I- Rupture conventionnelle
La rupture conventionnelle est le mode de rupture d’un commun accord entre les parties.
Elle donne lieu au versement d’une indemnité au moins égale à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et permet au salarié d’être indemnisé au titre de l’assurance chômage.
Elle remplace en réalité la technique mise en place antérieurement par la pratique pour permettre au salarié d’être indemnisé au titre de l’assurance chômage, savoir un licenciement convenu entre les parties suivi d’une transaction. Ceci n’était toutefois pas sans risque puisque soit les opérations étaient faites dans les règles (licenciement, notification et signature de la transaction) et il existait le risque de voir l’une des deux parties refuser in fine de signer la transaction, soit les documents étaient antidatés et tous signés concomitamment, avec les risques posés par ce type de procédé et les risques découverts au fur et à mesure de la pratique (nous pouvons cité comme exemple ce salarié qui a fait constater par huissier que l’enveloppe contenant en principe sa lettre de licenciement était vide).
La rupture conventionnelle a donc au moins l’avantage de la simplicité.
II- Ruptures en période de litige
1- La distinction entre les trois modes de rupture
Pour rappel, le salarié qui formule des griefs à l’encontre de son employeur peut :
soit prendre acte de la rupture de son contrat, ce qui a pour effet de mettre immédiatement un terme audit contrat. Il saisira alors le conseil des prud’hommes qui devra juger si la rupture produit les effets d’un licenciement qui sera alors, à défaut de motivation exprimée dans une lettre de licenciement, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse ou si cette rupture produit les effets d’une démission dés lors que les griefs reprochés ne sont pas suffisamment graves.
soit démissionner en indiquant dans la lettre de démission les griefs reprochés à son employeur qui l’ont conduit à rompre son contrat. Il devra également dans ce cas saisir le conseil de prud’hommes afin que celui-ci analyse sa démission en prise d’acte de rupture et juge si les griefs reprochés sont suffisamment graves pour que la rupture soit requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Soit saisir immédiatement le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat sur le fondement des griefs invoqués contre son employeur.
C’est le déroulement des événements qui distingue ces modes de rupture : alors que dans les deux premiers cas, le salarié met fin immédiatement à son contrat de travail et demande ensuite au conseil de prud’hommes d’analyser les effets de cette rupture en fonction de la gravité des griefs reprochés, il ne met pas fin à son contrat de travail dans l’hypothèse du troisième mode de rupture, mais demande au conseil de prud’hommes de prononcer cette rupture lorsque les motifs invoqués sont suffisamment graves. La relation contractuelle se poursuit jusqu’à la décision des juges du fond.
Il résulte bien entendu de cette différence dans le déroulement des faits des conséquences et des effets différents.
2- Les conséquences attachées à ces modes de rupture
- En termes de préavis
Dans le cas d’une démission avec réserves, la rupture est dans un premier temps analysée comme une démission, puisqu’elle est qualifiée comme telle par le salarié lui-même. Ce dernier effectuera en principe son préavis conformément aux dispositions de la convention collective, sauf s’il entend immédiatement demander que sa démission soit analysée en prise d’acte de rupture.
Dans le cas d’une prise d’acte de rupture, le préavis n’est en principe pas effectué. Dés lors que la prise d’acte est considérée comme produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur sera tenu au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis.
Dans le cas d’une résiliation judiciaire du contrat, la rupture sera par définition prononcée aux torts de l’employeur qui sera alors redevable d’une indemnité compensatrice de préavis. La rupture prenant effet qu’à la date du prononcé du jugement, l’ensemble des sommes dues par l’employeur devra être calculé à cette date.
- En termes d’indemnisation Pole Emploi
La démission tout comme la prise d’acte de rupture entrainera un refus d’indemnisation par POLE EMPLOI qui ne procèdera à une nouvelle étude du dossier que quatre mois après l’inscription du salarié en qualité de demandeur d’emploi.
La résiliation judiciaire, étant par définition une rupture aux torts de l’employeur, entraine une indemnisation immédiate du salarié sous réserve des délais de carence.
- En termes de dommages et intérêts
Dés lors que les griefs évoqués à l’appui de la démission avec réserves et de la prise d’acte sont suffisamment graves, la rupture produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (indemnité de licenciement, dommages et intérêts,…). Ce n’est que lorsque les griefs ne sont pas jugés suffisamment graves que le salarié ne perçoit rien.
Il en ira de même pour la résiliation judiciaire prononcée par le conseil de prud’hommes.
3- Le choix entre ces trois modes de rupture
a- Les risques encourus
La première question que doit poser un avocat à son client qui envisage ce type de rupture est de savoir s’il est joueur ou non.
En effet, la principale distinction entre la prise d’acte de rupture et la démission avec réserves d’une part et la résiliation judiciaire d’autre part consiste avant tout dans le degré de risque pris par le salarié.
Durant une procédure en demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, le salarié conserve son poste, perçoit son salaire,…, jusqu’à l’issue de la procédure. Dés lors que le conseil des prud’hommes refuse sa demande de résiliation judiciaire, son contrat de travail demeure en vigueur et la relation contractuelle se poursuit. Si au contraire, le conseil de prud’hommes fait droit à sa demande, le salarié sera indemnisé par POLE EMPLOI dés son inscription de la même manière que s’il avait été licencié et percevra les indemnisations et dommages et intérêts de toute sorte liés à la rupture de son contrat.
Bien au contraire, dans le cadre d’une prise d’acte de rupture ou dans le cadre d’une démission avec réserves, le salarié ne sera jamais indemnisé immédiatement. Dans le meilleur des cas, il sera indemnisé quatre mois après son inscription auprès de Pole Emploi, qui à l’issue de ces quatre mois ré-étudiera son dossier. De la même façon, il ne percevra les indemnités et autres dommages et intérêts liés à la rupture de son contrat qu’à l’issue de la procédure prud’homale et bien entendu seulement si le conseil de prud’hommes juge que les griefs invoqués sont suffisamment graves.
Pour rappel, une procédure prud’homale dure entre un et deux ans.
Ainsi, le salarié perd immédiatement son emploi, ne touche donc plus son salaire, ne perçoit rien au titre de l’assurance chômage avant au minimum quatre mois et ne perçoit les indemnités et dommages et intérêts auxquels il a éventuellement le droit que plus d’un an après.
Il existe en outre le risque qu’à l’issue de la procédure, soit près de deux ans après la rupture, il soit débouté de sa demande et que la rupture produise les effets d’une démission.
La décision de prendre acte de la rupture de son contrat ou de donner sa démission en raison du comportement de l’employeur ne doit donc pas être prise à la légère et suppose une bonne capacité financière du salarié.
b- Le cas particulier de la démission avec réserves
Par hypothèse, le salarié donne sa démission en raison des faits qu’il reproche à son employeur.
Il existe plusieurs cas de figure.
En premier lieu, la lettre de démission énonce les raisons qui ont poussé le salarié à donner sa démission, c’est-à-dire énonce les griefs formulés par l’employeur. Ici le doute n’existe pas, il ne peut y avoir de démission puisque celle-ci serait nécessairement équivoque. Il y a bien rupture du contrat en raison des griefs formulés contre l’employeur. Cette hypothèse est analysée en prise d’acte de rupture.
En second lieu, la lettre de démission n’évoque aucun grief, mais le salarié remet en cause sa démission en raison de faits imputables à l’employeur. Il appartient alors au juge saisi de vérifier que la démission n’est pas équivoque en raison de circonstances antérieures ou contemporaines à la date à laquelle elle a été donnée. Si tel est le cas, le juge doit requalifier cette démission en prise d’acte et lui faire produire soit les effets d’un licenciement, soit ceux d’une démission en fonction de la gravité des faits reprochés. (Cass. soc. 9 mai 2007 n° 05-40.518)
Que doit-on penser de ce mode de rupture en termes en de sécurité juridique ? Jusqu’à quand un salarié peut-il revenir sur sa démission en prétextant des manquements de son ancien employeur ?
III- Les dernières précisions jurisprudentielles
A- Rupture conventionnelle
S’agissant d’un mode de rupture amiable, la jurisprudence désormais constante, exige qu’il n’existe aucun différend entre l’employeur et son salarié. A défaut, le consentement du salarié ne peut pas être libre et éclairé et la rupture conventionnelle sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel de PARIS vient de préciser à ce sujet que le fait que le salarié ait reçu un avertissement deux mois avant la signature de la demande d’homologation de la rupture conventionnelle ne suffisait pas à caractériser une situation de conflit, dans la mesure où le salarié avait durant le délai de deux mois disposé du temps nécessaire pour réfléchir et prendre assistance et conseil. (CA PARIS, 22 février 2012, n°10/04217 ch.6-6)
La question se pose alors de savoir quel doit être le délai minimum à respecter entre une sanction disciplinaire antérieure et la signature de la convention de rupture conventionnelle, pour que cette dernière ne puisse pas être remise en cause ?
La rupture conventionnelle ne doit pas non plus être utilisée pour détourner la loi. C’est ce qu’a jugé la Cour d’Appel de POITIERS à propos d’une rupture conventionnelle proposé à un salarié accidenté du travail. La Cour d’appel a considéré que la rupture conventionnelle, qui n’avait que pour but de contourner la protection accordée au salarié victime d’un accident du travail, était donc nulle et produisait les effets d’un licenciement nul. (CA POITIERS 28 mars 2012, n°10/02441)
Enfin, la Cour d’appel de PARIS a jugé que l’homologation de la rupture conventionnelle était une formalité substantielle dont dépendait donc la validité de ladite rupture. Dés lors, en l’absence d’homologation, Pole Emploi est en droit de refuser le versement des allocations chômage au salarié. (CA Paris, 6 avril 2012, n°11-06828, ch.2-2).
Reste encore le problème de l’exonération des indemnités versées à l’occasion de la rupture. Depuis la loi de finance pour 2012, ces indemnités sont exonérées de cotisations sociales à hauteur de deux plafonds annuels de la sécurité sociale, soit à hauteur de 72 744 euros.
B- La résiliation judiciaire
Il existe bien entendu beaucoup moins de contentieux pour ce mode rupture que pour la prise d’acte ou la démission.
Les seules questions qui se sont posées devant les juridictions ont été de savoir quel sort réservé aux ruptures du contrat de travail intervenues en cours de procédure visant à obtenir la résiliation judiciaire du même contrat.
En cas de licenciement intervenu avant la décision des juges du fonds, ces derniers doivent se prononcer en premier lieu sur les griefs invoqués à l’appui de la demande de résiliation. Ce n’est que si cette demande ne leur parait pas justifiée qu’ils se prononceront sur le licenciement notifié par l’employeur.
En cas de prise d’acte de rupture avant la décision des juges du fond, ceux-ci devront examiner l’ensemble des griefs invoqués pour analyser les effets de la rupture.
C- La prise d’acte de rupture
Le contentieux en cette matière est abondant, et ce, en raison du fait qu’il appartient aux juges du fond de déterminer si oui ou non les manquements reprochés à l’employeur sont suffisamment graves pour justifier une prise d’acte.
La Cour de Cassation a précisé que ces manquements d’une gravité suffisante s’entendent de ceux qui empêchent la poursuite du contrat de travail. (Cass. soc. 30 mars 2010, n°08-44236)
Tous les manquements de l’employeur, même graves, ne peuvent donc pas justifier utilement une prise d’acte. Certains principes sont maintenant clairement dégagés comme le fait que l’atteinte à l’intégrité physique ou morale, qu’une modification unilatérale du contrat de travail ou qu’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat constituent des manquements justifiant une prise d’acte. Pour le reste, les griefs reprochés relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond avec toutefois un contrôle de la Cour de cassation.
En dernier lieu, celle-ci a jugé dans une espèce concernant une demande de résiliation judicaire du contrat que l’atteinte à la dignité du salarié (propos de l’employeur concernant les odeurs nauséabondes dégagées par le salarié) constitue un manquement grave de l’employeur justifiant la résiliation judiciaire du contrat à ses torts. (Cass. soc. 7 février 2012 n° 10-18.686).
Concernant l’obligation de sécurité de l’employeur, qui est une obligation de résultat, la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait à l’employeur, dés lors que le salarié justifiait d’un manquement à son obligation de sécurité, de prouver que l’accident du travail survenu ne résultait pas de ce manquement. (Cass. soc. 12 janvier 2011, n°09-70838). Elle procède ainsi à une sorte de renversement de la charge de la preuve.
La question de l’exécution ou non du préavis a donné lieu à un important contentieux, qui semble désormais tranché. La Cour de cassation a en effet jugé que la prise d’acte de rupture entrainait une cessation immédiate du contrat, mais que l’exécution spontanée du préavis par le salarié est sans incidence sur la gravité des manquements reprochés à son employeur (Cas. Soc. 2 juin 2010, n°09-40215). En bref, le salarié n’est pas tenu d’exécuter son préavis, mais s’il le fait quand même, cela n’empêche en rien sa prise d’acte de produire les effets d’un licenciement.
Cette question tranchée, restait à savoir si l’indemnité compensatrice de préavis était due par l’employeur lorsque la prise d’acte produit les effets d’un licenciement. La jurisprudence a répondu par l’affirmative.
Restait également à savoir si lorsque la prise d’acte de rupture produit les effets d’une démission, le salarié qui n’a pas exécuté son préavis peut être condamné à une indemnité compensatrice de préavis. La cour de Cassation a admis cette possibilité dés 2008, (Cass. soc. 2 juillet 2008 n° 07-42.299), mais il ne s’agit que d’une simple faculté et l’appréciation des faits est donc laissée aux juges du fond.
D- La démission avec réserves
Les développements ci-dessus sont naturellement valables en ce qui concerne l’appréciation de la gravité des faits reprochés à l’employeur dans la lettre de démission.
La question concernant ce mode de rupture a été plus de savoir dans quelles conditions le salarié pouvait revenir sur sa démission ou en demander la requalification en prise d’acte.
La Cour de Cassation juge qu’il doit y avoir un délai raisonnable entre la notification de la démission et sa remise en cause, mais n’a pas fait de ce délai une condition de requalification de la démission en prise d’acte, ce qui ne joue pas en faveur de la sécurité juridique. (Cass. soc. 5 décembre 2007, n°06-43871)
Une décision récente semble d’ailleurs renforcer ce sentiment d’insécurité juridique. Un employeur reproche à son salarié démissionnaire de ne pas avoir effectué son préavis et saisit le conseil de prud’hommes d’une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Le salarié formule alors une demande reconventionnelle en requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il obtient gain de cause ! La Cour d’appel, suivie par la Cour de Cassation, ont jugé que l’employeur avait eu un comportement fautif en reprochant au salarié ses arrêts de travail consécutifs à un accident du travail et en lui demandant de restituer ses outils de travail de manière vexatoire. (Cass. soc. 30 novembre 2011, n°10-30336). Ainsi, un salarié qui donne sa démission sans réserve et visiblement de manière claire et non équivoque, qui ne demande en rien sa requalification et qui profite d’une action en justice de son employeur à son encontre pour demander de longs mois après sa démission la requalification de celle-ci a gain de cause.
Et ce, en requalifiant directement la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse sans passer par la qualification de prise d’acte et donc sans demander aux juges du fonds d’examiner la gravité des faits reprochés à l’employeur !
Le salarié pourrait dés lors sans délai demander la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse dés lors que sa démission a été donnée dans un contexte conflictuel.
A quel moment un employeur va-t-il alors désormais pouvoir considérer sans risque que son salarié a démissionné ?
Ainsi, alors que les juridictions ont construit depuis l’apparition de la prise d’acte de rupture une jurisprudence visant à encadrer ce mode alternatif de rupture et à éviter l’« autolicenciement », il semblerait que la construction jurisprudentielle visant à encadrer la remise en cause des démissions ne soit pas encore parvenue à une solution satisfaisante en termes de sécurité juridique.