Communément, il est très fréquent que dans le cadre d’une instruction criminelle, une expertise psychiatrique et expertise psychologique du mis en examen soient ordonnées par le juge d’instruction, soit à son initiative, soit à la demande du mis en examen, ce qui permet de prendre connaissance de l’analyse du mode de fonctionnement comportemental de l’intéressé et d’avoir une réponse quant à l’existence de troubles permettant d’atténuer ou d’exclure sa responsabilité pénale.
Ces éléments sont très importants pour obtenir un éclairage sur la personnalité, notamment lorsque l’affaire est instruite devant la cour d’assises ou en cas de correctionnalisation devant le tribunal correctionnel.
Mais, pour autant, s’il est fréquent qu’un tel acte soit prescrit au cours de l’information judiciaire, son absence peut-elle faire grief aux droits de la défense et est-elle d’abord obligatoire ?
Une réponse est apportée en partie à cette question par la Cour de cassation dans un arrêt très récent en date du 24 août 2016.
Dans cette affaire, par arrêt de mis en accusation en date du 19 avril 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme l’ordonnance de mise en accusation qui renvoie Jean-Marie X devant la cour d’assises du Var sous l’accusation de viols et agressions sexuelles aggravées, notamment sur une mineure de moins de quinze ans et en récidive légale.
Lors de l’examen de l’affaire, la chambre de l’instruction avait pris le soin de noter :
- S’agissant de la victime, qu’elle était restée constante dans ses accusations tout au long de la procédure et qu’elle avait réitéré que les actes avaient eu lieu en présence des autres enfants qui dormaient et ne s’étaient rendus compte de rien. De plus, ses parents et l’ex-épouse de Jean-Louis X. ont confirmé que la victime avait bien été, avec ses frères, seule chez Monsieur X pendant les vacances de février 2005. L’examen médical de la mineure n’excluait pas l’hypothèse de pénétration digitale ou anale ; l’expertise psychologique de la victime révélait notamment une difficulté d’élaboration psychique, des réactions pouvant être impulsives et une symptomatologie dépressive. Les déclarations de son frère permettaient d’accréditer les siennes. Les nombreuses lettres adressées par la jeune fille à Monsieur X établissaient un attachement qui n’est pas incompatible avec la réalité des faits et témoignaient un conflit de loyauté dans lequel elle s’était trouvé ce qui expliquait qu’elle n’ait pas immédiatement dénoncé les faits.
- S’agissant du mis en examen, que ce dernier contestait les faits, invoquant le fait de n’avoir violé que des jeunes filles de 17 à 21 ans dans d’autres affaires et que suite à sa précédente condamnation au maximum légal pour ces faits, il ne risquait plus rien à dire la vérité.
Aux termes de sa motivation pour justifier de la confirmation de l’ordonnance renvoyant Monsieur X devant la cour d’assises du Var, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-En-Provence :
- relevait que le mis en examen avait été condamné pour des actes précédents commis sur des mineures du même âge que la victime et qu’il avait déjà nié ou édulcoré la plupart des accusations à son encontre ;
- relevait que la personnalité de Monsieur X rendait des plus crédibles son passage à l’acte, puisque sa perversité avait été révélée par de nombreuses expertises dans les précédentes affaires ainsi que par les derniers mots adressés à la victime lors de l’organisation de la confrontation.
La défense forme un pourvoi à l’encontre de l’arrêt en date du 19 avril 2016 et reproche à la juridiction d’instruction de s’être prononcée sur le profil médical ou psychologique de Monsieur X, sans avoir au préalable ordonner une mesure d’expertise confiée à un technicien, médecin ou psychologue.
En effet, dans cette information judiciaire, aucune nouvelle expertise psychiatrique ou psychologique concernant Monsieur X n’avait été ordonnée.
Ainsi, la défense critiquait le fait que la chambre de l’instruction ne pouvait pas se référer à des expertises effectuées à l’occasion de procédures distinctes pour d’autres faits, suggérant que le profil médico-psychologique d’une personne mise en cause est susceptible d’évoluer.
Pour la défense, le fait de se limiter à une appréciation au vu d’expertises effectuées dans d’autres affaires pour considérer que la « perversité sexuelle » de Monsieur X aurait été établie au moment des faits reprochés à l’encontre de la victime mineure, sans avoir ordonné une nouvelle expertise dans le cadre de la présente instruction criminelle, constituerait notamment une violation des dispositions des articles 181 et 214 du Code de procédure pénale (dispositions qui énoncent que si les faits retenus constituent un crime, la juridiction d’instruction prononce la mise en accusation devant la cour d’assises).
La chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi.
Elle rappelle tout d’abord qu’aucune disposition du Code de procédure pénale ne fait obligation au juge d’instruction d’ordonner, dans le cadre d’une information ouverte en matière criminelle, une expertise psychiatrique ou psychologique.
Elle relève par ailleurs que la défense n’a formulé dans cette instruction aucune demande d’expertise de cette nature.
Dès lors, elle considère que le mis en examen ne peut aucunement reprocher à la chambre de l’instruction de s’être fondée sur des expertises médicales effectuées dans le cadre de procédures distinctes, ce d’autant plus qu’elles ont été versées au dossier de l’instruction et qu’elles ont donc dès lors été soumises au débat contradictoire.
En conclusion, les faits, objet principal de l’accusation de Monsieur X, étant qualifiés de crime par la loi, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la défense contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-En-Provence.
Cass. Crim, 24 Août 2016, N°16-83546
Ainsi, il ressort de cet arrêt que contrairement à une idée reçue, en matière criminelle, l’expertise psychiatrique ou psychologique n’est pas obligatoire puisqu’aucun texte du Code de procédure pénale ne fait effectivement obligation au juge d’instruction de l’ordonner de facto.
Au vu de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, il y a lieu de penser que l’absence de nouvelle expertise actualisée ne constituerait pas une atteinte aux droits de la défense, si celle-ci n’en a jamais formulé la demande et si en plus, elle s’est abstenue de critiquer les conclusions des anciennes expertises ordonnées dans d’autres affaires qui ont été transmises dans l’affaire en cours, ce qui permettait d’en discuter contradictoirement l’éventuelle absence de pertinence.
Dès lors, la solution jurisprudentielle met en avant la carence de la défense à ne pas avoir sollicité de nouvelle expertise et à ne pas avoir formulé ses observations ou de nouvelle expertise complémentaire ou contre expertise lorsque le juge d’instruction a ordonné la communication des expertises organisées dans les précédentes affaires de Monsieur X.
D’ailleurs, dans la logique de cette décision de la Cour de cassation, il n’est pas vain de rappeler que l’article 81 alinéa 8 du Code de procédure pénale mentionne expressément que « le juge d’instruction peut prescrire un examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles ».
Ainsi, il s’agit d’une faculté et non d’une obligation faite pour le juge d’instruction, qui appréciera l’utilité d’ordonner toute expertise nécessaire.
Par ailleurs, lors de la notification de l’ordonnance de règlement de l’information judiciaire, c’est-à-dire lorsque l’information paraît terminée pour le juge d’instruction, l’article 175 alinéa 4 du Code de procédure pénale permet à toutes les parties de formuler des demandes ou de présenter des requêtes notamment pour solliciter l’organisation d’une expertise sur le fondement de l’article 156 du CPP.
La défense pouvait donc, en l’absence de nouvelle mesure d’expertise dans le dossier, solliciter l’organisation de cette mesure au juge d’instruction dans le cadre du délai légal imparti par l’article 175 du CPP.
Néanmoins, dans cette affaire, la défense n’avait pas formulé cette demande.
Elle n’avait pas critiqué les anciennes expertises organisées dans des procédures distinctes et qui avaient été produites dans le dossier, alors que l’article 167 alinéa 3 prévoit la possibilité pour les parties « dans tous les cas » de présenter ses observations, ou de formuler une demande, notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise.
L’on peut même imaginer que si le juge d’instruction n’avait pas donné connaissance de ces expertises étrangères au dossier conformément aux dispositions de l’article 167 du CPP, la défense pouvait également envisager de solliciter la nullité de celles-ci comme portant atteinte aux droits de la défense.
Enfin, précisons que si la défense souhaite toujours bénéficier de l’organisation d’une nouvelle expertise, ce n’est jamais trop tard.
En effet, il est possible de déposer des conclusions à l’audience se tenant devant la cour d’assises du Var pour solliciter à la cour ou à son président agissant dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’organisation de toute nouvelle expertise, dans la mesure où l’article 156 du CPP mentionne expressément que « toute juridiction » « de jugement » peut ordonner une expertise, soit d’office, soit à la demande des parties ou à la demande du ministère public, dans le cas où se pose une question d’ordre technique.
Discussions en cours :
Bo jour mon conjoint est actuellement incarcéré pour une affaire de moeurs il y a eu une expertise psychiatrique avant le procès mais depuis il a pris 2 ans de prison. . il aimerais de nouveaux se faire expertiser peut il faire la demande lui même si oui a qui ? Bien évidement tout cela a nos frais
D’avance merci
Il est en effet possible de demander cette expertise devant la Cour d’assises lors de l’audience de jugement mais le risque est de se voir opposer un refus pour demande tardive.
Il est possible de saisir le Président de la Cour d’assises dès que l’ordonnance de mis en accusation est définitive pour lui demander une expertise aux motifs de l’ancienneté de celles figurant au dossier et de l’évolution de l’accusé.
Cela permet de ne pas retarder l’issue du dossier
Tout à fait. Je vous remercie chère Consoeur d’avoir apporter cette nouvelle précision. En effet, quand bien même un refus n’était pas opposée, une telle demande formulée de manière anticipée éviterait en outre le renvoi de l’affaire lors d’une nouvelle session, et permettrait à la défense de faire citer directement le nouvel expert. Voilà encore une nouvelle solution que vous évoquez, qui vient compléter les précédentes développées.
La cour d’assises n’est pas une juridiction permanente, elle n’a donc pas toujours de président. Il faut attendre que le premier président désigne un magistrat pour présider une session (même si le dossier concerné n’y est pas audiencé), avant de saisir le nouveau président d’une demande d’expertise.
Merci pour l’article. Cependant, je m’étonne que vous n’ayez évoqué les dispositions de l’article 706-47-1 du CPP "Les personnes poursuivies pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 du présent code doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale. L’expert est interrogé sur l’opportunité d’une injonction de soins." Elles émanent d’une loi de 2004 et l’article a été retouché en 2010, peut-être est-ce l’explication.
Je n’ai pas davantage trouvé de jurisprudence sur cet article. Je suis preneuse, si vous avez davantage d’éléments.