I. Faits.
Plusieurs salariés étaient employés par l’association Transitions Pro Grand Est. Cette dernière, succédant à Fongecif Grand Est en 2020, a été contrainte de réduire ses effectifs après l’ouverture à la concurrence des activités de conseil en évolution professionnelle, résultant de la loi du 5 septembre 2018.
En 2019, un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) avait été mis en place et validé par l’autorité administrative DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.).
A cette occasion, 32 postes ont été supprimés et l’employeur avait notifié aux salariés concernés la liste des postes disponibles pour un reclassement, conformément aux stipulations de l’accord majoritaire signé dans le cadre du PSE.
Cependant, cette liste ne comportait pas les critères permettant de départager d’éventuels candidats multiples pour un même poste.
Les salariés, estimant que cette omission constituait un manquement à l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur, ont demandé la requalification de leur rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ils ont également sollicité des dommages-intérêts ainsi que des indemnités de préavis et des congés payés afférents.
II. Moyens.
L’association, condamnée en appel, conteste cette décision devant la Cour de cassation. Elle fait valoir que, même si la liste des postes disponibles ne mentionnait pas les critères de départage entre les candidatures multiples, la procédure de reclassement avait été exécutée conformément aux dispositions du Code du travail et que l’omission des critères de départage ne constituait pas une irrégularité suffisante pour priver le licenciement de sa cause réelle et sérieuse. Selon elle, cette omission ne relevait que d’une irrégularité de procédure, ouvrant droit à des dommages-intérêts uniquement en cas de préjudice démontré, mais ne pouvant invalider le licenciement en tant que tel.
Les salariés, quant à eux, soutenaient que l’absence de mention des critères de départage rendait l’offre imprécise et, par conséquent, ne permettait pas une prise de décision éclairée sur les propositions de reclassement. Cette imprécision, selon eux, constituait une violation de l’article L1233-4 du Code du travail, qui impose une obligation de reclassement sérieuse, loyale et complète de la part de l’employeur.
III. Solution.
La Cour de cassation a confirmé les décisions des juges du fond en rejetant le pourvoi de l’employeur. Elle rappelle que, conformément aux articles L1233-4, alinéa 4, et D1233-2-1, III, du Code du travail, l’employeur est tenu de fournir aux salariés toutes les informations nécessaires pour leur permettre de candidater aux postes de reclassement en toute connaissance de cause.
Cette carence en effet rendait l’offre imprécise et, par conséquent, constituait un manquement grave à l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur.
De ce fait, en l’absence de mention des critères de départage dans la liste des postes de reclassement diffusée, les salariés ne disposaient pas des outils nécessaires pour réfléchir à leurs candidatures et cette imprécision avait eu pour effet de priver les salariés des outils nécessaires pour évaluer leurs options et prendre une décision éclairée, caractérisant ainsi une défaillance de l’employeur.
En conséquence, les licenciements ont été jugés sans cause réelle et sérieuse, les offres de reclassement devant être précises et loyales.
IV. Analyse.
Cet arrêt illustre l’exigence de rigueur qui s’impose à l’employeur dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
En insistant sur l’importance des critères de départage, la cour rappelle la nature impérative de l’obligation de reclassement, qui n’est pas une simple formalité mais une obligation qualifiée de moyen renforcé par la jurisprudence, visant à maximiser les chances des salariés de retrouver un emploi. Ainsi, l’obligation de reclassement ne se limite pas à fournir une liste de postes disponibles ; elle inclut également la nécessité de fournir des informations précises et objectives, telles que les critères de départage. Ce niveau de précision vise à garantir l’équité et la transparence dans le processus de reclassement, tout en protégeant les droits des salariés.
L’analyse de la cour met également en lumière l’objectif sous-jacent de ces exigences : permettre aux salariés de comprendre clairement les opportunités qui leur sont offertes et d’anticiper leurs chances d’obtenir un poste, notamment en cas de concurrence avec d’autres collègues.
Ainsi, toute imprécision dans les informations transmises, même si elle peut paraître minime, est susceptible de mettre en péril l’ensemble de la procédure de licenciement qui ne remplit plus son rôle protecteur.
Cette décision est particulièrement importante dans le contexte des restructurations économiques, où les employeurs sont souvent tentés de minimiser les obligations formelles dans l’élaboration de leurs PSE.
Elle rappelle que toute imprécision ou omission peut avoir des conséquences lourdes, notamment la requalification des licenciements en licenciements sans cause réelle et sérieuse, entraînant ainsi des sanctions financières importantes.
En somme, cet arrêt renforce la jurisprudence protectrice des salariés en matière de reclassement, tout en soulignant que le respect des exigences légales n’est pas une formalité, mais un impératif, ce qui renforce le caractère fondamental du droit au reclassement, comme inscrit dans la Constitution française et confirmé par le Conseil constitutionnel.
Les employeurs doivent redoubler de vigilance dans le cadre des restructurations et des plans sociaux pour éviter de telles omissions, sous peine de voir leur procédure invalidée et constitue une boussole pour interpréter les obligations liées au reclassement, et marque un pas de plus vers la sécurisation des droits des travailleurs face aux aléas économiques.
Sources.
Cass. soc., 8 janv. 2025, n° 22-24.724
Offres de reclassement ne comportant pas les 6 mentions légales = licenciement économique sans cause