Procédures collectives : la créance d’honoraires de résultat naît à la date de l’exécution de la prestation caractéristique.

Par Dimitri Seddiki.

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Explorer : # créance d'honoraires # procédures collectives # liquidation judiciaire # privilège de procédure

De manière générale, les chances pour les créanciers chirographaires du débiteur placé en procédure collective d’obtenir paiement sont aussi maigres que celles de voir ce dernier se rétablir, d’où l’intérêt de pouvoir bénéficier du « privilège de procédure. »

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Commerciale, 24 mars 2015, n° 14-15.139

En l’espèce un avocat s’était vu confier la défense des intérêts d’une société. La convention les liant prévoyait le paiement d’un honoraire de résultat, réputé obtenu une fois rendue une décision définitive. Plus tard, alors que cette décision n’a pas encore été rendue, la société est placée en redressement judiciaire puis en liquidation. Quatre mois après cette conversion, l’avocat, ayant obtenu la décision escomptée, réclamera paiement de son honoraire de résultat au liquidateur.

Condamné en appel, le liquidateur va former un pourvoi en soutenant d’abord qu’il avait mis fin à la convention en cause dès sa nomination et que la date du fait générateur de la créance de l’avocat remonte à la date où l’honoraire de résultat a été convenu tandis que la cour d’appel – en retenant la date de la décision favorable – aurait confondu fait générateur de la créance et date d’exigibilité.

A quel moment doit-être le fait générateur d’une créance d’honoraire de résultat ?

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation va retenir que « la créance d’honoraires de résultat naît à la date de l’exécution de la prestation caractéristique ».

Cette décision sera l’occasion de revenir sur le mécanisme du privilège de la procédure (I) et plus précisément sur celle au fait générateur d’une créance d’honoraire. (II)

I – Retour sur « le privilège de la procédure »

A – Un mécanisme aux effets potentiellement décisifs.

Le privilège de procédure des articles L622-17 et L641-13 du Code de commerce consiste à permettre à certains créanciers d’échapper aux limitations inhérentes à l’ouverture d’une procédure collective et d’obtenir ainsi un double avantage : le paiement de leur créance à l’échéance ou, à défaut, le bénéfice d’un rang favorable au moment des distributions. Selon le rapport du Sénat relatif à la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 l’objectif est de « faciliter le redressement de l’entreprise en difficulté (en favorisant) les créanciers qui, après l’ouverture d’une procédure collective à la suite de la cessation des paiements du débiteur, consentent à ce dernier un crédit destiné à la poursuite de son activité. »

C’est ce statut théoriquement plus favorable au recouvrement de sa créance d’honoraire que l’avocat espérait conquérir en l’espèce. A défaut, il subirait l’obligation de déclaration de sa créance au passif de la procédure, conformément à l’article L624-24 du code de commerce, et ce dans un délai de deux mois à compter de son exigibilité.

Trois obstacles vont se dresser sur le chemin de l’avocat, les échecs successifs des différentes réformes destinées à réduire le nombre de défaillances ayant amené les différentes réformes à restreindre toujours plus le nombre de créanciers postérieurs privilégiés venant peser sur les finances de l’entreprise placée en procédure collective.
Ainsi, aux termes des articles L622-17 et L641-13 du Code de commerce, la créance devra être née postérieurement au jugement d’ouverture, conformément aux règles régissant la répartition des pouvoirs entre le débiteur et les organes de la procédure. Le législateur ayant considéré en 2005 que le nombre de créanciers admis restait trop important, et encouragé en cela par la doctrine et de la Cour de cassation, la créance devait dès lors répondre en plus à un critère de finalité (ou d’utilité), devenu avec les réformes récentes un curseur de régulation d’accès au privilège.

B – Une régularité liée à la continuation de la mission de l’avocat.

Le critère de régularité suppose que la créance naisse « conformément aux règles gouvernant les pouvoirs du débiteur où, le cas échéant, de l’administrateur. » [1]. Ce premier critère – passablement occulté par l’arrêt – ne posait a priori aucun problème en l’espèce, tant les deux dates de naissance de la créances en concurrence permettaient de le satisfaire. Ainsi, s’il était retenu que la créance d’honoraire était apparue au moment de la conclusion de la convention (thèse du liquidateur), celle-ci aurait été régulière car résultant de la volonté du débiteur demeurant seul à la tête de son entreprise car antérieurement à l’ouverture de son redressement, tandis que, si la créance devait trouver sa source dans le jugement favorable obtenu par l’avocat, la considération des pouvoirs respectifs perdrait tout intérêt.

Préférant à ces thèses un autre fait générateur – celle de la prestation réalisée dans le cadre du renvoi – la Cour de cassation fait implicitement de la question de la continuation ou non du contrat de mission par le liquidateur la condition de régularité de la créance. Ainsi, en affirmant que le liquidateur, en se bornant à s’associer aux conclusions de l’avocat, avait implicitement maintenu la mission de l’avocat, la haute juridiction laisse entendre que le liquidateur a consenti à la naissance de la créance en cause. Dans la cas contraire, l’ouverture d’une liquidation judiciaire entraînant dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens [2] la condition de régularité aurait fait défaut.

II – La prestation de l’avocat, fait générateur de sa créance d’honoraire de résultat.

A – La distinction nécessaire : fait générateur et exigibilité.

La question centrale de cet arrêt était donc la détermination de la date de naissance de la créance d’honoraire de résultat. Le liquidateur espérait voir triompher la thèse « volontariste » qui consiste à localiser le fait générateur de la créance à la perfection du contrat, ce qui correspondra généralement à l’échange des consentements. Ainsi le liquidateur souhaitait-il faire admettre l’existence d’une créance conditionnelle à la date où l’avocat avait été engagé. Cette thèse se distinguera de la thèse « matérialiste » (ou économique) qui situe le fait générateur de la créance à l’exécution par le cocontractant du débiteur en difficulté de la prestation qui lui incombait, thèse finalement retenue par la Cour de cassation qui indique que « la créance d’honoraires de résultat naît à la date de l’exécution de la prestation caractéristique ». De son coté la cour d’appel s’était – à tort – éloignée de cette dualité pour ajouter une nouvelle hypothèse aux différentes jurisprudences considérant le jugement comme le fait générateur de la créance, comme ce fut par exemple le cas pour la créance de dépens. [3]

Cette décision – qui doit être approuvée – semble appeler un rapide rappel. Ainsi lorsque le créancier s’était obligé – comme en l’espèce – envers le débiteur en difficulté à accomplir une prestation quelconque, c’est la date de l’exécution qui sera déterminante. De façon subsidiaire, dans l’hypothèse où le demandeur peut se prévaloir de l’existence d’un contrat mais n’a été obligé à aucune prestation en faveur du débiteur en procédure, c’est la date de conclusion du contrat qui sera retenue. Par exemple, la créance de remboursement d’une caution prend naissance au moment de son engagement, et non dès lors qu’elle a payé le créancier. [4] Enfin, ce n’est que lorsque la créance n’est la contrepartie d’aucune prestation et qu’elle ne se fonde sur aucun contrat qu’interviendra la possibilité de lier la créance à un jugement.

B – La distinction superflue : utilité du fait générateur et du résultat.

Aux critères chronologique et de régularité, la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a ajouté un critère téléologique permettant de n’admettre au privilège de procédure que les créances qualifiées – par une formule abusive, une dette n’étant jamais utile à l’entreprise en difficulté – d’ « utiles ». Dans la rédaction actuelle des textes la créance utile est celle née – en sauvegarde et redressement – pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ou – en liquidation – pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l’activité autorisé en application de l’article L. 641-10 ; en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l’activité ou en exécution d’un contrat en cours décidée par le liquidateur ; pour les besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.

Il sera rappelé que, selon les Professeurs Le Corre et Lucas, dont le raisonnement semble avoir convaincu la jurisprudence, les créances naissant pour les besoins du déroulement de la procédure sont celles inhérentes à l’existence d’une procédure collective, c’est à dire celles qui ne peuvent exister que lorsqu’une procédure est ouverte, dont le fait générateur résulte de l’exercice d’une obligation ou d’une faculté organisée par le droit des entreprises en difficulté.

L’arrêt commenté est intéressant en ce que – la cour de cassation précisant que « l’argumentation [de l’avocat] avait déterminé la condamnation  » – il semble indiquer implicitement que le fait générateur de la créance (ici le travail de l’avocat) doit aboutir à un résultat effectivement favorable pour le débiteur. En réalité, il s’agissait là de souligner que la créance de l’avocat était exigible, d’où la confirmation de la condamnation intervenue en appel. Poser l’exigence générale d’un résultat positif pour le débiteur reviendrait non seulement à confondre le fait générateur avec ses effets mais obligerait de surcroît le créancier à anticiper ce caractère utile avant de se décider à déclarer sa créance ou non. Cela explique pourquoi une simple utilité potentielle devrait suffire, le Professeur Pérochon justifiant cette approche par la nécessité d’éviter toute immixtion superflue dans la gestion de l’entreprise.

Dimitri Seddiki

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Notes de l'article:

[1Commerciale, 13 octobre 1998, n°95-21.988

[2art. 641-9 I code com.

[3Commerciale, 15 octobre 2013, n° 12-23.830

[4Commerciale, 30 septembre 2008, n° 07-18.479

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