Hospitalisation d'office : le modèle de la procédure pénale est-il pertinent ? Par Marc-Antoine Julien, Docteur en droit.

Hospitalisation d’office : le modèle de la procédure pénale est-il pertinent ?

Par Marc-Antoine Julien, Docteur en droit.

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Explorer : # hospitalisation sous contrainte # procédure pénale # droits des patients # expertise psychiatrique

Depuis la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, complétée par la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013, les Barreaux se sont organisés pour mettre en place des permanences dites "HO". Ces dernières sont largement construites sur le modèle de la permanence garde à vue et les avocats pénalistes sont en première ligne. Mais quand la logique juridique rencontre celle du psychiatrique, la mise en oeuvre des règles procédurales s’avère chaotique.

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L’intervention de l’avocat dans la procédure d’hospitalisation d’office poursuit un but légitime. En effet, cette procédure a pour effet de priver, ou du moins limiter, la liberté d’aller et venir d’une personne sans son consentement. En tant que privation d’une liberté fondamentale, elle doit, en contrepartie, répondre aux garanties du procès équitable et préserver un certain nombres de droits, et in fine, le modèle de la procédure pénale. C’est cette même logique qui maintient la différence fondamentale entre la garde à vue et l’audition libre. Le noeud gordien étant la contrainte.

Cette "pénalisation" de la procédure d’hospitalisation sous contrainte a pour effet de faire intervenir des acteurs propres à la procédure pénale : l’avocat, le Ministère public et le Juge des Libertés et de la Détention (JLD). S’opère alors une rencontre du troisième type : les logiques de la procédure pénale versus les logiques du psychiatrique.
Cette rencontre ne va pas sans quelques difficultés et sans quelques hiatus. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous souhaitons ici rendre compte des difficultés évoquées par des avocats ayant fait retour de leurs expériences au Barreau de la Rochelle.

1) L’impossibilité pratique de s’entretenir avec le client.

L’article L.3211-3 du Code de santé publique précise que la personne faisant l’objet d’une hospitalisation sous contrainte dispose du droit d’obtenir conseil de la part d’un avocat. En outre, ce dernier intervient obligatoirement à l’audience (se voulant contradictoire) devant le JLD susceptible d’intervenir dans la procédure [1]. Derrière cette intervention protectrice des droits se cache une réalité pratique.
La logique psychiatrique implique le soin. Or le soin implique des médicaments. Ces derniers ont bien souvent pour effet de réduire les capacités cognitives des patients ou de les placer dans des états de somnolence importante. Aussi, l’avocat peut certes s’entretenir avec son client, mais ce dernier n’est pas toujours en état de s’exprimer ni de suivre une conversation. Il n’a pas forcément bien conscience de l’endroit où il se trouve et il peut s’avérer incapable de saisir les enjeux de la procédure dont il fait l’objet.

En outre, lorsque le client est en capacité de s’exprimer, soit en raison d’une absence de traitements médicamenteux, soit en raison d’un traitement ne réduisant pas substantiellement ses facultés mentales, il peut demeurer sous l’empire du trouble mental qui a justifié l’hospitalisation d’office. L’avocat se retrouve ainsi face à une personne délirante, là encore insusceptible de comprendre les enjeux juridiques de sa situation.
A cet égard, les expériences relatées par les avocats laissent entrevoir une certaine détresse qui peut naître du fait de se trouver ainsi confronté à des personnes atteintes de troubles mentaux. L’avocat n’est ni formé, ni préparé à amorcer un dialogue avec eux. Le risque étant que les permanences "HO " soient redoutées par les avocats.

2) L’impossibilité pratique d’évaluer la pertinence des expertises psychiatriques.

La procédure d’hospitalisation sous contrainte doit, pour être légale, s’appuyer sur des expertises psychiatriques (2 au minimum, et au moins 1 doit être faite par un psychiatre extérieur à l’institution concernée) et des certificats médicaux (dont au moins 1 est bien souvent fait par le médecin traitant) élaborés durant une période d’observation de 72 heures [2]. A charge pour l’avocat de permanence de vérifier le cadre règlementaire qui en résulte et de faire valoir, éventuellement, une nullité de procédure devant le JLD intervenant à l’issu du délai de 12 jours [3], si ce dernier n’est pas respecté.

Finalement, il apparaît au regard de la pratique que l’intervention de l’avocat se réduit à une vérification des délais et des mentions légales des différentes expertises. Il lui est totalement impossible d’apprécier le bien fondé de la mesure à partir des expertises qui lui sont incompréhensibles. D’une part, en raison du vocable psychiatrique lui-même et d’autre part, en raison d’une absence de formation de l’avocat. Ici encore, l’expert psychiatre est en position de monopole au même titre que dans l’appréciation de la dangerosité en matière d’exécution des peines [4].

3) Le Juge des libertés et de la détention impuissant.

Qu’en est-il du JLD dont le rôle est également d’apprécier que la mesure de contrainte est justifiée au regard de la situation ? Il n’est pas non plus le "bon interlocuteur". Dans ses fonctions "classiques", issues de la procédure pénale, il est formé à apprécier la nécessité d’une détention provisoire et d’un contrôle judiciaire. A cette fin, il prend en compte des variables telles que le risque de non-représentation du prévenu, le dépérissement des preuves, la dangerosité du prévenu, autant de logiques propres à la procédure pénale, fondées sur la commission d’une infraction.

Rien de tel dans la procédure d’hospitalisation d’office. Dans la mesure où la contrainte n’est pas fondée sur la commission d’une infraction, le JLD perd ses repères classiques. Le Code de santé publique dispose que les " restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée" [5]. Ces notions sont étrangères au JLD. Seule la dangerosité de la personne est une donnée sur laquelle il peut prendre sa décision.
Mais là encore, il s’agit de la dangerosité au sens médical et non la dangerosité criminologique [6] sur laquelle au moins 2 experts psychiatres se sont exprimés. Peut-on véritablement imaginer un JLD qui s’opposerait à l’avis de ces experts ?

4) Et le Procureur de la République dans tout ça ?

Le dispositif des lois de 2011 et 2013 fait également intervenir le Procureur de la République qui, malgré les incertitudes relatives à son statut, reste une autorité judiciaire au sens de notre Constitution. En tant que tel, il faut encore le voir comme un acteur garant des libertés individuelles. Mais, au même titre que le JLD, son intervention dans la procédure d’hospitalisation sous contrainte reste inefficace à cet égard.

Il peut soit être à l’initiative de la saisine du JLD pour faire cesser la mesure [7], soit à l’inverse, exercer un recours suspensif à l’encontre de la décision du JLD qui aurait prononcé la main levée de la mesure [8]. Dans la réalité, le Ministère Public s’en rapporte aux conclusions des expertises psychiatriques, n’étant pas lui-même, à l’instar du JLD et de l’avocat, en mesure de porter un jugement médical de la situation.

Cette réaction est d’ailleurs un classique chez le Procureur de la République. En effet, avec la loi du 5 mars 2007 [9], il s’est vu confier un rôle d’appréciation de l’opportunité dans les procédures de protection juridique sur demande des tiers. La DACS a immédiatement invité les procureurs de la République à s’en tenir aux conclusions des expertises psychiatriques [10].

En conclusion.

Du point de vue de l’avocat, la question est alors de savoir quoi plaider devant le JLD. Ni le procureur, ni le JLD ne remettront en cause les expertises psychiatriques si ces dernières ne sont pas contradictoires. L’avocat lui-même, après avoir passé quelques minutes avec son client, peut avoir des doutes légitimes quant à la nécessité de faire cesser la mesure. En outre, comment s’assurer de la volonté de la personne faisant l’objet de la mesure alors même qu’il s’agit de partir du postulat que cette dernière n’est pas en mesure d’exprimer son consentement ?

Quoi qu’il en soit le mécanisme prévu par les lois de 2011 et 2013 n’est pas, dans son principe même, contestable. Ce qu’il faut néanmoins comprendre c’est qu’en pratique il ne suffit pas que l’ avocat, le JLD ou le Procureur de la République interviennent pour assurer les droits des malades sous contrainte. Encore faut-il que ces derniers possèdent la formation nécessaire pour saisir les particularités des enjeux propres à cette mesure, sans quoi la rencontre entre le modèle de la procédure pénale et la procédure d’hospitalisation sous contrainte restera chaotique.

Marc-Antoine Julien
Docteur en droit privé et sciences criminelles
Lauréat du prix Vendôme 2015

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Notes de l'article:

[1Voir infra.

[2Article L3211-2-2 CSP.

[3Article L3211-12-1 CSP.

[4Caroline Protais et Delphine Moreau, « L’expertise psychiatrique entre l’évaluation de la responsabilité et de la dangerosité, entre le médical et le judiciaire. Commentaire du texte de Samuel Lézé », Champ pénal/Penal field [En ligne], Séminaire du GERN "Longues peines et peines indéfinies. Punir la dangerosité" (2008-2009), mis en ligne le 03 mars 2009.

[5Article L3211-3 CSP.

[6Distinctions opérées notamment par P. PONCELA, « Promenade de politique pénale sur les chemins hasardeux de la dangerosité. » dans Paul Mbanzoulou, Hélène Bazex, Olivier Razac et Joséfina Alvarez, Les nouvelles figures de la dangerosité, L’Harmattan, Sciences criminelles, 2008, p. 93.

[7Article 3211-12 CSP.

[8Article L3211-12-4 CSP.

[9Loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique de majeurs (no 2007‐308).

[10Circulaire de la DACS no CIV/01/09/C1 du 9 février 2009 relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs
NOr : JUSC0901677C.

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 24 décembre 2017 à 10:13
    par Tortuga , Le 23 juillet 2015 à 14:49

    Si le vocabulaire utilisé par les experts psychiatres est si obscur, c’est aussi parce que ces derniers ne souhaitent pas être compris. Ils pourraient en effet faire preuve de plus de pédagogie, et mieux détailler les preuves médicales qui amènent leurs conclusions.

    Mais être compris, c’est prendre le risque d’être contredit. La situation actuelle où les experts psychiatres ne peuvent être compris que par d’autres experts leur convient tout à fait car du coup ils décident seuls.

    • par Géraldine , Le 9 septembre 2015 à 11:02

      Article très intéressant mais je me permet d’émettre une nuance au commentaire précédent. Je suis infirmière en psychiatrie et je comprend tout à fait la difficulté pour les avocats d’intervenir auprès de patients souffrant de troubles psychiatriques quand ils n’ont pas eu de formation spécifique à ce sujet.
      Mais je souhaite préciser que les médecins psychiatres ne font pas de certificats médicaux avec des termes compliqués pour éviter d’être contredit par vous les avocats, mais parce que nous utilisons tous les jours cette sémiologie psychiatrique.
      Vous avez aussi des termes spécifiques en droit que la plupart de la population ne comprend pas, il en est ainsi, aussi, dans le domaine psychiatrique.
      Je pense qu’il ne faut pas hésiter à dialoguer entre personnels soignants et avocats si il y a une incompréhension des termes employés.

    • par Marie-Agnès Bernard , Le 11 avril 2016 à 22:12

      Bonjour
      Je suis une ancienne avocate et je passe actuellement ma licence de psychologie car je me trouvais insuffisamment formée en sciences humaines alors que le métier d’avocat exige une qualité d’écoute et de discernement élevée. Je suis d’accord avec l’auteur sur cette question de la pertinence d’appliquer le modèle de la procédure pénale, même si celle-ci est source de garantie de respect des droits. Cette procédure d’hospitalisation d’office mériterait d’être singularisée par une formation spécifique des juristes afin de maîtriser justement le vocabulaire et de comprendre les pathologies. Certains barreaux proposent des formations de qualité, qui sont à développer.

    • les diverses hospitalisations et à fortiori durant mon service militaire, apportent des choses, face à l’autorité militaire, la plainte augurée en justice face à l’Etat attaqué sur ces deniers ne me donna rien, si ce n’est qu’avocats commis d’office face à la difficulté de plaider, à la difficulté d’être entendu par la Cour : propos fallacieux de mon adjudant à mon égard, internement abusif, allusion à la religion juive, ETC..

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