Par une décision en date du 29 juin 2011, la Cour de cassation prouve qu’elle s’est fixée cette exigence.
En effet, elle encadre, voire limite avec rigueur, le régime des sanctions en matière de harcèlement.
Restant ainsi mesurée, la Cour de cassation saisit cette occasion pour rappeler et préciser l’exigence de célérité d’intervention de l’employeur dans ce domaine (I). La Cour de cassation démontre ainsi son attachement à la prévention et la répression du harcèlement au travail, tâche qui incombe, à l’échelle de l’entreprise, à l’employeur (II). Cette décision est ainsi l’occasion de rappeler, outre les obligations des chefs d’entreprise, les différents recours de la victime (III) qui pourra demander à l’employeur, responsable de plein droit en matière civile, des dommages et intérêts.
I. Prescription et sanctions du harcèlement au travail : l’exigence de célérité d’intervention de l’employeur.
Dans cette affaire, un employeur avait eu connaissance de l’existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel, sur son lieu de travail, lorsqu’il avait été renvoyé devant le Conseil des prud’hommes, saisi par une salarié aux fins de dommages et intérêts.
Plus d’un an après, le Conseil des prud’hommes ayant déclaré les faits de harcèlement constitués, l’employeur a licencié pour faute grave l’auteur des faits.
Contestant son licenciement, le salarié a obtenu gain de cause.
La Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel faisant application de la règle de principe selon laquelle toute procédure disciplinaire doit être engagée dans un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits sanctionnés [1]. La Cour de cassation précise dans cet arrêt que le délai court à compter de la seule existence éventuelle des faits objets de la sanction. Le licenciement pour faute était ainsi en l’espèce tardif, il a alors été requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au-delà de la première lecture, cette décision se révèle comme participant de la protection de tout salarié victime de harcèlement. En effet, la Cour de cassation précise que l’employeur doit « effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d’avoir, sans attendre l’issue de la procédure prud’homale l’opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés et de prendre les mesures appropriées ».
La victime du harcèlement est ainsi protégée. L’employeur doit faire preuve d’une grande célérité d’action, à défaut, il peut être condamné à verser des indemnités à l’auteur des faits sanctionnés sans que les règles procédurales ne soient respectées.
Cette décision s’inscrit ainsi totalement dans la politique du législateur qui tend à responsabiliser l’employeur afin de créer un environnement de travail sain. À ce titre, le Code du travail a mis à la charge de l’employeur plusieurs obligations.
II. Les obligations de l’employeur en matière de harcèlement.
Il est des atmosphères de travail qui sont des terrains fertiles pour les pratiques de harcèlement. Prenant conscience que le harcèlement était davantage susceptible de naître dans un contexte organisationnel et fonctionnel qui lui était propice, le législateur a entendu, en 2002, responsabiliser l’employeur quant à l’environnement de travail, et ce tant au titre de la prévention qu’au titre de la répression.
L’obligation de l’employeur de prévenir le harcèlement au travail.
Selon l’article L1152-4 du Code du travail « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ». Ne détaillant pas les outils de prévention attendu, le législateur laisse le chef d’entreprise libre mais aussi isolé pour appliquer cette disposition. À titre d’exemple, il peut être suggéré de mettre en place des formations destinées au personnel encadrant.
À titre d’obligation générale également, l’article L 4121-1 du Code du travail dispose « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
Plus spécifiquement, le Code du travail précise quelles obligations doivent être respectées par l’employeur au titre de la lutte contre le harcèlement. Sans prétendre à aucune exhaustivité, il peut en être rappelé trois.
L’employeur doit mettre en place une politique de prévention [2]. Il s’agit d’ « organiser les conditions de travail de manière à ce qu’elles favorisent la bonne santé des travailleurs, à la fois dans l’exercice de leur travail mais plus globalement dans le temps passé dans l’entreprise » [3].
Dans les entreprises d’au moins vingt salariés, l’employeur est tenu d’établir un règlement intérieur. Celui-ci doit alors rappeler les dispositions relatives à l’interdiction de toutes pratiques de harcèlement moral ou sexuel [4]. Il est conseillé au titre de cette obligation de ne pas uniquement reproduire le texte de loi mais aussi de détailler les comportements répréhensibles afin de circonstancier la loi à l’entreprise dans laquelle elle viendra à s’appliquer.
Le document unique d’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs [5] doit inclure la problématique du harcèlement moral qui menace toute entreprise.
Il convient de noter que l’employeur n’assure pas seul la prévention du harcèlement moral. Les institutions représentatives du personnel partagent cette mission, notamment et surtout le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). Cependant sa création n’est obligatoire que dans les établissements d’au moins cinquante salariés. Il dispose pourtant de prérogatives puissantes et adaptées :
Le CHSCT procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les salariés de l’établissement, ainsi qu’à l’analyse des conditions de travail [6].
Il contribue à la promotion de la prévention des risques professionnels et suscite toute initiative qu’il estime utile dans cette perspective [7]. Le refus de l’employeur doit être motivé.
Toute disposition du règlement intérieur concernant le harcèlement moral ne peut être introduite dans le règlement intérieur qu’après avoir été soumis à l’avis du CHSCT [8].
Le CHSCT peut faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave, tel le harcèlement moral, est avéré [9].
Il s’agit d’autant d’outils permettant de protéger, en amont, tant les victimes futures éventuelles du harcèlement que l’employeur civilement responsable de plein droit en la matière. Les entreprises de moins de cinquante salariés en sont néanmoins privées, à moins de se regrouper, ce qui reste exceptionnel.
Ainsi, quelle que soit la taille de l’entreprise et a fortiori si l’entreprise comporte moins de cinquante salarié, l’employeur doit respecter de manière appliquée l’ensemble des dispositions précitées qui le concernent. Il convient d’espérer qu’il en naîtra une atmosphère dans laquelle il sera aisé pour tout employé d’informer les personnes compétentes des faits dont il est victime. L’employeur informé aura alors l’obligation de réprimer.
L’obligation de l’employeur de réprimer le harcèlement au travail.
Au titre de la répression, l’employeur a l’obligation de sanctionner disciplinairement tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral [10]. La jurisprudence, comme exposé précédemment, précise que les enquêtes et investigations à l’origine de toute sanction doivent intervenir dès le stade du soupçon par l’employeur des faits de harcèlement. L’employeur doit réagir sans attendre la confirmation par une source extérieure des faits de harcèlement. La procédure disciplinaire doit en effet être engagée dans le délai de deux mois à compter de la connaissance éventuelle par l’employeur des actes reprochés. À défaut, la sanction peut être invalidée ou requalifiée.
Reste à préciser que le délai ne saurait courir à compter de la date des faits, seule est prise en compte la date de la connaissance éventuelle de l’employeur. De même, la connaissance d’un fait nouveau vient proroger le délai.
L’employeur est ainsi responsabilisé dans la lutte contre le harcèlement au sein de sa société. Sa responsabilité est également affirmée sans limite au travers des recours offerts à la victime de harcèlement.
III. Les recours de la victime de harcèlement au travail : éclairage sur la responsabilité de l’employeur.
Une victime de harcèlement moral peut agir tant sur le terrain civil que sur le terrain pénal.
En droit pénal, deux infractions ont été édictées :
L’article L1155-2 du Code du travail dispose : « Les faits de harcèlement moral et sexuel, définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, sont punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 € » ;
Selon l’article 222-33-2 du Code pénal, « Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende ».
Ainsi sur le fondement de l’une ou de l’autre disposition précitée, la victime pourra porter plainte :
contre l’auteur du harcèlement, salarié ou employeur ;
contre l’employeur, qui peut être reconnu complice dans des cas circonstanciés dont il conviendrait de débattre plus en détails ;
contre la société personne morale dans laquelle le salarié a été victime dès lors que les faits ont été commis pour son compte par un de ses organes ou représentants.
L’action devant les juridictions pénales sera souvent l’occasion de demander des dommages et intérêts à l’auteur du harcèlement.
Sur le plan civil, l’action de la victime sera engagée bien souvent devant le Conseil des prud’hommes :
soit parce qu’elle entend prendre l’initiative de la rupture de son contrat de travail ;
soit parce qu’elle a été licenciée et entend alors demander la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse en établissant la preuve que les faits qui lui sont reprochés ont pour cause des faits de harcèlement.
À l’occasion de l’instance devant le Conseil des prud’hommes, une réparation du dommage est bien souvent demandée à l’employeur. Ce dernier est tenu d’une obligation de sécurité de résultat. La jurisprudence a en effet construit une responsabilité sans faute de ce dernier qui s’est renforcée au fur et à mesure des années [11].
Ainsi la Cour de cassation déclare en 2010 « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés, manque à cette obligation dès qu’un salarié est victime sur le lieu de travail de violences ou d’un harcèlement sexuel et moral exercés par un autre salarié, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements. » [12]. L’employeur engage ainsi sa responsabilité de plein droit. Il ne peut s’en exonérer en démontrant qu’il a respecté l’ensemble des obligations auxquelles il était tenu en matière de prévention de harcèlement (celles précédemment étudiées), ni plus généralement en démontrant qu’il n’a commis aucune faute.
Seule la preuve d’une cause étrangère pourra l’exonérer. [13].
Le salarié victime d’un harcèlement pourra ainsi obtenir indemnisation de son préjudice non seulement en demandant réparation à l’auteur du harcèlement mais aussi à son employeur [14].
Si le Conseil d’État semble plus réticent que la Cour de cassation pour qualifier des agissements de harcèlement moral. [15], il a également consacré la responsabilité de plein droit de l’administration à l’égard d’un agent victime. Ainsi le préjudice de ce dernier doit être « intégralement réparé » et ce sans « qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables ». La responsabilité de plein droit de l’employeur en matière de harcèlement est ainsi la règle de principe tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Face à cette responsabilité de plein droit, l’employeur condamné à réparer le dommage causé par son subordonné, auteur du harcèlement, pourrait envisager d’engager une action civile contre ce dernier afin de se voir rembourser les sommes engagées. Si, et seulement si, l’employeur n’a commis aucune faute, le Tribunal pourrait faire droit à sa demande, l’auteur des faits assumant alors la charge définitive de la réparation du dommage [16]. Cependant, aucune jurisprudence en ce sens n’a pu être relevée à ce jour …