1. Le cadre juridique de la présomption de démission.
1.1. L’instauration d’un mécanisme dérogatoire au droit commun.
Le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail, issu de la loi n°2022-1598 du 21 décembre 2022, permet à l’employeur de présumer la démission d’un salarié en contrat à durée indéterminée qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence.
Ce dispositif constitue une dérogation significative au principe selon lequel la démission ne se présume pas, ce qui implique une application stricte de ses conditions de mise en œuvre.
Le Conseil constitutionnel avait déjà validé ce mécanisme dans sa décision du 15 décembre 2022 [1], en précisant qu’il ne s’applique qu’en cas d’abandon de poste volontaire, après mise en demeure, et que la présomption peut être renversée.
1.2. Les modalités d’application fixées par le décret.
Le décret n°2023-275 du 17 avril 2023 est venu préciser les conditions de mise en œuvre de la présomption de démission.
Il prévoit notamment que l’employeur doit mettre en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge.
Le délai laissé au salarié pour justifier son absence ou reprendre le travail ne peut être inférieur à 15 jours à compter de la présentation de la mise en demeure.
2. La validation sous réserve du Conseil d’État.
2.1. Le rejet des principaux griefs des requérants.
Dans sa décision du 18 décembre 2024 [2], le Conseil d’État écarte plusieurs arguments soulevés contre le décret :
Sur la procédure d’adoption du décret, il juge que celui-ci se borne à fixer les modalités d’application de la loi et ne constitue donc pas un "projet de réforme" qui aurait dû faire l’objet d’une concertation préalable au sens du Préambule de la Constitution de 1946 et de l’article L1 du Code du travail.
S’agissant de l’applicabilité de la Convention n°158 de l’OIT sur le licenciement, le Conseil d’État rappelle que celle-ci ne couvre que les ruptures à l’initiative de l’employeur.
Or, dans le cadre de la présomption de démission, c’est bien le salarié qui, par son absence persistante injustifiée, est à l’initiative de la rupture, même si l’employeur déclenche la procédure par l’envoi de la mise en demeure.
Concernant le point de départ du délai de 15 jours, le Conseil d’État valide le choix du décret de le faire courir à compter de la présentation de la mise en demeure et non de sa réception effective.
Cette disposition ne méconnaît pas l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme et ne constitue pas une erreur manifeste d’appréciation.
2.2. L’exigence d’une information complète du salarié.
Le Conseil d’État apporte toutefois une précision essentielle concernant le contenu de la mise en demeure.
Pour que la démission puisse être valablement présumée, le salarié doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sans motif légitime justifiant son absence.
Cette exigence, qui s’inspire de la jurisprudence administrative applicable aux fonctionnaires en cas d’abandon de poste [3], n’était pas explicitement prévue par le décret.
Le Conseil d’État considère néanmoins que son absence dans le texte ne le rend pas illégal, tout en imposant cette garantie procédurale supplémentaire.
3. Les implications pratiques pour les employeurs.
3.1. La rédaction sécurisée de la mise en demeure.
La décision du Conseil d’État impose aux employeurs une vigilance particulière dans la rédaction de la mise en demeure.
Celle-ci doit désormais comporter :
- La demande de justification de l’absence et de reprise du poste ;
- L’indication du délai imparti (au minimum 15 jours à compter de la présentation) ;
- L’information explicite que le salarié sera considéré comme démissionnaire à défaut de reprise du travail ou de justification d’un motif légitime dans le délai imparti.
L’omission de cette information sur les conséquences de l’absence de réponse ou de reprise du travail empêcherait la présomption de démission de produire ses effets et exposerait l’employeur à un risque de requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3.2. La question en suspens du choix entre présomption de démission et licenciement.
La question de l’articulation entre la présomption de démission et le licenciement pour faute grave en cas d’abandon de poste reste aujourd’hui sans réponse claire.
Le Conseil d’État n’a pas eu à se prononcer sur ce point, la FAQ ministérielle qui semblait exclure la voie du licenciement ayant été retirée en juin 2023.
La nouvelle version de la FAQ (sur la démission) sur le site du ministère du Travail indique simplement que l’employeur "peut" engager la procédure de présomption de démission, ce qui laisse entendre que d’autres options restent ouvertes.
En l’absence de jurisprudence sur ce point, et compte tenu du caractère dérogatoire du dispositif de présomption de démission, la prudence commande d’attendre des précisions jurisprudentielles avant d’écarter définitivement la possibilité d’un licenciement pour faute grave.
3.3. Les motifs légitimes d’absence excluant la présomption.
Le Conseil d’État rappelle que l’abandon de poste ne peut pas être considéré comme volontaire dans plusieurs situations qui constituent des motifs légitimes d’absence :
L’exercice du droit de retrait en cas de danger ;
L’exercice du droit de grève ;
Les raisons médicales ;
Le refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ;
Le refus d’une modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
Dans ces hypothèses, la présomption de démission ne peut pas jouer.
L’employeur doit donc examiner avec attention les justifications éventuellement fournies par le salarié dans le délai imparti avant de le considérer comme démissionnaire.
3.4. Les perspectives contentieuses.
La décision du Conseil d’État, si elle valide le dispositif dans son ensemble, ouvre potentiellement la voie à de nouveaux contentieux portant notamment sur :
- Le caractère suffisant de l’information donnée au salarié sur les conséquences de son silence ;
- L’appréciation du caractère légitime des motifs d’absence invoqués ;
- La possibilité pour l’employeur de choisir entre présomption de démission et licenciement pour faute grave ;
- Le point de départ effectif du délai en cas de non-distribution de la lettre recommandée.
Dans ce contexte, les employeurs devront faire preuve d’une vigilance particulière dans la mise en œuvre de ce dispositif dérogatoire au droit commun, en respectant scrupuleusement les garanties procédurales désormais exigées, sous peine de voir la rupture requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.