Le retrait ou la défaillance d’un seul membre du réseau, écroulerait le reste de la structure du réseau et ce pourrait être la fin de Facebook et fatalement, l’extinction de l’homo numericus qui n’est pas pour bientôt.

Valentin CHUEKOU
Juriste : - Propriété intellectuelle et Nouveaux médias. - Droit du Sport (DU).
Université de Montpellier 1 - (Créations immatérielles)
www.chuekouvalentin.over-blog.com

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  • par Erika D. , Le 6 octobre 2013 à 10:28

    Excellente analyse, félicitations ! N’empêche qu’au-delà de Facebook, c’est toute la toile qui immortalise l’humain... En effet, qu’advient-il de toutes nos données enregistrées sur tous les sites ? Nos occurrences sur Google pour ne citer que cela, ne disparaissent pas à notre mort, et les résultats de recherche de notre nom seront toujours présents... Mais est-ce réellement un problème ? Nonobstant l’épreuve traversée par les proches du défunt qui n’est pas des moindres, la volonté du surfeur du web2.0 et pire encore du web 3.0 est-elle de disparaître du monde virtuel après sa mort réelle ? L’on pourrait s’interroger sur l’intention de celui qui s’inscrit... "Les paroles s’envolent mais les écrits restent"...y compris sur Facebook. Merci d’avoir ouvert le débat !

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