Mixité au sein des cabinets d'avocats : oui, mais pas encore d'égalité !

Mixité au sein des cabinets d’avocats : oui, mais pas encore d’égalité !

Laurine Tavitian
La rédaction du Village de la justice

Le Village de la justice était partenaire du Forum de la mixité qui avait lieu le 1er décembre 2014 au Forum des images à Paris. Pour la première fois, un forum des avocates était organisé pour parler de la difficulté à devenir associée, la nécessité de travailler son réseau et l’importance d’augmenter sa visibilité.
Si les 3 questions sont loin d’être dénuées d’intérêt, c’est surtout sur la question de l’association et du plafond de verre à briser pour y accéder que les cinq avocats qui étaient tous associés de grands cabinets d’avocats d’affaire se sont le plus exprimés. Mais si leurs interventions étaient le témoignage de ce qui se passe au sein de leur structure, elles étaient loin de refléter la réalité de la carrière d’une femme avocate, comme l’ont souligné les invitées du Village de la justice, Christiane Féral-Schuhl, avocate associée, ancienne bâtonnier de Paris, Anne Cousin, avocate associée, ainsi que Valérie Duez-Ruff, avocate et fondatrice de Moms à la barre.

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A l’heure actuelle, le nombre de femmes associées en cabinet stagne et le pourcentage de femmes qui quitte la profession après quelques années d’exercice est important en raison principalement de la difficulté à concilier vie privée, familiale et professionnelle.

Pourtant, comme l’a souligné Yves Wehrli, avocat associé de Clifford Chance «  ce qu’il y a de pire c’est de perdre quelqu’un pour de mauvaises raisons  ». Dans ce cabinet qui compte 3200 avocats à travers le monde, il y a seulement 17 % de femmes associées en moyenne avec des disparités importantes entre les pays, l’objectif étant d’atteindre les 30%. Mais, dans sa globalité, il compte 55% de femmes avocates. La parité est donc totale. Il en va de même chez Gide mais là aussi pas au niveau du management.

Pour Nadège Nguyen, avocate associée du cabinet Gide, l’enjeu de la mixité doit être constaté par le management pour pouvoir mettre en œuvre un certain nombre d’actions. Il faut des hommes pour porter cet enjeu. Elle constate que les départs sont importants parmi les jeunes femmes, pas forcément à cause de la maternité mais parce qu’elles ne souhaitent pas mener une carrière d’avocat.

Dans le cabinet De Gaulle Fleurance créé en 2001, Valérie Lafarge-Sarkozy, avocate associée, explique que l’objectif est de garder les talents qu’ils soient féminins ou masculins. Le cabinet compte 62 % de collaboratrices. Pour elle, devenir associée était un objectif. « J’en avais envie, j’ai été associée très vite, très jeune, c’est une question de volonté, nous sommes égaux mais différents » a-t-elle dit avant d’ajouter que plus il y a de femmes en entreprise, plus l’entreprise est performante. Alors pourquoi pas en cabinet… Elle a aussi précisé que la carrière d’une femme est souvent en dents de scie, « il ne faut pas culpabiliser et arrêter d’y croire, il faut être très bien organisée chez soi et essayer d’être associée le plus rapidement possible ».
Pour Catherine Joffroy, avocate associée chez Dentons, « il faut de la volonté, c’est vrai, le cabinet est très prenant, mais il y a la possibilité de recourir au télétravail dans notre cabinet.  »

La maternité ne serait donc pas un frein pour un accéder au statut d’associé…

Valérie Duez-Ruff

Cette affirmation n’est pas partagée par une des invitées du Village de la justice. En effet, Valérie Duez-Ruff a rappelé que suivant l’étude publiée par l’association Moms à la Barre en novembre 2013, "la maternité reste un frein dans la carrière pour 82,87% des avocates frein qu’elles espèrent compenser dans les cinq années suivant la naissance/adoption (33,77 %), dans les dix années (22,24 %), ou pire qu’il ne sera jamais (27,56%). De façon pratique et directe, 35,47 % des avocates se sont vu retirer des dossiers ou ont vu leurs clients les quitter du fait de leur état de grossesse ou de maternité. Nier cette réalité ne permet pas d’avancer de façon constructive sur la question de l’évolution de carrière des avocates. "

Pourtant, pour Yves Wehrli, il n’y a pas de règles pour réussir, marié ou pas, avec ou sans enfants, cela ne veut rien dire. Les femmes ont la lucidité et l’objectivité d’accepter un poste quand elles sont prêtes, ce qui n’est pas le cas pour les hommes explique-t-il.

Anne Cousin

Pour Anne Cousin, avocate associée, une de nos invitées, « les choses ne sont pas si simples. Certes une femme mariée avec des enfants a toutes les capacités pour réussir, mais encore aujourd’hui elles ne sont pas aussi bien armées que les hommes.. Cette situation est étroitement liée à la question de l’éducation et n’est pas propre aux avocates . Bien souvent, les femmes ne sont pas éduquées pour apprendre à se mettre en avant, à avoir confiance en elle, à réclamer, à parler beaucoup… C’est certainement pour cela qu’elles n’acceptent pas un poste quand elles ne sont pas tout à fait prêtes à la différence des hommes qui ne souffrent pas de ce problème dans notre société. Même si cela prendra du temps et que les causes du problèmes sont plus vastes, les choses évolueront certainement avec les nouvelles générations qui élèveront tous leurs enfants, filles ou garçons, de la même façon aussi. »

Stéphanie Auféril, avocate associée de Baker & McKenzie dont le « management committee » est composé de 3 femmes et 3 hommes, explique aussi que les femmes doivent accepter de ne pas être parfaite dans tous les domaines. Il faut organiser son temps et consacrer du temps au réseautage, essentiel pour le développement commercial (portefeuille client) qui fait partie des points pour devenir associé. Pour Nadège Nguyen, la visibilité en interne est aussi importante, il faut savoir faire du marketing de soi tout en restant soi-même.

Dans tous ces cabinets, la question de la mixité est prise en compte. Permettre aux femmes d’accéder au statut d’associé est devenu un objectif, s’accompagnant d’actions à mettre en œuvre tel que le mentoring (De Gaulle Fleurance), un programme de leadership (Gide) ou le coaching (Clifford Chance).

Christiane Féral-Schuhl

Christiane Féral-Schuhl, avocate associée et ancien bâtonnier de Paris (1), qui était également invitée par le Village de la justice, a nuancé les propos tenus lors de ce forum. Selon elle, « les femmes ont toutes les qualités qui leur permettent d’accéder aux responsabilités. Nous en avons eu la démonstration sur le plateau. Mais cela concerne une minorité de femmes avocates. De surcroit dans des cabinets importants qui ont su ou pu intégrer l’intérêt de la démarche de l’égalité. La réalité du barreau est tout autre avec aujourd’hui une majorité de jeunes avocates (70% des promotions), des avocates exerçant majoritairement à titre individuel, plutôt dans des matières « humaines » (droit de la famille, droit social…), et dont les rémunérations sont indiscutablement inférieures à leurs confrères hommes. L’élément ralentisseur reste la maternité et la réalité sociale des parents célibataires qui n’épargne pas notre profession. L’équation moyen/organisation de la vie privée est donc nécessairement plus compliquée. Le combat doit donc continuer et les actions menées sous mon bâtonnat doivent être poursuivies ».

L’objectif de la parité totale au niveau du management est loin d’être atteint et les politiques menées par les cabinets intervenants au Forum de la mixité sont quant à elles loin d’être mises en œuvre dans toutes les structures d’avocats.

La mixité existe bel et bien, la profession comptant aujourd’hui, plus de femmes que d’hommes, mais l’égalité reste encore un objectif non atteint...

(1) Christiane Féral-Schuhl est membre du Haut Conseil de l’égalité des femmes et des hommes depuis janvier 2013. Elle a mené de nombreuses actions en faveur des femmes avocates pendant son bâtonnat dont :
- L’adoption d’un rapport sur l’égalité professionnelle par le Conseil de l’Ordre (mars 2013) avec pour principale mesure une protection renforcée des collaboratrices.
- Le Conseil de l’Ordre s’est doté d’une Commission "Egalité professionnelle", paritaire et intergénérationnelle.
- Le barreau de Paris a été sous son bâtonnat le premier Ordre professionnel à s’être porté signataire du Pacte du Laboratoire de l’Égalité en juillet 2012.

Laurine Tavitian
La rédaction du Village de la justice

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  • par Ancienne avocate , Le 8 décembre 2014 à 16:20

    Je voudrais rectifier ce que vous dites en début d’article : NON, le pourcentage de femmes qui quitte la profession après quelques années d’exercice n’est pas du principalement à la difficulté à concilier vie privée, familiale et professionnelle. Il est principalement du à la conception que s’en font les cabinets, qui écartent et découragent les femmes avocates à rester dans la profession dès que celles-ci ont des enfants, voire sont simplement en âge d’en avoir. Je l’ai vu et entendu dans de nombreux cabinets d’affaires internationaux.
    Or, toute la différence est là : beaucoup de femmes avocates souhaiteraient faire carrière en cabinet mais ne le peuvent pas. C’est cette attitude, qui reste malheureusement largement acceptée dans les cabinets, qui constitue le vrai frein à la mixite (ne parlons pas encore de parité) chez les associés de cabinets d’avocats.

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