1. Cadre juridique du dispositif.
1.1. Le mécanisme légal de la présomption.
Le Code du travail prévoit qu’un salarié ayant abandonné volontairement son poste et ne reprenant pas le travail après mise en demeure est présumé avoir démissionné à l’expiration du délai fixé par l’employeur [2].
Cette présomption simple peut être contestée par le salarié qui dispose de la faculté de saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes pour qu’il se prononce sur la nature de la rupture et ses conséquences [3].
1.2. La procédure réglementaire.
La mise en œuvre de la présomption requiert que l’employeur mette en demeure le salarié, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste [4].
Le salarié peut invoquer un motif légitime faisant obstacle à la présomption de démission, notamment des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait ou de grève, le refus d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur [5].
Le délai laissé au salarié ne peut être inférieur à quinze jours à compter de la date de présentation de la mise en demeure [6].
2. Premier jugement : la modification du contrat comme motif légitime.
2.1. Les circonstances de l’espèce.
Dans un jugement du 21 février 2025, le conseil de prud’hommes de Lyon a eu à connaître du cas d’une salariée qui avait refusé une nouvelle affectation proposée par son employeur après la perte d’un marché [7].
Considérant qu’il s’agissait d’une mise à disposition auprès d’une société tierce, la salariée avait invoqué une modification de son contrat de travail comme motif légitime de son absence.
L’employeur avait néanmoins mis en œuvre la procédure de présomption de démission et notifié à la salariée qu’il la considérait démissionnaire.
2.2. La solution retenue.
Le conseil de prud’hommes a jugé que la salariée était parfaitement fondée à se prévaloir d’une éventuelle modification de son contrat comme motif légitime.
Il a considéré que l’employeur ne démontrait pas avoir, avant la rupture du contrat, porté à la connaissance de la salariée les éléments prouvant que son affectation se faisait dans le cadre d’un contrat de sous-traitance et non d’une mise à disposition.
La rupture a donc été requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3. Deuxième décision : la protection des salariés protégés.
3.1. La confrontation entre présomption de démission et statut protecteur.
Dans une autre affaire jugée par la Cour d’appel de Paris le 6 mars 2025, se posait la question du respect du statut protecteur d’un salarié conseiller du salarié [8].
L’employeur avait notifié au salarié qu’il était réputé démissionnaire après son absence injustifiée, sans solliciter l’autorisation de l’inspection du travail.
3.2. L’exigence d’autorisation administrative maintenue.
La cour d’appel a jugé que si le statut protecteur ne s’applique pas lorsque le salarié décide unilatéralement de rompre son contrat ; en revanche, la présomption légale de démission faisant intervenir l’employeur dans la rupture ne dispense pas ce dernier de solliciter l’inspection du travail.
Elle a donc prononcé la nullité de la rupture du contrat intervenue en violation du statut protecteur et ordonné la réintégration du salarié.
4. Troisième décision : l’abandon de poste caractérisé.
4.1. La confirmation d’une démission présumée.
Le conseil de prud’hommes de Paris a rendu, le 25 avril 2024, un jugement validant une présomption de démission [9].
Dans cette affaire, une salariée en arrêt maladie n’avait pas repris son poste à l’échéance de son arrêt malgré deux mises en demeure de son employeur.
Le Conseil a rejeté l’argument selon lequel l’absence de visite médicale de reprise empêchait de caractériser un abandon de poste, en relevant que la salariée avait manifesté à plusieurs reprises sa volonté de ne plus venir travailler en région parisienne.
4.2. Éléments confirmant la volonté de démissionner.
Le Conseil a estimé que les demandes réitérées de rupture conventionnelle, le déménagement de la salariée en Normandie, le développement d’une nouvelle activité professionnelle dans cette région, et ses déclarations explicites quant à son souhait de ne plus venir travailler à Paris attestaient du caractère volontaire de l’abandon de poste.
Le Conseil a donc considéré que la salariée avait « délibérément manqué à son obligation d’information et de justification de son absence envers son employeur, et qu’elle s’est dès lors délibérément soustraite à son obligation contractuelle de se tenir à la disposition de son employeur pour effectuer sa prestation de travail ».
En conclusion, ces premières décisions judiciaires dessinent les contours d’application de la présomption de démission, en confirmant notamment :
- Qu’elle ne peut être mise en œuvre face à un motif légitime d’absence comme une modification du contrat de travail ;
- Qu’elle ne dispense pas du respect des protections statutaires pour les salariés protégés ;
- Qu’elle peut être valablement appliquée lorsque l’abandon de poste est manifestement volontaire et sans justification légitime.
Les employeurs devront donc rester vigilants quant au respect scrupuleux de la procédure et à l’appréciation du caractère volontaire de l’abandon de poste, sous peine de voir la rupture requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire annulée.