« Des « Conti » se voient proposer un poste… en Tunisie », tel était l’intitulé d’un article du Figaro paru en avril dernier.
Et malheureusement, en période de crise, ce n’est pas une exception. De plus en plus, de situation comme cette dernière ont vu le jour ; il y a un mois, c’était PHILIPS qui avait proposé à ses salariés de les reclasser en Hongrie, pour 450 euros par mois.
Selon l’expression de Monsieur Philipe FOLLIOT, député du Tarn, ces « situations ubuesque » sont la conséquence de l’obligation de résultat atténué de l’employeur en matière de licenciement économique, lui imposant de rechercher activement, précisément et individuellement un reclassement pour ses salariés avant de les licencier.
1) Une obligation de reclassement pour l’employeur
Lorsqu’un licenciement pour motif économique est envisagé et quel que soit le nombre, l’employeur a l’obligation de rechercher un reclassement pour le salarié.
En effet, aux termes de l’article L 1233-4 du code du travail « Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ».
A titre d’exemple, ne remplit pas son obligation, l’employeur qui notifie à un salarié son licenciement, sans attendre la réponse des autres Sociétés du groupe qui seraient susceptibles de le reclasser (Cass. Soc 21/03/2008, n°99-43.108)
Par conséquent, le non respect par l’employeur de son obligation de reclassement prive, de facto, le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Un employeur n’est libéré de son obligation de reclassement et peut procéder au licenciement, qu’une fois, qu’il a épuisé toutes les possibilités de reclassement et que toutes ces propositions ont été refusé par le salarié.
D’ailleurs, c’est à l’employeur de prouver de l’impossibilité de reclasser le salarié.
2) Les propositions de postes par l’employeur
La jurisprudence a, dans ce domaine, beaucoup contribué.
a) Les postes proposés
La tentative de reclassement par l’employeur doit porter sur tous les emplois disponibles de même catégorie ou sur un emploi équivalent, l’employeur devant si nécessaire prévoir l’adaptation ou la formation du salarié concerné.
A cet égard, l’employeur manque à son obligation de reclassement « en omettant de proposer à une gouvernante, un emploi disponible de serveuse à mi-temps, en lui assurant, si nécessaire, une éventuelle adaptation. Ce dernier ne peut arguer qu’elle ne possédait pas les capacités et l’expérience professionnelle requises. (Cass. soc., 18 nov. 1998, n° 96-42991).
b) Un formalisme rigoureux
Par ailleurs, l’employeur ne satisfait pas, non plus, à son obligation de reclassement en l’absence de propositions individualisées. En effet, les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites, précises et personnalisées.
Ainsi, s’est fait condamner « l’employeur qui s’était borné à informer son personnel par voie d’affichage que des possibilités de reclassement existaient dans les sociétés du groupe dont les adresses étaient indiquées et que les salariés intéressés étaient invités à prendre contact avec la société mère » (Cass. soc. 12 mars 2003, n° 00-46700)
c) Un périmètre de recherche illimité
La loi ne limite pas le périmètre de recherche pour le reclassement des salariés qui se voit même élargi par la jurisprudence.
En effet, la loi étend les possibilités de reclassement à l’ensemble de l’entreprise et dans les entreprises du groupe auquel elle appartient ; tout en étant précisé par la jurisprudence que cet effort doit être déployé également à l’international.
L’employeur devra ainsi, faire appel à toutes ses filiales (internes et internationales) pour tenter de reclasser son salarié. Dès qu’il y a des postes pour être reclasser, l’employeur devra le proposer même s’il s’agit de postes à l’étranger et à des conditions de rémunération complètement dérisoires voire humiliantes comme le prévoit, par exemple, le plan social de Continental « 600 des 1.200 salariés licenciés pour motif économique se sont vu proposer un poste à 137 euros par mois en Tunisie ».
3) Des situations absurdes avant la loi du 18 mai 2010
A l’instar de ce qui est énoncé ci-dessus, la loi et la jurisprudence produisaient des conséquences excessives sinon absurdes.
Pour les syndicats, il s’agissait « d’une provocation de la direction à l’égard des salariés » et pourtant, l’employeur se trouvait pieds et poings liés face à son obligation.
Aucune stratégie n’était bonne à adopter !
En effet, si les employeurs proposaient ces postes, les salariés et syndicats s’indignaient, mais, s’il ne les proposait pas, il pouvait se voir condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et payer de fortes indemnités. A cet égard, en mai 2009, le fabricant de chaussettes OLYMPIA s’était vu condamné à verser 2,5 millions d’euros d’indemnités aux salariés faute de leur avoir proposé un reclassement en Roumanie.
Le principe de bonne foi devait prévaloir afin d’éviter de telles situations ; ainsi pour l’employeur, une sorte de hiérarchie dans les propositions devaient être instituée entrainant la proposition de ces postes à l’étranger qu’en tout dernier recours. Quant aux salariés, ils devaient apprécier l’effort de l’employeur et accepter le poste ou l’impossibilité de reclassement qui serait, à défaut, pris en compte par le Juge, en cas de litige.
Ces « scandales » récents ont précipité les débats afin de cadrer cette obligation de reclassement.
4) Le nouveau dispositif de la loi du 18 mai 2010 (article 1233-4-1 du code du travail)
La loi n°2010-499 du 18 mai 2010, codifiée dans le nouvel article du code du travail, L. 1233-4-1, crée une procédure spécifique.
A cet égard, le périmètre de recherche pour le reclassement établit précédemment par la loi et la jurisprudence ne change pas, en effet, le reclassement devra toujours être proposé dans toutes les implantations du groupe.
La nouveauté est que les entreprises qui appartiennent à un groupe implanté en dehors du territoire national devront demander aux salariés dont le licenciement économique est envisagé, par le biais d’un questionnaire, s’ils acceptent de recevoir des propositions de reclassement à l’étranger et à quelles conditions.
Le salarié aura, ensuite, six jours ouvrables pour répondre et son silence vaudra refus.
Une fois le questionnaire remis à l’employeur, ce dernier se trouvera dispensé d’adresser des propositions de reclassement à l’étranger, aux salariés qui auront refusé.
Bien évidemment, toutes les propositions devront être écrites et précises et le salarié aura toujours la possibilité d’y renoncer.
Cet apport législatif basé, sur le principe de bonne foi, crée des contraintes supplémentaires pour l’employeur, mais ne change pas beaucoup la donne pour les salariés qui ont désormais l’assurance de ne pas se voir proposer des offres de reclassement « exotiques » qu’ils auraient dans tous les cas refusés.
Par ailleurs, la Commission des affaires sociales du Sénat, s’est montrée assez critique vis-à-vis de cette loi ; plusieurs insuffisances sont à relever.
En effet, on peut regretter que la loi ne prévoit pas, notamment, de sanction spécifique en cas de méconnaissance de cette procédure ; de plus, aucun contenu du questionnaire n’a été préalablement défini. Enfin, aucune rémunération plancher n’a été fixée en-deça duquel les emplois situés à l’étranger n’auraient pas à être proposé.
Frédéric CHHUM - Avocat -
AM Bourcier - Juriste -