La passion des avocats pour l'écriture est-elle en péril ?

La passion des avocats pour l’écriture est-elle en péril ?

Marie
Rédaction du Village de la Justice.

7189 lectures 1re Parution: Modifié: 4.92  /5

Nombreux sont les avocats qui publient des articles (sur notre site ou ailleurs), des livres, des romans, des pièces de théâtre... Mais qu’est-ce qui les incite à écrire ? Pourquoi la belle écriture séduit-elle cette profession à ce point ? Les évolutions technologiques et numériques auront-elles raison de cet engouement des avocats pour l’écriture ?
Le Village de la Justice a recueilli les propos d’avocats s’adonnant à l’écriture de romans, d’articles, de pièces de théâtre, de chroniques sur les blogs, afin de comprendre les raisons et les conséquences de cette passion.

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Tous les avocats écrivent ne serait-ce que pour la réalisation de leurs actes juridiques. Mais, tous n’aiment pas forcément se plier à cet exercice. Cependant, il est fort intéressant de constater que cette profession est prolifique en ce qui concerne la littérature, qu’elle soit technique ou purement esthétique.
Un des éléments de réponse à cette passion des avocats pour la belle écriture est qu’ils apprécient le mécanisme intellectuel lié à la rédaction d’un article ou d’un ouvrage.

Les avocats écrivains.

Nombreux sont les avocats qui s’épanouissent dans l’écriture littéraire.
Certains en éprouvent le besoin afin de pouvoir se libérer d’une fonction qui peut parfois être pesante. Ainsi s’exprime Jean-Pierre Cabanes [1] : " Le métier d’avocat est très stressant, très technique, c’est le monde de la surchauffe. Etre écrivain, c’est avoir une vie culturelle, c’est vital pour moi." [2]
D’autres le font car ils estiment que s’exprimant pour les autres, il est important de pouvoir le faire aussi pour soi. L’un vient en complément de l’autre. Dans une interview réalisée par Valéry Lontchi, Maître Pierre-Olivier Sur [3] estime que "les métiers d’avocat et d’écrivain sont complémentaires. L’un veut plaire aux lecteurs, le second souhaite plaire au juge afin dans les deux cas de convaincre."
Pour Maître Alexandre Najjar [4], « l’écrivain est un homme de réflexion et l’avocat, un homme d’action. »

Maître Anne-Katel Martineau [5] et Maître Jean-Paul Carminati [6] ont accepté de partager leur expérience et leur vision de l’avocat écrivain avec les lecteurs du Village de la Justice.

Jean-Paul Carminati.

Utilisez-vous encore régulièrement votre plume ou votre stylo pour écrire vos notes, vos plaidoyers, vos articles ?
  Jean-Paul Carminati  : "Oui, surtout pour corriger ce qui est imprimé. Il est aussi important d’avoir appris à taper, à la fois pour gagner du temps mais aussi éviter les problèmes cervicaux et tendineux !"
 
Pourquoi éprouvez-vous le besoin d’écrire ?

  Jean-Paul Carminati  : "J’ai commencé à écrire il y a une quarantaine d’années.... cela fait partie de ma vie."

Anne-Katel Martineau  : "L’écriture est tout aussi vitale pour moi que la parole. Elle permet de prendre du recul et comme le disait si joliment Le Clézio "l’écriture ajoute des jours à ma vie". L’écriture est selon moi une relation avec les autres, un partage."

En quoi votre passion pour la belle écriture sert votre profession ?
Jean-Paul Carminati  :"La recherche de l’’exactitude et de la justesse syntaxique et lexicale ne peut que servir le droit et les principes essentiels de la profession d’Avocat.
Maintenant, l’écriture littéraire n’a aucun rapport avec les écritures juridiques !"
 
Votre création littéraire a-t-elle une influence sur votre notoriété en tant qu’avocat ? Ou est-ce l’inverse ?
Jean-Paul Carminati  : "Je ne sais pas. Le fait que j’écrive et que je publie suscite à la fois de l’admiration et de la jalousie. Il y a beaucoup d’idéalisation et de méconnaissance de la réalité de l’écrivain : quand je passe du temps à écrire, je perds beaucoup d’argent en tant qu’Avocat et en gagne très peu en tant qu’écrivain. On vit très rarement de sa plume."

Anne-Katel Martineau (Photo. Studio Saint-Honoré).

Existe t’il un profil de l’avocat écrivain ?
Anne-Katel Martineau  : "Je ne pense pas. Toutefois, je dirais que tous ceux qui aiment écrire sont curieux et généralement cultivés.
Certains Confrères ont je pense besoin de renouer avec une certaine liberté, celle qu’offre l’écriture sans contrainte ou presque, loin en tout cas de celles évoquées dans nos écritures" (professionnelles). L’avocat est un véritable communicant."

L’écriture plus qu’un mode d’expression de soi, peut-elle être utilisée par les avocats telle une publicité auprès du grand public ?

Jean-Paul Carminati  : "Je ne pense pas. Peu de gens lisent. Même la ministre de la Culture [7] avoue qu’elle ne lit pas. Vous non plus, d’ailleurs, ne prendrez sans doute pas le temps de lire un de mes livres.
Lire est aujourd’hui perçu comme une perte de temps ou/ et un loisir de "vieux" ou de "nanas"."

Anne-Katel Martineau  : "L’écriture permet aussi de communiquer sur ce que vous faites et donc de faire de la publicité sur ses compétences et/ou son être. Il n’y a qu’à voir le nombre de confrères qui publient sur votre site internet des articles. Ils ne sont pas rémunérés pour ces articles, c’est une forme de marketing pour soi, son cabinet. Même si il y a souvent tout simplement le plaisir de partager son savoir.
Ecrire c’est aussi se donner de la visibilité si on est lu et donc faire parler de soi, en bien ou en mal. Ecrire c’est accepter de ne pas être apprécié, d’être critiqué, jalousé et donc de ne plus tout maîtrisé. Il en ressortira une certaine publicité, non maîtrisée et
parfois dangereuse.
L’avocat n’est pas une marchandise, un produit dont on pourrait faire la publicité. J’ose penser que nous ne sommes pas interchangeables."

Le numérique, l’usage du clavier, l’existence des réseaux sociaux ont-ils une incidence sur la façon d’écrire des avocats ?

Jean-Paul Carminati  : "Oui, dans un mauvais sens ; trop d’impulsivité, trop d’imprécisions, pas assez de relecture : donc pertes de temps."

Anne-Katel Martineau  : "L’avocat devient ainsi un citoyen lambda. L’écriture est désacralisée. ll est dans l’immédiat et n’est plus celui qui est capable de réfléchir longtemps aux phrases de ses conclusions ou consultations juridiques car il mesure alors que chaque mot est capital. Le numérique donne l’illusion que l’écriture a moins d’importance."

Les avocats écriront-ils encore en 2030 ?
Jean-Paul Carminati  : "Oui, certainement, le métier de proposer des interprétations des lois nécessite une démonstration claire et écrite.
Si les logiciels de reconnaissance vocale progressent, cela sera toujours pour... produire des écritures !"

Les avocats blogueurs.

Cette envie de s’exprimer plus librement, d’écrire pour se soustraire d’un certain formalisme, dont parle Anne-Katel Martineau, ressort dans les différents blogs créés et animés par des avocats.
Dans ces blogs qui traitent le plus souvent du quotidien des avocats, les auteurs utilisent l’écriture d’une façon nouvelle, différente. Ils en font un usage plus direct, peut-être moins réfléchi, dans le sens où ces écrits veulent donner à lire du « brut de vie », mais qui toujours poussent à la réflexion.
« Je veux m’exprimer librement, sans être soupçonné de servir mes dossiers ou de recruter des clients. » [8] dit Maître Eolas, avocat blogeur en parlant de son blog Journal d’un avocat.
Autre blog bien connu celui de Maître Mô, Maître Mô, chroniques judiciaires, ordinaires et subjectives ou encore le blog plus récent Eclat(e) d’une jeune avocate.
Cette réflexion sur leur quotidien, les avocats-blogueurs nous la proposent avec sensibilité parfois, et humour voire ironie souvent, à l’instar de ce jeune avocat lillois sur son blog Le blues d’un avocat dont la maxime est : "Je sers le droit et c’est ma joie".

Ces avocats usent de pseudonyme pour une liberté de ton maximale et sans que cela ne puisse nuire à leur profession.
Quand le blogueur est un avocat et que son blog ne traite pas de sujet lié au droit, le pseudonyme peut servir à dresser une barrière entre l’activité de bloguer et la profession. C’est le cas d’une jeune avocate qui dans un esprit récréatif a animé pendant 8 ans le blog Miss Blablabla. Elle explique dans un interview pour Une à Nîmes que " mes activités de blogueuse et mon métier d’avocat ont longtemps été cloisonnés, bien que ma vie 2.0 a toujours eu pour vocation d’être une bulle d’oxygène, une cour de récré dans laquelle je parlais de tout, sauf de Droit... "

Que ce soit pour partager, pour décompresser, pour exister, pour communiquer, les avocats qui écrivent le font par passion. Ils écrivent pour se sentir mieux, pour s’oxygéner, pour créer des liens avec ce qui les entourent. Oui, les avocats écriront encore dans les années à venir et ce quelque soient les évolutions techniques et technologiques.
Les avocats prennent leur plume comme d’autres prennent leur baskets...

Liens :
http://www.carminati.fr/pages/romans/
http://www.laplumeetlavoixdesavocatsparisiens.org
http://maitremo.fr
http://www.maitre-eolas.fr
http://eclatdavocat.com
http://collab-blues.tumblr.com

Sources :
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/qui-est-maitre-eolas_965575.html#2hCBflfbGf0eeDzi.99
http://www.uneanimes.fr/les-nimois/la-face-cachee-des-avocats-nimois
http://www.dailymotion.com/video/xc8npo_pierre-olivier-sur-avocat-ecrivain_news

Marie
Rédaction du Village de la Justice.

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Notes de l'article:

[1Jean-Pierre Cabanes, avocat écrivain ayant reçu dernièrement le prix Jean Carrière pour son livre Une jeunesse italienne aux éditions Anthéma.

[3Pierre-Olivier Sur, avocat pénaliste, ancien Bâtonnier du Barreau de Paris.

[4Alexandre Najjar avocat et écrivain.

[5Anne-Katel Martineau, avocate au Barreau de Paris, présidente de la Confédération Nationale des Avocats- Paris de janvier 2013 à janvier 2015, directrice de publication du magasine La Plume des avocats parisiens.

[6Jean-Paul Carminati, avocat et écrivain. Il est l’auteur de nombreux romans, nouvelles, pièces de théâtre et de pastiche du code civil.

[7Madame Fleur Pellerin.

[8Maître Eolas dans un interview de l’Express en 2011. 

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